jeudi 10 janvier 2013

Passe-temps américains...

Ouf! C'est avec ce mot que j'aimerais commencer cette année avec vous. En fait, j'écris Ouf! pour que vous compreniez facilement ce que je veux dire. Comme on ne l'avoue pas assez souvent dans les hebdomadaires québécois à grand tirage, il s'agit en fait de vulgarisation autobiographique. Si je voulais être avant-gardiste et réaliste, il faudrait plutôt écrire khouhhrf, ce qui vous vous donnerait une meilleure idée du son actuel de ma voix et des prouesses littéraires dont je suis capable. Mais cela ferait peut-être fuir les lecteurs qui aiment leurs onomatopées concises et bien répertoriées. Choisissez le mot qui vous plait le plus. Ce qui demeure, c'est que le temps des fêtes n'a pas vraiment été facile cette année. Ce qui demeure, c'est que je suis épuisé.

Je ne me plaindrai pas ici de l'inhabituelle brièveté du répit accordé aux enseignants du collège où je travaille pour leur permettre de célébrer avec leur famille ou leurs amis...
tout en corrigeant des copies laborieusement médiocres ou intelligentes mais bâclées...
tout en planifiant scrupuleusement les cours les plus dépourvus de contenu possible pour la reprise de la session d'automne en janvier...
tout en récupérant des inévitables abus de l'estomac et du foie sans lesquels un cœur n'a jamais exprimé suffisamment son amour...
tout en souffrant un énième rhume, une ixième gastro, une zèdième grippe ne signifiant jamais pour qui que ce soit que nous pourrions être épuisés, nous les enseignants de Cégep si gâtés.
Je ne me plains pas, au contraire. J'invite tout le monde à postuler pour ma sinécure et je vous passe moi-même en entrevue...

Non, si le temps des fêtes n'a pas été facile cette année, c'est parce qu'alors même que je venais d'annoncer que Relations d'incertitude allait hiberner pendant quelques semaines, un événement a eu lieu qu'un blogueur aussi professionnel que j'aimerais l'être ne pouvait pas ne pas aborder. Un événement dont le traitement éditorial allait toutefois demander de sérieux efforts d'objectivité journalistique, exiger de moi les plus grands sacrifices personnels. Cet événement a eu lieu le 21 décembre 2012, dans la traînée médiatique qui accompagna le massacre tragique de vingt enfants et six adultes à l'école Sandy Hook, dans la ville de Newtown au Connecticut. Je me permets d'affirmer avec orgueil que cet événement confirme à lui seul la prédiction officielle de Relations d'incertitude quant à la nature de la catastrophe qui devait entraîner la fin du monde. On peut dire en effet que le 21 décembre dernier, la réalité s'est littéralement volatilisée.

C'est en effet en ce jour qu'a eu lieu la conférence de presse tenue par Wayne Lapierre, représentant de la National Rifle Association (NRA), durant laquelle il a expliqué au public américain, avec un aplomb extraordinaire, que la seule chose qu'on ne pouvait absolument pas blâmer pour expliquer la tragédie de Sandy Hook, c'était la facilité pourtant époustouflante avec laquelle les armes à feu peuvent circuler aux États-Unis. On pouvait blâmer l'influence pernicieuse des médias, mais pas celle de l'hyper-médiatisé lobby des armes à feu. On pouvait blâmer le recul des valeurs chrétiennes, mais pas les progrès de la peur et de l'hostilité nécessaires à l'industrie des armes à feu. On pouvait blâmer le peu d'encadrement dont bénéficiaient les malades mentaux, mais pas leur accès aux armes à feu, protégé par un second amendement de droit divin. Selon Wayne Lapierre, s'il y avait eu plus d'armes en circulation, la tragédie aurait pu être évitée. Avec un AK-47, l'héroïne qui sommeille en chaque institutrice américaine aurait pu abattre le criminel fou. N'est-ce pas ce que nous enseignent chaque semaine le plus récent blockbuster d'action super-héroïque ou le tout dernier jeu vidéo ultra-violent? Ce qui m'a le plus sidéré dans les déclarations sobrement visionnaires de Wayne Lapierre, c'est qu'il s'est par ailleurs permis d'affirmer qu'il fallait aussi blâmer les industries du cinéma et du jeu vidéo… La contradiction, c'est comme les pires démangeaisons: plus on gratte et plus ça pique.

Pouvais-je laisser s'écouler paisiblement des vacances si parfaitement épuisantes sans travailler en plus d'arrache-pied à contredire le représentant de la NRA? Non, bien sûr. Mais qu'allais-je faire? Qu'allais-je dire? Quelle méthode devais-je employer pour établir la vacuité des propos de Wayne Lapierre? Quelles études scientifiques devais-je lire? Quels spécialistes, quels politiciens devais-je rencontrer? Dans quels États américains devais-je mener mon enquête? Ces questions, qui témoignent toutes d'un souci de rigueur et de professionnalisme essentiel à tout blogueur digne de ce nom, ne me sont en fait jamais venues à l'esprit. Ma méthode fut beaucoup plus rigoureuse, beaucoup plus exigeante. J'ai décidé de m'attaquer à la vaste question de l'influence néfaste des jeux vidéo ultra-violents sans sortir de chez moi. Le 22 décembre 2012, j'ai donc pris mon courage à deux mains, ainsi que deux litres de Coca-Cola Save-The-Rainforest™ et un sac format professionnel de Doritos Ultra-Spicy-From-Hell™. Je suis descendu dans le pittoresque sous-sol semi-fini de mon logement montréalais (lui-même situé dans un immeuble de style Bonheur d'occasion tout désigné pour un enseignant en littérature et isolé selon les normes les plus strictes de l'époque Duplessis). Je me suis confortablement écrasé dans le fauteuil quarantenaire et brinquebalant que mes parents m'ont légué en héritage préventif. J'ai allumé ma télévision. Et j'ai joué à Grand Theft Auto IV.

À en croire les dénonciateurs auto-patentés du jeu vidéo ultra-violent, ce serait le pire jeu de tous les temps. Le plus gratuitement violent. Le plus moralement irresponsable. Le plus criminellement influent. Et ce jeu monstrueux, j'y ai joué, et joué, et joué. Pendant des dizaines et des dizaines d'heures consécutives. Au plus grand mépris de ma santé physique ou mentale et à l'encontre des principes les plus élémentaires de l'hygiène humaine ou animale. Quand ma tendre épouse descendait au-sous sol pour me nourrir, me nettoyer ou changer mes couches, je devinais à son regard empreint de lassitude tout le ressentiment qu'elle éprouvait envers cette NRA qui m'avait forcé à accomplir une tâche si exigeante, mais je n'avais besoin d'aucun signe pour deviner à quel point elle devait être fière de moi. Et j'ai joué, et j'ai joué, et j'ai joué. Suis-je devenu plus violent? Ai-je ressenti le besoin d'acheter des armes d'assaut? Serai-je désormais et pour le reste de mes jours un criminel fou? Vais-je tout massacrer partout sur mon passage? C'est ce que je vais vous dire…

…la semaine prochaine. Vous devrez malheureusement attendre un peu, je ne peux pas vous écrire davantage aujourd'hui. Ça sonne à la porte. Ce sont des policiers. Ils sont une dizaine. Ils espèrent probablement m'arrêter. J'ai quelques surprises pour eux. Les pauvres...


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1 commentaire:

  1. OMG !!!

    Quel texte savoureux ! Je dirais même : Creamy-ranch-n-sweet-n-sour-candy pop ! Du Rabelais trashy !

    Je me fais languir jusqu'à demain pour la suite !

    J

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