lundi 25 juin 2012

Rencontre au sommet (1ère partie)

                                           « Toute ressemblance avec des personnes 
ou des situations existantes ou ayant existé 
ne saurait être que fortuite. »

Lu dans un quotidien d'ici ?
(cité de mémoire…)

Pierre Karl – Salut mon cher Richard. Ça fait vraiment trop longtemps qu'on s'est parlé toi puis moi. Plus on est important, moins on a de temps malheureusement. Comment vas-tu? Comment va Sophie? Prendrais-tu un scotch? Veux-tu t'asseoir?

Richard (en s'asseyant de façon nettement, mais subtilement réfléchie) –  Euh, oui, ça va bien, Sophie aussi, un peu moins ces temps-ci, vous devinez… Pour le scotch, c'est un peu tôt, non? Avec des responsabilités comme les miennes, il faut rester lucide toute la journée. Et il fait beaucoup trop chaud de toute façon. Peut-être une sangria légère?

Pierre Karl – Je suis désolé, Richard. Afin de respecter davantage un lectorat grâce à toi de plus en plus critique et averti, nos cadres et nos employés ne pourront plus boire de sangria, ni au travail ni à la maison. Le mémo devrait circuler demain. Je sais que c'est injuste, que nous travaillons fort et que nous, au moins, nous méritons ce qu'il y a de mieux, mais que veux-tu?

Richard (plissant les yeux et hochant délicatement la tête afin d'exprimer un point de vue nuancé) – Je comprends, comme toujours je comprends. Une bière alors?

Pierre Karl (à l'interphone) – Deux bières, Lucie, bien fraîches. (Il écoute). Non Lucie, pas celle des employés, voyons! Je suis avec Richard! Amène celle de John, la bonne, tu sais laquelle.

Richard (le regard empreint d'une fine empathie) – Et vous, Pierre Karl, ça va? Julie aussi?

Pierre Karl – Richard, Richard… tu sais que tu peux me tutoyer, voyons. Je ne veux pas que tu me voies comme un patron, après tout ce qu'on a vécu ensemble, après toute la loyauté dont tu as fait preuve pour sauver mon entreprise la plus importante du Québec. Tu es un véritable partenaire.

Richard (avec un ton très perspicace) –  Oui, je sais, merci. Et toi, et Julie, ça va?

Pierre Karl – Oui, oui, ça va… mais nous avons un grave problème à résoudre. Je crois que j'ai la solution, mais j'aurais besoin de ton conseil, de ton point de vue critique. Tous les membres du CA se sont montrés enthousiastes, mais il n'y en a aucun qui a ta colonne vertébrale, ta franchise, il n'y a personne qui est capable comme toi de dire aux gens la vérité en pleine face, aussi dure soit-elle.

Richard (ironique, mais sans contribuer au cynisme ambiant) – Je sais. J'en reçois la preuve tous les jours dans la rue ou chez moi, même qu'hier…

Pierre Karl – Laisse l'histoire faire son travail. Il y aura toujours des jaloux et des frustrés. Dans le journalisme, on ne devient pas un René ou un Denis Lévesque sans créer de remous. Tu peux être fier de relever chaque jour les exigences d'un métier aussi noble.

Richard (comme toujours très pénétrant) –  C'est important de se savoir compris, Pierre Karl. C'est pour ça que j'écris autant. Je vais essayer d'être aussi franc que possible, alors. Quel est le problème?

Pierre Karl – C'est un problème de perception, tu  vois...

Lucie (qui entre en portant sur un cabaret deux bocks bien froids pleins d'une bière à l'apparence épatante et dispendieuse) – Voici vos bières messieurs. Deux Molson Achiever. Comme je vous envie! Il paraît qu'on n'en brasse que deux caisses par année. Est-ce qu'elle est aussi bonne qu'on dit?

Pierre Karl (pendant que Lucie dépose le cabaret sur son bureau) – Tu ne ferais pas la différence, Lucie. Ça goûte… comment dire? C'est le goût de la réussite!

Lucie (en riant) – Vous avez donc raison!

Richard (profond et lumineux) – Comme le disait Bernard-Henri Lévy, ou bien c'était Jacques Attali, la réussite n'a-t-elle pas toujours raison?

Lucie (toute émue d'en apprendre davantage chaque jour) – Vous avez donc raison!

Pierre Karl – Bon, Lucie, Richard et moi discutons de choses graves.

Richard (se filmant avec intelligence à l'aide de son iPhone) – Je m'appelle Richard Martineau et je bois de la Molson Achiever. (Il prend un air encore plus doué). Hum, hum. Je m'appelle Richard Martineau et je bois de la Molson Achiever. Oui. C'est mieux, c'est beaucoup mieux. Les gens doivent connaître la vérité.

Pierre Karl – Oui, bon, mais pour ton nom de famille, je ne suis pas certain que tu avais le droit de l'employer. Je veux dire sans ma permission. Mais ce n'est pas important, on en reparlera plus tard, l'heure est grave.

Richard (préoccupé d'abord et avant tout par l'intérêt public) – Qu'arrive-t-il ? Et surtout comment puis-je ignorer ce qui arrive? Mes informateurs fiables et mes recherchistes rigoureux ne m'ont pourtant rien dit.

Pierre Karl – C'est resté secret. Ultra secret. Mais c'est en train de fuir. Nous avons un problème d'image. On a porté contre notre journal de sérieuses accusations. Assez sérieuses pour qu'il soit rendu nécessaire d'agir. On dit que nous manquons d'objectivité.

Richard (qui n'a pourtant pas peur des mots) –  …

Pierre Karl – Je sais, je sais, cela semble impossible. Mais c'est ce qu'on dit.

Richard (avec une surprenante lucidité même pour un homme visant habituellement aussi juste) – …

Pierre Karl – Je sais, c'est répugnant, c'est indigne même d'être considéré, mais que veux-tu, il faut agir quand même. C'est pourquoi j'ai élaboré un plan. Un projet innovateur, synergique et convergent. Ce n'est pas pour me vanter, mais je crois qu'une fois ce projet accompli, non seulement notre journal atteindra un niveau d'objectivité supérieur à tout ce qu'a connu le journalisme, ça dépassera même tout ce qui a pu être atteint dans l'histoire de l'humanité.

Richard (en véritable Franc Tireur) – Est-ce qu'un seul homme peut dépasser toute l'humanité ?

Pierre Karl – Nous ne sommes pas ici pour faire de la philosophie, Richard, c'est sérieux.

Richard (incapable de fausse modestie) - Je sais bien Pierre Karl, un cerveau comme le mien, c'est parfois difficile à arrêter. Mais il y a des avantages. Par exemple, je suis capable d'écouter les autres parler tout en m'écoutant penser. (Long silence). Et quand je t'écoute, je pense au projet JAMBON que j'ai élaboré en convergence avec tous vos médias depuis quelques années. Ça n'était pas suffisant ?
 
Pierre Karl - Le projet pour un Journalisme Articulé, Multidimensionnel, Brillant, Objectif et Nuancé? Tu en as réussi l'implantation au-delà de toutes les attentes, évidemment, mais c'est déjà dépassé, il faut aller beaucoup plus loin désormais. (Il déroule sur son bureau des plans architecturaux complexes). Laisse-moi te présenter le projet BAHAMUT.

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