mardi 31 juillet 2012

L'Olympisme pour les nuls

Je dois avouer que c'est en tremblant d'une émotion presque sacrée que je m'apprête à écrire aujourd'hui. Le sujet est trop grand, trop beau, trop émouvant! En fait, le sujet est rien moins que sublime! Oui, sublime! Plus sublime que le plus haut des sommets, plus encore que l'océan le plus vaste, plus même que l'Océan lui-même, cet Océan unique d'avant les Grandes découvertes, gardien des profondeurs inconnues comme des limites infranchissables d'une terre encore plate. Pour être plus moderne, je dirais que le sujet que je m'apprête à discuter est encore plus sublime que le silence infini des espaces intersidéraux dont les Neil Armstrong, Guy Laliberté et autres Tom Hanks de ce monde n'ont à peine qu'exploré le seuil. Si sublime qu'il m'aura fallu quelques jours de convalescence spirituelle pour essuyer le choc causé par l'omniprésence médiatique de ce sujet trop bouleversant pour être jamais d'actualité. Méfiez vous d'ailleurs de tout ce qu'on vous a dit jusqu'à maintenant à ce sujet. De même qu'on ne peut pas parler de la Fin des temps et l'avoir vécue, j'irais jusqu'à dire que quiconque a su trouver les mots pour en parler dès la cérémonie d'ouverture n'a pas vraiment vécu les Jeux Olympiques.

Je dois aussi avouer qu'il s'agit d'un sujet très personnel. Si vous me lisez, c'est que vous connaissez mon amour pour l'amateurisme. Vous ignorez pourtant sûrement que cet amour m'a été inspiré dès le plus jeune âge par l'Olympisme lui même, qui n'est rien d'autre qu'une célébration de l'amateurisme sportif, modèle de tous les autres amateurismes. Mes amis savent à quel point j'aime le sport, le sport de compétition surtout, bien entendu. Rien de tel que de rivaliser entre égaux! J'ai été un enfant très sportif et quand j'allais être grand, le sport allait être mon métier, tel devait être mon destin. J'en ai rêvé toute les nuits, m'inventant un futur de Mario Lemieux, de Tim Raines ou de Rocky Balboa. Malheureusement, mes amis savent aussi, même s'ils sont trop délicats pour m'en parler, que je n'ai jamais eu le physique d'un sportif professionnel. J'ai été un enfant maigre et petit qui est devenu un adulte petit et bedonnant. Il paraît que le corps humain normal compte plus de six cent quarante muscles. La nature m'en a donné à peu près une quarantaine, la plupart autour de ma mâchoire. Le sport professionnel, ça n'a jamais été pour moi. Mon destin n'était qu'une illusion. La prise de conscience fut lente et douloureuse, mais je ne me suis pas acharné. Je n'en avais pas besoin. Dépourvu que j'étais du moindre potentiel, je pouvais toujours me rabattre sur l'Olympisme, qui me permettrait de poursuivre mes rêves de compétition sportive à un niveau plus modeste, celui de l'amateur.

C'est ainsi que j'ai pu participer aux Jeux d'Atlanta en 1996, gagnant même une médaille de bronze au 50 mètres de tricycle artistique. Le souvenir impérissable que je conserve de cet événement, ce n'est pas tant la fierté d'avoir pu prouver au monde entier mon excellence dans un domaine méconnu, mais l'atmosphère de franche camaraderie et d'égalité qui régnait entre les olympiens. Nous n'étions généralement pas particulièrement doués par la nature. Nous n'étions pas riches. Nous devions tous trouver le temps d'étudier, de travailler et de nous entraîner tout en conservant de bons rapports avec notre famille et nos amis, sans lesquels nous n'aurions pas pu prétendre au rôle de modèles pour l'ensemble de nos spectateurs qui devaient eux aussi travailler et s'occuper de leurs proches. Contrairement aux athlètes professionnels, aucun d'entre nous n'aurait pu se permettre de l'équipement ou un entraînement à la fine pointe de la science et de la technologie. Nous ne prenions aucune drogue, aucun stimulant, aucune hormone. Puisque nous n'étions pas payés, nous n'avions pas à rendre compte de nos performances ou de nos préférences sexuelles à des commanditaires. Et surtout, nous savions tous que la seule chose qui comptait, c'était l'effort et la détermination, dont nous devions donner l'exemple aux plus jeunes, et qui allaient nous permettre à tous une place au podium, quand bien même nous n'avions pas tous une chance de gagner une médaille d'or. Tout le monde sait qu'un olympien sans médaille, ça n'existe pas. Ma modeste médaille de bronze, ce n'est qu'une preuve à peine croyable que toute cette expérience humaine a bel et bien eu lieu.

Inspiré par cette expérience unique et pourtant accessible à tout jeune prêt à le se lever assez tôt le matin, je me suis éventuellement informé sur l'histoire des Jeux olympiques, constatant avec un émerveillement croissant leur rôle civilisateur et pacificateur dans l'histoire du XXe siècle. On oublie trop souvent à quel point l'olympisme a été pour Pierre de Coubertin d'abord et avant tout un moyen d'émanciper les peuples colonisés d'Afrique et d'Asie, mais peut-on ignorer la portée historique des Jeux de Berlin en 1936? Tout le monde craignait que le faste avec lequel ils allaient être tenus ne serve qu'à prouver de façon menaçante la puissance économique et militaire de l'Allemagne nazie. Qui pouvait deviner que le spectacle de Jessie Owens gagnant une médaille d'or au 100 mètre allait amener Adolf Hitler à remettre en question son idéologie raciste et à devenir l'un des plus ardents défenseurs de ce qui allait plus tard devenir l'ONU? Qui sait si un homme comme Hitler n'aurait pas pu provoquer, soyons fantaisistes, une autre Grande Guerre si ce n'avait été de l'influence pacifique des Jeux Olympiques? Personne n'ignore non plus le rôle des Jeux de Munich en 1972 dans la création d'un état palestinien libre et indépendant, en paix avec Israël, son principal partenaire économique depuis maintenant près de quarante ans. Quarante ans de paix maintenant mondiale entre juifs, chrétiens et musulmans! Et que dire des Jeux de Moscou en 1980, qui ont mis fin à la guerre froide et ont permis de montrer au monde entier que capitalistes ou communistes, nous étions tous des frères. Comme l'a dit si bien Francis Fukuyama, deux pays ayant un membre au CIO ne s'étant jamais fait la guerre, on peut supposer que la fin de l'Histoire est imminente.

Ici aussi, les Jeux Olympiques ont joué leur rôle historique. Je suis né en 1976, l'année des Jeux de Montréal. J'étais trop jeune pour comprendre ce qui se passait, mais on m'a expliqué comment l'événement avait été marquant dans l'histoire du Québec. Était-ce à cause de la fierté d'avoir reçu de façon un peu modeste, mais si accueillante, le monde entier dans sa Belle Province? Était-ce à cause du modèle de courage et de détermination qui lui avaient laissé tant d'athlètes remarquables? Toujours est-il que selon des historiens comme Pierre Falardeau et Jean-François Lisée, c'est à partir de 1976 que le Québec a pris confiance en soi et a décidé d'achever la Révolution tranquille par l'exploit le plus audacieux de son histoire : l'indépendance. Ils vont jusqu'à dire que sans les Jeux de Montréal, le Référendum de 1980 n'aurait pas été gagné par les souverainistes. Même si je crois plutôt qu'une nation aussi fière et courageuse que le Québec aurait inévitablement su trouver par elle-même le chemin de son indépendance, il ne fait aucun doute que c'est l'Olympisme qui lui a permis de faire ce chemin aussi rapidement. Tel n'est-il pas le sens des Jeux Olympiques? Par le spectacle d'une excellence démocratique et accessible à tous, inspirer pacifiquement les individus et les peuples de la terre à agir en collaborant les uns avec les autres, à devenir ce qu'ils peuvent être tout en reconnaissant l'égalité de tous.

En cette période olympique qui est aussi une période électorale, laissez-moi terminer par une remarque politique. Il serait intéressant que nos élections aient toujours lieu à date fixe, comme les Jeux Olympiques, et, pourquoi pas, qu'elles aient toujours lieu pendant ceux-ci. Non seulement une telle règle forcerait nos politiciens à faire preuve de plus de transparence dans leur manœuvres pré-électorale, mais le spectacle des Jeux leur inspirerait inévitablement ce fair-play qui fait si souvent défaut à notre démocratie. De plus, et c'est peut-être le plus important, le spectacle inspirant des Jeux amènerait certainement les électeurs à s'extraire pour de bon du confort de leurs sièges de salon pour aller voter « plus vite, plus haut, plus fort».

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3 commentaires:

  1. Les Olympiques ne servent pas à prouver l'égalité des individus, mais à démontrer la suprématie des nations qui elles, on le sait bien maintenant, ont aboli responsablement toute forme de discrimination et d'inégalités. C'est probant. Merci pour cet autre biais, euh, billet, qui montre ton habileté au poser de la plume comme au tricycle acrobatique.

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    1. En somme, nous sommes tous égaux dans notre droit de nous cacher l'inégalité...

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  2. La portée« historique» de l'Olympisme est enfin encesée pour ce que les Jeux (et je trouve dommage que l'auteur ne joue pas avec le concept de façon plus explicite; il faudrait croire qu'il assume que son lectorat est intelligent) olympique
    s sont réellement. À lire pour tous ceux et celles qui sont encore bouche-bée devant la cérémonie d'ouverture et aussi à ceux et celles qui, même fondamentalement et inexorablement souverainistes, ont un frisson de fierté lorsque le Canada remporte une médaille...

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