C'est pourquoi ma conscience est tout à fait tranquille
aujourd'hui: je sais que ce n'est pas du tout pour vous imposer mes croyances
ou ma foi que je me permets ici d'énoncer l'évidence suivante.
Dieu existe.
C'est évident parce que c'est vrai. Et c'est vrai par que c'est certain. Et pour clouer le bec aux mécréantes et mécréants à qui Dieu n'a pas donné la grâce de voir venir la suite, je conclurai ainsi mon raisonnement: c'est certain parce que c'est vraiment évident. C.Q.F.D.
Bien entendu, il ne faudrait pas aller jusqu'à dire que Dieu
existe beaucoup... Par exemple, il n'existe pas autant que vous ou moi lorsque
nous rions et réfléchissons ou lorsque nous donnons une chance à un projet inouï et
improbable de voir le jour. Il n'existe pas autant que le vent qui soufflera
bientôt sur les dégels d'avril, emportant avec lui des espoirs vagues pour
quelques cœurs qui se cherchent encore. Il n'existe pas autant que le moindre
des cailloux, sans valeur pour qui que ce soit et enfoui à jamais dans les
replis les plus sombres et les plus profonds d'une planète lointaine, sur laquelle aucun regard ne se posera jamais. Il n'existe même pas tout à fait autant qu'un objet purement virtuel,
comme un cercle ou une droite, il existe moins qu'un objet aussi irréalisable qu'une fonction transcendante dans le plan complexe.
Dieu existe tout de même pas mal. Il existe par exemple beaucoup plus que la plupart de ses rivaux
surnaturels, qui contrairement à lui ont accompli depuis longtemps le déclin millénaire qui les a arrachés aux splendeurs de l'Olympe pour les précipiter dans les mystères du mythe, dans la facilité de l'allégorie, dans la désuétude du cliché, dans l'oubli presque complet. Nul ne craint plus le puissant Jupiter et nos passions les plus irrésistibles ne doivent rien de plus à Mars ou Vénus qu'un livre inutile de plus. Mais on craint encore Dieu, comme on lui doit encore bien des remords. Et c'est pourquoi, malgré
toute la promotion qui sera faite, Dieu existera toujours plus encore que Thor
l'invincible ou la verte Gaïa, plus que le Monstre en Spaghetti volant, plus que la Force. Dieu
existera peut-être toujours assez pour éclipser un peu cette bonne nouvelle annoncée il y a
de cela près de 2000 ans par un homme bien difficile à comprendre. Dieu existe, et c'est un fait, plus que l'amour du prochain, plus
que le partage, plus que le don. Il existe presque autant que son principal rival surnaturel, le Capital avec
un grand C.
Mais Dieu n'existe qu'à peu près. Comme l'ensemble de tous les ensembles. Comme le système démocratique parfait. Ou comme le monstre de Frankenstein. Ses membres existent, mais son corps ne peut pas tenir tout seul, sans intervention... humaine. Puissance, amour et vérité; omnipotence, omniprésence et omniscience; le Père, le Fils et le Saint-Esprit... Dieu ne se présente toujours à nous qu'en pièces mal assorties, promesses intenables d'intégrité absolue. Pour mériter l'infini privilège de contempler un seul instant le visage de Dieu, il faut renoncer à jamais au non moins louable privilège de voir ses fesses. On peut l'aimer, mais il faut aussi le craindre, comme ces amis trop orgueilleux ou trop pitoyables, qu'on n'ose jamais remettre en question. On ne peut même pas admirer Dieu et tenter de faire comme lui. Dieu ne fut-il pas autrefois le plus audacieux des artistes? Le monde entier n'est-il pas sa création? Il est depuis longtemps devenu le plus réactionnaire des conservateurs. Sa vie éternelle est un musée où il n'expose que ses propres oeuvres à sa propre lumière éternelle; tout le reste, tout ce que l'homme fait sans lui doit aller se faire oublier pour de bon au sous-sol, être brûlé éternellement. Comme le disait infailliblement Benoit XVI, « L'Enfer est une possibilité réelle », « L'Enfer existe vraiment », « L'Enfer existe éternellement ». Inutile d'espérer que Satan prenne sa retraite. Dieu aussi veille sur l'Enfer.
Dieu existe même là où on le nie. Il existe dès que le monde devient oeuvre. Dès que tout tient assez bien, très bien, parfaitement bien tout seul. Dès qu'une chose qui se crée devient connue. Dès qu'on trace la ligne. Dès que ça suffit. Il est la porte verrouillée à triple tour devant les mystères auxquels on n'apprend rien sans y participer. Ne touchez pas à mes atomes! Ne touchez pas mes gènes! Ne touchez pas à mes hommes! C'est la crainte du pire qui nous interdit de prévenir le pire par nous-même. Il se cache et agit un peu partout non seulement dans nos religions, mais dans nos philosophies, dans nos sciences et dans nos démocraties, dont on ne comprend pas assez tout ce qu'elles doivent à l'incertain. Et c'est pourquoi la plupart des athées lui vouent le plus pervers des cultes. Je suis catholique. J'ai été baptisé. J'ai cru en Dieu durant toute mon enfance. Je n'y crois maintenant plus du tout. Et malgré le peu que cela puisse vouloir dire ensuite, je me considère encore comme un chrétien. Tellement chrétien qu'on me condamnerait comme hérétique si j'en valais la peine. Et pour que nul ne doute de ma sincérité, j'aimerais faire comme le Christ et terminer cette longue homélie par une parabole...
Un vieillard sur le point de mourir légua à ses trois fils maçons
une carrière merveilleuse, où les
blocs de pierre les plus réguliers et les plus solides pouvaient être extraits et
taillés sans effort d'un fond rocheux en apparence inépuisable. « Je vais
bientôt mourir. J'aimerais que vous bâtissiez une demeure sûre et agréable pour
mes derniers jours. Prenez toutes les pierres qu'il vous faut, je vous donne
tout et ne vous demanderai plus jamais rien d'autre. »
Le premier fils construisit la plus indestructible des pyramides.
« Pour vos derniers jours, j'ai voulu vous offrir un abri que nul ne viendra
jamais troubler. Les murs sont assez étanches et épais pour résister aux plus
brûlants météores, aux plus violentes tempêtes, aux plus terribles déluges et
aux pires tremblements de terre. J'ai fait peindre sur les parois de l'unique chambre intérieure
toutes les choses visibles. J'y ai fait écrire tous les mots employés par tous les
hommes depuis que le monde existe. Rien ne vous manquera plus jamais. Rien ne pourra plus jamais vous atteindre. »
Le fils alluma une chandelle, la donna à son père, puis laissa ce dernier pénétrer
la pyramide par une mince ouverture qu'il scella ensuite de sa pierre la plus
solide et la mieux taillée. Nul ne sait ce qui arriva au père ensuite.
Le second fils construisit la plus inébranlable des tours. «
Pour vos derniers jours, j'ai voulu vous offrir une position que nul ne pourra
jamais attaquer. Plus haute que les étoiles, cette tour a des fondations plus
profondes encore que les racines du monde. Il n'y a pas de météore, pas de tempête,
pas de déluge, pas de tremblement de terre que vous ne verrez venir longtemps d'avance. Vous pourrez réagir à tout: les innombrables étages de cette
tour recèlent toutes les machines, toutes les armes imaginables. Ils recèlent
aussi tous les jeux, tous les jouets. Vous pourrez faire ce que vous voudrez. Rien ne pourra plus jamais vous résister ». Le fils donna une cane au père et l'invita à tenter l'ascension de la tour. « Adieu, mon père. Quant à moi, j'essaierai de voir jusqu'où l'on peut descendre ». Nul ne sait jusqu'où le père ou son fils parvinrent à se rendre.
Le troisième fils construisit le plus insoluble des labyrinthes.
« Pour vos dernier jours, j'ai voulu
vous offrir un monde que nul ne pourra jamais épuiser. Il n'y a pas un lieu sur
terre, beau ou laid, paisible ou violent, qui ne soit pas enceint par les
parois de ce labyrinthe, qui n'a ni entrée ni sortie. J'ai fait construire un
peu partout des murs, des toits, des chambres ou des tunnels; j'ai érigé ça et là tout un
réseau d'abris sûrs contre la plupart des météores, des tempêtes, des
déluges ou des tremblements de terre. Si vous cherchez assez longtemps, vous
trouverez des potagers, des jardins, des parcs, des zoos, des prairies, des
forêts, des déserts. Allons où vous voulez. Nul ne peut peut dire ce que nous rencontrerons. » Le fils donna la main à son père et il l'accompagna dans les méandres de ce labyrinthe où ils n'étaient pas entrés et dont ils ne sortirent jamais. Qui sait ce qu'ils y virent?
Si vous aimez, partagez.
Si vous aimez, partagez.
Dieu, principe d'ouverture et de fermeture, de vie et de mort, de mouvement et de stase... C'est toute l'ambiguïté du sacré qui se joue ici !
RépondreSupprimerJ'aime particulièrement la parabole, où l'on voit bien la facture borgésienne de ton imaginaire... J'ai hâte d'en discuter le sens !
J