jeudi 21 février 2013

Pardonnons-lui, car il ne sait pas ce que nous faisons...

J'aimerais ici clarifier quelques malentendus tout à fait justifiés (je n'irais pas jusqu'à dire que je les ai volontairement entretenus…) que mes écrits récents auraient pu faire naître quant à mes croyances religieuses ou métaphysiques. Comme il y a longtemps que j'ai décidé de ne croire qu'en des choses bien innocentes, qui n'ont pas du tout le pouvoir d'être vraies ou fausses, qui n'ont pas les contacts qu'il faut pour exister, qui ont à peine les moyens d'être sensées, rien ne pourra vraisemblablement jamais arriver pour transformer ces croyances en ce que certains philosophes du XXe siècle auraient appelé un peu vite des connaissances. Je n'aurai jamais foi qu'en l'incertain…

C'est pourquoi ma conscience est tout à fait tranquille aujourd'hui: je sais que ce n'est pas du tout pour vous imposer mes croyances ou ma foi que je me permets ici d'énoncer l'évidence suivante.

Dieu existe.
















C'est évident parce que c'est vrai. Et c'est vrai par que c'est certain. Et pour clouer le bec aux mécréantes et mécréants à qui Dieu n'a pas donné la grâce de voir venir la suite, je conclurai ainsi mon raisonnement: c'est certain parce que c'est vraiment évident. C.Q.F.D.
 
Bien entendu, il ne faudrait pas aller jusqu'à dire que Dieu existe beaucoup... Par exemple, il n'existe pas autant que vous ou moi lorsque nous rions et réfléchissons ou lorsque nous donnons une chance à un projet inouï et improbable de voir le jour. Il n'existe pas autant que le vent qui soufflera bientôt sur les dégels d'avril, emportant avec lui des espoirs vagues pour quelques cœurs qui se cherchent encore. Il n'existe pas autant que le moindre des cailloux, sans valeur pour qui que ce soit et enfoui à jamais dans les replis les plus sombres et les plus profonds d'une planète lointaine, sur laquelle aucun regard ne se posera jamais. Il n'existe même pas tout à fait autant qu'un objet purement virtuel, comme un cercle ou une droite, il existe moins qu'un objet aussi irréalisable qu'une fonction transcendante dans le plan complexe.

Dieu existe tout de même pas mal. Il existe par exemple beaucoup plus que la plupart de ses rivaux surnaturels, qui contrairement à lui ont accompli depuis longtemps le déclin millénaire qui les a arrachés aux splendeurs de l'Olympe pour les précipiter dans les mystères du mythe, dans la facilité de l'allégorie, dans la désuétude du cliché, dans l'oubli presque complet. Nul ne craint plus le puissant Jupiter et nos passions les plus irrésistibles ne doivent rien de plus à Mars ou Vénus qu'un livre inutile de plus. Mais on craint encore Dieu, comme on lui doit encore bien des remords. Et c'est pourquoi, malgré toute la promotion qui sera faite, Dieu existera toujours plus encore que Thor l'invincible ou la verte Gaïa, plus que le Monstre en Spaghetti volant, plus que la Force. Dieu existera peut-être toujours assez pour éclipser un peu cette bonne nouvelle annoncée il y a de cela près de 2000 ans par un homme bien difficile à comprendre. Dieu existe, et c'est un fait, plus que l'amour du prochain, plus que le partage, plus que le don. Il existe presque autant que son principal rival surnaturel, le Capital avec un grand C.





















Mais Dieu n'existe qu'à peu près. Comme l'ensemble de tous les ensembles. Comme le système démocratique parfait. Ou comme le monstre de Frankenstein. Ses membres existent, mais son corps ne peut pas tenir tout seul, sans intervention... humaine. Puissance, amour et vérité; omnipotence, omniprésence et omniscience; le Père, le Fils et le Saint-Esprit... Dieu ne se présente toujours à nous qu'en pièces mal assorties, promesses intenables d'intégrité absolue. Pour mériter l'infini privilège de contempler un seul instant le visage de Dieu, il faut renoncer à jamais au non moins louable privilège de voir ses fesses. On peut l'aimer, mais il faut aussi le craindre, comme ces amis trop orgueilleux ou trop pitoyables, qu'on n'ose jamais remettre en question. On ne peut même pas admirer Dieu et tenter de faire comme lui. Dieu ne fut-il pas autrefois le plus audacieux des artistes? Le monde entier n'est-il pas sa création? Il est depuis longtemps devenu le plus réactionnaire des conservateurs. Sa vie éternelle est un musée où il n'expose que ses propres oeuvres à sa propre lumière éternelle; tout le reste, tout ce que l'homme fait sans lui doit aller se faire oublier pour de bon au sous-sol, être brûlé éternellement. Comme le disait infailliblement Benoit XVI, « L'Enfer est une possibilité réelle », « L'Enfer existe vraiment », « L'Enfer existe éternellement ». Inutile d'espérer que Satan prenne sa retraite. Dieu aussi veille sur l'Enfer.

















Dieu existe même là où on le nie. Il existe dès que le monde devient oeuvre. Dès que tout tient assez bien, très bien, parfaitement bien tout seul. Dès qu'une chose qui se crée devient connue. Dès qu'on trace la ligne. Dès que ça suffit. Il est la porte verrouillée à triple tour devant les mystères auxquels on n'apprend rien sans y participer. Ne touchez pas à mes atomes! Ne touchez pas mes gènes! Ne touchez pas à mes hommes! C'est la crainte du pire qui nous interdit de prévenir le pire par nous-même. Il se cache et agit un peu partout non seulement dans nos religions, mais dans nos philosophies, dans nos sciences et dans nos démocraties, dont on ne comprend pas assez tout ce qu'elles doivent à l'incertain. Et c'est pourquoi la plupart des athées lui vouent le plus pervers des cultes. Je suis catholique. J'ai été baptisé. J'ai cru en Dieu durant toute mon enfance. Je n'y crois maintenant plus du tout. Et malgré le peu que cela puisse vouloir dire ensuite, je me considère encore comme un chrétien. Tellement chrétien qu'on me condamnerait comme hérétique si j'en valais la peine. Et pour que nul ne doute de ma sincérité, j'aimerais faire comme le Christ et terminer cette longue homélie par une parabole...

Un vieillard sur le point de mourir légua à ses trois fils maçons une carrière merveilleuse, où les blocs de pierre les plus réguliers et les plus solides pouvaient être extraits et taillés sans effort d'un fond rocheux en apparence inépuisable. « Je vais bientôt mourir. J'aimerais que vous bâtissiez une demeure sûre et agréable pour mes derniers jours. Prenez toutes les pierres qu'il vous faut, je vous donne tout et ne vous demanderai plus jamais rien d'autre. »

Le premier fils construisit la plus indestructible des pyramides. « Pour vos derniers jours, j'ai voulu vous offrir un abri que nul ne viendra jamais troubler. Les murs sont assez étanches et épais pour résister aux plus brûlants météores, aux plus violentes tempêtes, aux plus terribles déluges et aux pires tremblements de terre. J'ai fait peindre sur les parois de l'unique chambre intérieure toutes les choses visibles. J'y ai fait écrire tous les mots employés par tous les hommes depuis que le monde existe. Rien ne vous manquera plus jamais. Rien ne pourra plus jamais vous atteindre. » Le fils alluma une chandelle, la donna à son père, puis laissa ce dernier pénétrer la pyramide par une mince ouverture qu'il scella ensuite de sa pierre la plus solide et la mieux taillée. Nul ne sait ce qui arriva au père ensuite.

Le second fils construisit la plus inébranlable des tours. « Pour vos derniers jours, j'ai voulu vous offrir une position que nul ne pourra jamais attaquer. Plus haute que les étoiles, cette tour a des fondations plus profondes encore que les racines du monde. Il n'y a pas de météore, pas de tempête, pas de déluge, pas de tremblement de terre que vous ne verrez venir longtemps d'avance. Vous pourrez réagir à tout: les innombrables étages de cette tour recèlent toutes les machines, toutes les armes imaginables. Ils recèlent aussi tous les jeux, tous les jouets. Vous pourrez faire ce que vous voudrez. Rien ne pourra plus jamais vous résister ». Le fils donna une cane au père et l'invita à tenter l'ascension de la tour. « Adieu, mon père. Quant à moi, j'essaierai de voir jusqu'où l'on peut descendre ». Nul ne sait jusqu'où le père ou son fils parvinrent à se rendre.

Le troisième fils construisit le plus insoluble des labyrinthes. « Pour vos dernier jours, j'ai voulu vous offrir un monde que nul ne pourra jamais épuiser. Il n'y a pas un lieu sur terre, beau ou laid, paisible ou violent, qui ne soit pas enceint par les parois de ce labyrinthe, qui n'a ni entrée ni sortie. J'ai fait construire un peu partout des murs, des toits, des chambres ou des tunnels; j'ai érigé ça et là tout un réseau d'abris sûrs contre la plupart des météores, des tempêtes, des déluges ou des tremblements de terre. Si vous cherchez assez longtemps, vous trouverez des potagers, des jardins, des parcs, des zoos, des prairies, des forêts, des déserts. Allons où vous voulez. Nul ne peut peut dire ce que nous rencontrerons. » Le fils donna la main à son père et il l'accompagna dans les méandres de ce labyrinthe où ils n'étaient pas entrés et dont ils ne sortirent jamais. Qui sait ce qu'ils y virent?
















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1 commentaire:

  1. Dieu, principe d'ouverture et de fermeture, de vie et de mort, de mouvement et de stase... C'est toute l'ambiguïté du sacré qui se joue ici !

    J'aime particulièrement la parabole, où l'on voit bien la facture borgésienne de ton imaginaire... J'ai hâte d'en discuter le sens !

    J

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