dimanche 10 juin 2012

Une division ? Quelle division ?


J'ignore si c'est parce que ça fait paraître plus intelligent de discuter des choses en cours comme si elles étaient déjà achevées, mais on parle souvent, on parle en fait presque depuis le début de l'impact durable de la crise étudiante sur le Québec.

L'impact serait d'abord politique. Souhaitons-le, mais rien n'est moins certain. On a dit avant la crise que le PQ allait marquer assez de points pour former le prochain gouvernement. Puis on a dit que la persévérance impopulaire du mouvement étudiant aiderait plutôt le PLQ à gagner les prochaines élections. On dit maintenant que Québec Solidaire et le PQ ne sont pas prêts à joindre leurs forces pour battre le PLQ. C'est connu, l'avenir change tous les jours. Ce qui est certain, c'est que Jean Charest ne perdra pas les prochaines élections sans que d'autres ne les gagnent. J'assume que vous comprenez un peu pourquoi, et ce que ça signifie.

L'impact serait aussi et surtout social. On parle continuellement de la division du Québec, qui serait désormais bipolaire et radicalisé. Partout régneraient méfiance et intolérance : entre la droite et la gauche, entre Québec et Montréal, entre les régions et la ville, entre les travailleurs et ceux qui sont payés à ne rien faire, qu'il s'agisse des étudiants, des enseignants ou des artistes. Pour résumer : entre le vrai-monde-ordinaire-contribuable-plein-de-bon-sens et tous les autres nuls. Il y a certainement moyen de prouver par de beaux sondages méthodologiquement rigoureux l'adhésion plus ou moins forte ou émotive au mouvement étudiant de telle ou telle fraction de la population, contre telle ou telle autre fraction de la population qui prendrait plutôt pour le gouvernement.

Il me semble pourtant qu'on passe ainsi à côté de l'essentiel. On fait de la politique un sport. On fait de la société québécoise un public partisan et rien de plus. Les Québécois ne sont pas de simples spectateurs de cette crise, qui n'est pas non plus une partie de hockey ayant viré accidentellement en bagarre générale, puis en émeute publique. Il n'y a pas deux équipes distinctes, disons les rouges de Looserville, division urbaine, et les verts de Fuckingrichtown, division régionale, qui s'affronteraient pour gagner une partie avec des joueurs plus ou moins talentueux et en santé, avec des spectateurs plus ou moins nombreux et volubiles. La conversation suivante n'aura jamais lieu.

Commentateur sportif compétent – Les rouges vont perdre, c'est certain : les joueurs sont moins payés, ils ont moins d'expérience, ils travaillent pas assez fort, ils donnent pas leur 110% en troisième période, ils ont trois entraîneurs qui les dirigent tout croches, ils jouent pas dans leur aréna, l'arbitre est contre eux, le public aussi est contre eux.
Commentateur sportif étrange – Les rouges vont gagner parce qu'ils ont raison, parce que leur cause est juste, parce qu'ils ne veulent rien moins que réinventer le hockey.
Public non sans raison décontenancé – Whadefuck???

Expliquer la vie sociale et politique comme s'il s'agissait d'un sport, c'est à dire en termes de victoire et de défaite, et le faire en fonction des caractéristiques « objectives » des « joueurs » et des « spectateurs », que ces caractéristiques soient démographiques, économiques ou socioculturelles, ne nous aide pas à mieux comprendre ni à mieux participer à cette vie sociale et politique. La politique ne ressemblera à une partie de hockey que lorsque les joueurs pourront déterminer par leur jeu sur la glace non seulement le score, mais la durée de la partie, les dimensions de la patinoire, le nombre de joueurs par équipe, les règles elles-mêmes. La société ne ressemblera à un public de hockey que lorsque les spectateurs, au centre Bell comme à la maison, pourront intervenir sur la partie autrement que par leurs cris. Vaut mieux attendre que Québec ait son équipe, mais je ne veux pas paraître partisan...

Si l'on tenait absolument à résumer le conflit étudiant en termes sportifs, il faudrait plutôt s'y prendre ainsi :


         Ils étaient quatre qui voulaient se battre
         Contre trois qui ne voulaient pas
         Et les quatre qui voulaient se battre
         Dirent au trois qui ne voulaient pas
         Nous sommes quatre qui voulons nous battre
         Contre trois qui ne veulent pas

Ceux qui ont accusé Passe-Partout de dorloter avec des tout-le-monde-il-est-gentil l'amour-propre hypertrophié d'enfants-rois ont manqué quelques épisodes. Je ne me suis toujours pas remis de cette comptine aussi brutalement cynique. Toujours est-il que réduire la division des Québécois à une lutte déterminée par les seuls critères démographiques, économiques ou socio-culturels, c'est donner une victoire beaucoup trop facile aux quatre qui voudraient se battre. Il n'est pas certain que les quatre sauront unir leurs forces et ne se battront pas plutôt les uns les autres. Il n'est pas non plus certain que les trois ne sauront pas se défendre malgré leur refus de se battre. Il n'est pas certain qu'après quelques coups, l'un des quatre ne décidera pas finalement qu'il ne veut plus se battre. Enfin il n'est pas certain que les trois ne vivront pas plus longtemps que les quatre. Rien n'est certain, mais il arrive parfois qu'on en sache trop et qu'on l'oublie. 


Ce que nous rappelle la comptine de Passe-Partout, c'est qu'il n'y a qu'une seule division qui compte. Il n'y a qu'une seule division qui nous permette de comprendre la situation actuelle tout en y participant, et cette division a pour sujet la division elle-même. C'est une MÉTA-division!!! Elle partage ceux qui contribuent, volontairement ou non, au maintien et au renforcement de cette division, et ceux qui entendent la réduire, l'abolir. D'un côté on veut la division, on veut la réussite des uns et l'échec des autres, on veut le mépris des premiers et le ressentiment des derniers. De l'autre côté on souhaite la participation, on souhaite la réussite de tous sans laquelle l'échec est celui de chacun, on souhaite l'amour des autres, qui est aussi parfois colère contre ceux qui veulent les écraser. Entre ces deux côtés, ce n'est pas une partie qui se joue, mais l'histoire, celle qu'on crée en agissant avec les autres. La division peut remporter autant de parties qu'elle veut, l'histoire appartient quand même à ceux qui y participent.

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