J'ai vu l'affiche du récent film de Guy Laliberté,
Toucher le ciel. Je ne suis pas allé
le voir et je n'irai pas le voir. Lorsqu'il sera disponible au club vidéo, je
n'en louerai pas une copie. Lorsqu'il jouera gratuitement un dimanche soir sur
l'une des chaînes de Radio-Canada, même si je suis trop fatigué pour écrire,
cuisiner ou faire l'amour, même si je tiens absolument à ne rien faire d'autre
qu'écouter la télévision, et même s'il n'y a rien de mieux qu'un hommage TVA au courage et à la détermination des femmes d'Occupation
Double, je n'écouterai pas Toucher le
ciel. Le film est peut être réussi, je l'ignore et ne m'en remets pas aux
critiques déçus. Les images sont probablement saisissantes et le message est très
certainement édifiant. Mais je n'aime pas ne pas aimer les gens et je crains
qu'après ce film, j'aimerai moins Guy Laliberté. En fait je l'aime déjà un peu moins
depuis que j'ai vu l'affiche.
Source : cinoche.com |
« L'expérience unique de Guy Laliberté dans l'espace »
serait « le rêve d'une génération »! Rien de moins! Wow! Quand on relit, on
réalise tout de même que le message n'est pas clair. Est-ce que Guy Laliberté
prétend avoir exaucé le rêve d'une génération? Autrement dit, maintenant qu'un
clown parti de rien s'est payé un rush d'adrénaline de 35 millions, nous
pourrons tous enfin mourir satisfaits. Je sais que selon les riches, la
richesse des riches apporte la richesse aux non-riches, mais de là à soutenir
que le spectacle de leurs dépenses orgiaques nous apporterait aussi jouissance
et contentement, il y a un petit pas sur la lune que je n'ai pas les moyens de
me payer. Guy Laliberté se vanterait-il plutôt d'avoir accompli ce que toute
une génération ne pourra jamais que rêver d'accomplir? Bravo Guy! Bravo! Merci
de n'épargner aucun moyen pour nous le rappeler. Merci de supposer que les
Terriens sont trop angéliques pour éprouver de l'envie et du ressentiment.
J'aimerais aussi qu'on me dise de quelle génération Guy Laliberté aurait-il si
héroïquement exaucé ou accompli le rêve. Parce que ma génération ne rêve pas de
toucher le ciel. Ma génération est peut-être la première à vouloir vivre sur
terre.
Vivre sur terre, vouloir vivre sur terre, c'est beaucoup moins facile qu'on pense. Je sais que des argumentateurs très subtils voudront me rétorquer : « Philippe, Philippe, Philippe… Je sais que tu ne connais pas grand chose à la géographie et à l'astronomie, mais tu ne peux quand même pas ignorer que tout le monde vit sur la Terre. Tout Le MonDe. Ce n'est pas difficile, ce n'est même pas facile, c'est carrément inévitable ». Au contraire, mes amis, au contraire! Durant ma courte vie, j'ai surtout rencontré des gens qui ne vivaient pas sur terre, qui ne voulaient pas vivre sur terre. Des gens qui vivaient à l'intérieur d'une bulle, sur la Lune, en enfer ou dans un bungalow. Des gens qui voulaient vivre au sein d'une économie de marché, sur une autre planète, au Ciel ou dans un bungalow. (À ma famille et à mes amis banlieusards : je n'ai rien contre les bungalows, tant qu'ils ont des portes et des fenêtres…) Mais de plus en plus, je rencontre des gens qui vivent, qui veulent vivre autrement, sur terre. Peu importe leur âge, ces gens sont de ma génération.
Et que veut cette génération ? Que veut dire pour elle vivre
sur terre? Ça veut dire vivre dans le même monde que tous les autres, le partager
dans tous les sens du terme. Être présent à ce qui est devant
nous, à ce qui nous entoure, à ce qui arrive. Refuser les tristes
et fausses nécessités dans lesquelles on voudrait parfois nous faire vivre. S'imposer des limites dans un monde fini plutôt qu'aspirer à une
croissance infinie dans un monde en ruines. Faire des rêves qu'on
espère réellement réaliser et qu'on espère réaliser avec ses propres forces,
sans forcer celles d'autrui. Ne rien attendre d'autre du ciel que
du soleil, de la pluie et parfois quelques spectacles magnifiques. Je sais bien
que Guy Laliberté et sa génération sont capables de comprendre tout cela.
Enfin, une bonne partie de tout cela... Je sais que vue du ciel, la Terre
est d'une beauté qui devrait nous la rendre précieuse. Que Toucher le ciel, c'est essayer de toucher tout le monde quant à la
fragilité de la Terre. Mais il ne s'agit plus pour ma génération d'être
sensibilisé à la Terre. Il s'agit d'y vivre, et pour y vivre, il faut aussi
apprendre à voir les choses dans une perspective terrestre.
Sur terre, ce qui vu du ciel est insignifiant a tendance
à paraître un peu plus gros, ce qui vu du ciel est sublime a tendance à
paraître beaucoup moins joli. Sur terre, le ciel n'est souvent pas bleu,
il est gris-smog, et il le devient malheureusement un peu plus chaque jour. Aussi
bien intentionnée soit-elle, une fusée ne va pas changer cela. Sur terre,
le magnifique chapelet qui la nuit illumine les continents, ce sont des
lampadaires sur des autoroutes embouteillées, ce sont des enseignes nous
invitant à consommer davantage, ce sont des foyers où l'on compte trop souvent
jusque tard dans la nuit combien d'argent il nous reste. Aussi bien
intentionnée soit-elle, une fusée ne va pas changer cela. Sur terre, la
pauvreté, invisible depuis l'espace, invisible trop souvent même depuis un penthouse ou une maison sur le Mont-Royal, est très apparente. Et cette pauvreté
n'a aucune leçon de sensibilité à recevoir de riches philanthropes qui ne
vivent plus sur la même planète que nous. Quand ils pourront se payer des
voitures hybrides ou des maisons hypermodernes, les pauvres prendront soin de
la terre. En attendant, leur pauvreté demeure moins polluante que bien des richesses. Aussi bien intentionnée soit-elle, une fusée ne va pas changer cela.
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