Rien de plus difficile que de réfléchir par soi-même. Nos pensées sont tissées maladroitement de celles des autres, notre seule originalité ne consistant bien souvent qu'en quelques fils qui dépassent. Usé par la contradiction, la confusion et l'erreur, ce tissu mal raccommodé est presque partout trop déchiré pour recouvrir convenablement la moindre des réalités. Et pour les réalités non moindres, la déchirure est un abîme. Heureux qui n'a jamais conçu dans un regrettable moment d'extase que les atomes étaient des systèmes solaires, composés de minuscules planètes à la surfaces desquelles vivaient d'autres créatures, elles-même faites d'atomes semblables à de minuscules systèmes solaires! Le vertige de l'infini ne nous fait pas toujours tomber de haut... Mais l'erreur est humaine, on apprend et on recommence.
Allez savoir pourquoi, tout cela m'amène à penser à Richard Martineau. Parce qu'il se contredit lui-même, parce qu'il est très confus, parce qu'il se trompe souvent, il pourrait être tentant de le considérer comme un simple dilettante intellectuel, comme nous tous donc, non moins perdu que nous tous. Nous l'avons dit, rien de plus difficile que de penser par soi-même. Richard Martineau ne saurait faire exception. En cela, il est comme tout un chacun infiniment respectable. Membre à peine plus remarquable que les autres de cette bande de milliards de hardis aventuriers de la pensée vivante, de la pensée qui se fait dans l'aveuglante proximité du présent, Richard Martineau serait la pointe toujours obtue et s'aiguisant sans cesse d'une humanité privée de moyens et cherchant obstinément à se les donner. Mérite-t-il alors tout notre respect ?
En effet, il faut dire que
Richard Martineau n'a pas peur de se contredire lui-même. Pas plus tôt que ce matin, il a posé deux diagnostics psychologiques d'une lucidité dévastatrice sur cette jeunesse
québécoise qui persiste à manifester contre toute raison. Le premier d'abord. Selon un ami de Martineau, les jeunes
seraient comme sous l'effet d'une drogue : « Ils se sentent importants,
désirés, affublés d’éloges et ivres de désobéissance civile ». Le second ?
L'opposition des jeunes au gouvernement serait celle d'un « fils révolté qui se
sent abandonné, mal aimé, mal compris ». J'ignore si l'ami de Richard Martineau
est un psychologue, mais je sais que Richard Martineau ne l'est pas et je le
félicite de ne pas s'en être remis à un véritable spécialiste, d'avoir tenté de
penser par lui-même. Le résultat est stupéfiant! Pour résumer avec un brin de
mauvaise foi, les jeunes se sentiraient importants, abandonnés, désirés, mal
aimés, affublés d'éloges et mal compris. Si j'étais la population québécoise,
je demeurerais pantoite de confusion!
Richard Martineau est en effet lui aussi très confus. Pas plus tôt qu'hier, il lui a fallu clarifier ses propos de la veille dans une courte et pédagogique Mise au point pour ceux qui ne savent pas lire : « je n'ai jamais dit que les manifestants étaient des tueurs ! J'ai dit qu'on vit dans un monde d'extrême et que l'extrême est partout : dans le sport, le sexe, les faits divers, les manifs, les médias, la politique, la bouffe... ». Qui trop embrasse mal étreint ? Je vous invite à vérifier si vous savez lire en examinant le texte en question. Richard Martineau ne dit jamais que les manifestants sont des tueurs. Il nous parle d'abord de la réhabilitation médiatique et sociale d'Issei Sagawa, un cannibale psychopathe. Il nous parle ensuite du culte contemporain de la transgression selon Jean-Jacques Pelletier dans son essai Les Taupes frénétiques. Il nous parle enfin des manifestants casseurs comme expression la plus actuelle de ce culte, nous laissant sur cette question énigmatique : « ça ne vous rappelle pas quelque chose ? ». Je ne comprends pas la question. Sincèrement, j'ai beau relire, je ne la comprends pas. Mais si je voulais à tout prix la comprendre, qui sait ce que je pourrais faire dire au texte ? Je me tromperais sûrement...
Et comme moi, Richard Martineau se trompe souvent en effet. Pas plus tôt qu'avant-hier, il a tenu à féliciter de vrais jeunes bâtisseurs du Québec, l'entreprise de pub, de marketing, de design et d'architecture Sid Lee. Chez Sid Lee, on se lève tôt le matin et on travaille fort toute la journée, parce qu'on est ambitieux. Chez Sid Lee, on est actif, créatif et proactif. Chez Sid Lee, on revitalise Montréal, le Québec, le monde, le système solaire! Ce lyrisme n'est pas le mien, mais celui de Martineau. Je suis tout de même prêt à le croire sur parole et ne suis certainement pas là pour démolir la réputation de ces jeunes entrepreneurs qui doivent éprouver le plus vif bonheur à ne pas savoir complètement où ils s'en vont. Là où Richard Martineau se trompe, c'est quand il dit ceci : « Certaines personnes voient des personnes comme ça, et ont le goût de vomir. » De qui parle-t-il donc ? Qui a le goût de vomir ? Ou quand il dit ceci : « Ces gens-là ne se réunissent pas pour saborder le grand prix. » Les manifestants non plus, il suffit de les écouter pour s'en convaincre. Ou quand il dit : « Ils ne veulent pas mettre Montréal "sur la mappe" en fracassant des vitrines, en lançant des roches et en mettant le feu, mais en montrant que le Québec est un formidable lieu de création CONSTRUCTIVE. » Mais c'est exactement ce que veulent les manifestants, seulement ils le veulent pour toutes les Québécoises et tous les Québécois !
Il pourrait être tentant de considérer Richard Martineau comme un simple dilettante intellectuel, en cela infiniment respectable. Comme tout un chacun, il peut en effet être confus, se contredire, faire des erreurs. Comme n'importe qui, il lit un peu de tout, citant à gauche comme à droite sans maîtriser ses sources. Comme n'importe qui, il mélange souvent les faits et les valeurs et peut se laisser berner par une analogie bien faite. Sauf que Richard Martineau est payé pour faire tout cela. Mieux payé que les étudiants et leurs enseignants. Mieux payé que tous ceux qu'il entend convaincre de se soumettre amoureusement à une austérité budgétaire qui n'a rien d'une responsabilité budgétaire. À chaque fois qu'il se contredit ou qu'il est confus, c'est pour mieux nous manipuler, et alors il gagne un peu plus. Quand il se trompe, c'est pour mieux nous tromper, et alors il gagne encore un peu plus. Ce qu'il fait, en effet, il ne le fait jamais qu'en effet, et il sait très bien ce qu'il fait. Richard Martineau n'est pas un amateur.
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