« Toute ressemblance
avec des personnes
ou des situations existantes ou ayant existé
ne saurait être
que fortuite. »
Lu dans un quotidien
d'ici ?
(cité de mémoire…)
Pierre Karl –
Salut mon cher Richard. Ça fait vraiment trop longtemps qu'on s'est parlé toi
puis moi. Plus on est important, moins on a de temps malheureusement. Comment
vas-tu? Comment va Sophie? Prendrais-tu un scotch? Veux-tu t'asseoir?
Richard (en
s'asseyant de façon nettement, mais subtilement réfléchie) – Euh, oui, ça va bien, Sophie aussi, un peu
moins ces temps-ci, vous devinez… Pour le scotch, c'est un peu tôt, non? Avec
des responsabilités comme les miennes, il faut rester lucide toute la journée.
Et il fait beaucoup trop chaud de toute façon. Peut-être une sangria légère?
Pierre Karl – Je
suis désolé, Richard. Afin de respecter davantage un lectorat grâce à toi de
plus en plus critique et averti, nos cadres et nos employés ne pourront plus
boire de sangria, ni au travail ni à la maison. Le mémo devrait circuler
demain. Je sais que c'est injuste, que nous travaillons fort et que nous, au
moins, nous méritons ce qu'il y a de mieux, mais que veux-tu?
Richard (plissant
les yeux et hochant délicatement la tête afin d'exprimer un point de vue
nuancé) – Je comprends, comme toujours je comprends. Une bière alors?
Pierre Karl (à
l'interphone) – Deux bières, Lucie, bien fraîches. (Il écoute). Non Lucie, pas
celle des employés, voyons! Je suis avec Richard! Amène celle de John, la
bonne, tu sais laquelle.
Richard (le
regard empreint d'une fine empathie) – Et vous, Pierre Karl, ça va? Julie
aussi?
Pierre Karl –
Richard, Richard… tu sais que tu peux me tutoyer, voyons. Je ne veux pas que tu
me voies comme un patron, après tout ce qu'on a vécu ensemble, après toute la
loyauté dont tu as fait preuve pour sauver mon entreprise la plus importante du
Québec. Tu es un véritable partenaire.
Richard (avec un
ton très perspicace) – Oui, je sais,
merci. Et toi, et Julie, ça va?
Pierre Karl –
Oui, oui, ça va… mais nous avons un grave problème à résoudre. Je crois que
j'ai la solution, mais j'aurais besoin de ton conseil, de ton point de vue
critique. Tous les membres du CA se sont montrés enthousiastes, mais il n'y en
a aucun qui a ta colonne vertébrale, ta franchise, il n'y a personne qui est capable
comme toi de dire aux gens la vérité en pleine face, aussi dure soit-elle.
Richard
(ironique, mais sans contribuer au cynisme ambiant) – Je sais. J'en reçois la
preuve tous les jours dans la rue ou chez moi, même qu'hier…
Pierre Karl –
Laisse l'histoire faire son travail. Il y aura toujours des jaloux et des
frustrés. Dans le journalisme, on ne devient pas un René ou un Denis Lévesque
sans créer de remous. Tu peux être fier de relever chaque jour les exigences
d'un métier aussi noble.
Richard (comme
toujours très pénétrant) – C'est
important de se savoir compris, Pierre Karl. C'est pour ça que j'écris autant.
Je vais essayer d'être aussi franc que possible, alors. Quel est le problème?
Pierre Karl –
C'est un problème de perception, tu
vois...
Lucie (qui entre
en portant sur un cabaret deux bocks bien froids pleins d'une bière à
l'apparence épatante et dispendieuse) – Voici vos bières messieurs. Deux Molson
Achiever. Comme je vous envie! Il paraît qu'on n'en brasse que deux caisses par
année. Est-ce qu'elle est aussi bonne qu'on dit?
Pierre Karl (pendant
que Lucie dépose le cabaret sur son bureau) – Tu ne ferais pas la différence,
Lucie. Ça goûte… comment dire? C'est le goût de la réussite!
Lucie (en riant) – Vous avez donc raison!
Richard (profond
et lumineux) – Comme le disait Bernard-Henri Lévy, ou bien c'était Jacques
Attali, la réussite n'a-t-elle pas toujours raison?
Lucie (toute émue
d'en apprendre davantage chaque jour) – Vous avez donc raison!
Pierre Karl –
Bon, Lucie, Richard et moi discutons de choses graves.
Richard (se
filmant avec intelligence à l'aide de son iPhone) – Je m'appelle Richard
Martineau et je bois de la Molson Achiever. (Il prend un air encore plus doué).
Hum, hum. Je m'appelle Richard Martineau et je bois de la Molson Achiever. Oui.
C'est mieux, c'est beaucoup mieux. Les gens doivent connaître la vérité.
Pierre Karl –
Oui, bon, mais pour ton nom de famille, je ne suis pas certain que tu avais le
droit de l'employer. Je veux dire sans ma permission. Mais ce n'est pas
important, on en reparlera plus tard, l'heure est grave.
Richard
(préoccupé d'abord et avant tout par l'intérêt public) – Qu'arrive-t-il ? Et
surtout comment puis-je ignorer ce qui arrive? Mes informateurs fiables et mes
recherchistes rigoureux ne m'ont pourtant rien dit.
Pierre Karl –
C'est resté secret. Ultra secret. Mais c'est en train de fuir. Nous avons un
problème d'image. On a porté contre notre journal de sérieuses accusations.
Assez sérieuses pour qu'il soit rendu nécessaire d'agir. On dit que nous
manquons d'objectivité.
Richard (qui n'a
pourtant pas peur des mots) – …
Pierre Karl – Je
sais, je sais, cela semble impossible. Mais c'est ce qu'on dit.
Richard (avec une
surprenante lucidité même pour un homme visant habituellement aussi juste) – …
Pierre Karl – Je
sais, c'est répugnant, c'est indigne même d'être considéré, mais que veux-tu,
il faut agir quand même. C'est pourquoi j'ai élaboré un plan. Un projet
innovateur, synergique et convergent. Ce n'est pas pour me vanter, mais je
crois qu'une fois ce projet accompli, non seulement notre journal atteindra un
niveau d'objectivité supérieur à tout ce qu'a connu le journalisme, ça
dépassera même tout ce qui a pu être atteint dans l'histoire de l'humanité.
Richard (en
véritable Franc Tireur) – Est-ce qu'un seul homme peut dépasser toute
l'humanité ?
Pierre Karl –
Nous ne sommes pas ici pour faire de la philosophie, Richard, c'est sérieux.
Richard
(incapable de fausse modestie) - Je sais bien Pierre Karl, un cerveau comme le
mien, c'est parfois difficile à arrêter. Mais il y a des avantages. Par
exemple, je suis capable d'écouter les autres parler tout en m'écoutant penser.
(Long silence). Et quand je t'écoute, je pense au projet JAMBON que j'ai
élaboré en convergence avec tous vos médias depuis quelques années. Ça n'était
pas suffisant ?
Pierre Karl - Le
projet pour un Journalisme Articulé, Multidimensionnel, Brillant, Objectif et
Nuancé? Tu en as réussi l'implantation au-delà de toutes les attentes, évidemment,
mais c'est déjà dépassé, il faut aller beaucoup plus loin désormais. (Il
déroule sur son bureau des plans architecturaux complexes). Laisse-moi te
présenter le projet BAHAMUT.
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