Je dois aussi avouer qu'il s'agit d'un sujet très personnel. Si vous me lisez, c'est que vous connaissez mon amour pour l'amateurisme. Vous ignorez pourtant sûrement que cet amour m'a été inspiré dès le plus jeune âge par l'Olympisme lui même, qui n'est rien d'autre qu'une célébration de l'amateurisme sportif, modèle de tous les autres amateurismes. Mes amis savent à quel point j'aime le sport, le sport de compétition surtout, bien entendu. Rien de tel que de rivaliser entre égaux! J'ai été un enfant très sportif et quand j'allais être grand, le sport allait être mon métier, tel devait être mon destin. J'en ai rêvé toute les nuits, m'inventant un futur de Mario Lemieux, de Tim Raines ou de Rocky Balboa. Malheureusement, mes amis savent aussi, même s'ils sont trop délicats pour m'en parler, que je n'ai jamais eu le physique d'un sportif professionnel. J'ai été un enfant maigre et petit qui est devenu un adulte petit et bedonnant. Il paraît que le corps humain normal compte plus de six cent quarante muscles. La nature m'en a donné à peu près une quarantaine, la plupart autour de ma mâchoire. Le sport professionnel, ça n'a jamais été pour moi. Mon destin n'était qu'une illusion. La prise de conscience fut lente et douloureuse, mais je ne me suis pas acharné. Je n'en avais pas besoin. Dépourvu que j'étais du moindre potentiel, je pouvais toujours me rabattre sur l'Olympisme, qui me permettrait de poursuivre mes rêves de compétition sportive à un niveau plus modeste, celui de l'amateur.
C'est ainsi que j'ai pu participer aux Jeux d'Atlanta en
1996, gagnant même une médaille de bronze au 50 mètres de tricycle
artistique. Le souvenir impérissable que je conserve de cet événement, ce n'est
pas tant la fierté d'avoir pu prouver au monde entier mon excellence dans un
domaine méconnu, mais l'atmosphère de franche camaraderie et d'égalité qui
régnait entre les olympiens. Nous n'étions généralement pas particulièrement doués
par la nature. Nous n'étions pas riches. Nous devions tous trouver le temps
d'étudier, de travailler et de nous entraîner tout en conservant de bons
rapports avec notre famille et nos amis, sans lesquels nous n'aurions pas pu
prétendre au rôle de modèles pour l'ensemble de nos spectateurs qui devaient eux aussi travailler et s'occuper de leurs proches. Contrairement
aux athlètes professionnels, aucun d'entre nous n'aurait pu se permettre de
l'équipement ou un entraînement à la fine pointe de la science et de la
technologie. Nous ne prenions aucune drogue, aucun stimulant, aucune hormone.
Puisque nous n'étions pas payés, nous n'avions pas à rendre compte de nos
performances ou de nos préférences sexuelles à des commanditaires. Et surtout,
nous savions tous que la seule chose qui comptait, c'était l'effort et la
détermination, dont nous devions donner l'exemple aux plus jeunes, et qui
allaient nous permettre à tous une place au podium, quand bien même nous
n'avions pas tous une chance de gagner une médaille d'or. Tout le monde sait
qu'un olympien sans médaille, ça n'existe pas. Ma modeste médaille de bronze,
ce n'est qu'une preuve à peine croyable que toute cette expérience humaine a
bel et bien eu lieu.
Inspiré par cette expérience unique et pourtant accessible à
tout jeune prêt à le se lever assez tôt le matin, je me suis éventuellement informé
sur l'histoire des Jeux olympiques, constatant avec un émerveillement croissant
leur rôle civilisateur et pacificateur dans l'histoire du XXe siècle.
On oublie trop souvent à quel point l'olympisme a été pour Pierre de Coubertin
d'abord et avant tout un moyen d'émanciper les peuples colonisés d'Afrique et
d'Asie, mais peut-on ignorer la portée historique des Jeux de Berlin en 1936?
Tout le monde craignait que le faste avec lequel ils allaient être tenus ne
serve qu'à prouver de façon menaçante la puissance économique et militaire de
l'Allemagne nazie. Qui pouvait deviner que le spectacle de Jessie Owens gagnant
une médaille d'or au 100
mètre allait amener Adolf Hitler à remettre en question
son idéologie raciste et à devenir l'un des plus ardents défenseurs de ce qui
allait plus tard devenir l'ONU? Qui sait si un homme comme Hitler n'aurait pas pu
provoquer, soyons fantaisistes, une autre Grande Guerre si ce n'avait été de l'influence pacifique des
Jeux Olympiques? Personne n'ignore non plus le rôle des Jeux de Munich en 1972
dans la création d'un état palestinien libre et indépendant, en paix avec
Israël, son principal partenaire économique depuis maintenant près de quarante
ans. Quarante ans de paix maintenant mondiale entre juifs, chrétiens et
musulmans! Et que dire des Jeux de Moscou en 1980, qui ont mis fin à la guerre
froide et ont permis de montrer au monde entier que capitalistes ou
communistes, nous étions tous des frères. Comme l'a dit si bien Francis
Fukuyama, deux pays ayant un membre au CIO ne s'étant jamais fait la guerre, on
peut supposer que la fin de l'Histoire est imminente.
Ici aussi, les Jeux Olympiques ont joué leur rôle
historique. Je suis né en 1976,
l 'année des Jeux de Montréal. J'étais trop jeune pour
comprendre ce qui se passait, mais on m'a expliqué comment l'événement avait
été marquant dans l'histoire du Québec. Était-ce à cause de la fierté d'avoir
reçu de façon un peu modeste, mais si accueillante, le monde entier dans sa Belle Province?
Était-ce à cause du modèle de courage et de détermination qui lui avaient
laissé tant d'athlètes remarquables? Toujours est-il que selon des historiens comme Pierre Falardeau et Jean-François Lisée, c'est à partir de 1976 que le Québec a
pris confiance en soi et a décidé d'achever la Révolution tranquille
par l'exploit le plus audacieux de son histoire : l'indépendance. Ils vont jusqu'à
dire que sans les Jeux de Montréal, le Référendum de 1980 n'aurait pas été
gagné par les souverainistes. Même si je crois plutôt qu'une nation aussi fière
et courageuse que le Québec aurait inévitablement su trouver par elle-même le
chemin de son indépendance, il ne fait aucun doute que c'est l'Olympisme qui
lui a permis de faire ce chemin aussi rapidement. Tel n'est-il pas le sens des
Jeux Olympiques? Par le spectacle d'une excellence démocratique et accessible à
tous, inspirer pacifiquement les individus et les peuples de la terre à agir en
collaborant les uns avec les autres, à devenir ce qu'ils peuvent être tout en
reconnaissant l'égalité de tous.
En cette période olympique qui est aussi une période
électorale, laissez-moi terminer par une remarque politique. Il serait
intéressant que nos élections aient toujours lieu à date fixe, comme les Jeux
Olympiques, et, pourquoi pas, qu'elles aient toujours lieu pendant ceux-ci. Non
seulement une telle règle forcerait nos politiciens à faire preuve de plus de
transparence dans leur manœuvres pré-électorale, mais le spectacle des Jeux
leur inspirerait inévitablement ce fair-play qui fait si souvent défaut à notre
démocratie. De plus, et c'est peut-être le plus important, le spectacle inspirant des
Jeux amènerait certainement les électeurs à s'extraire pour de bon du confort
de leurs sièges de salon pour aller voter « plus vite, plus haut, plus fort».
Si vous aimez, partagez.
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Les Olympiques ne servent pas à prouver l'égalité des individus, mais à démontrer la suprématie des nations qui elles, on le sait bien maintenant, ont aboli responsablement toute forme de discrimination et d'inégalités. C'est probant. Merci pour cet autre biais, euh, billet, qui montre ton habileté au poser de la plume comme au tricycle acrobatique.
RépondreSupprimerEn somme, nous sommes tous égaux dans notre droit de nous cacher l'inégalité...
SupprimerLa portée« historique» de l'Olympisme est enfin encesée pour ce que les Jeux (et je trouve dommage que l'auteur ne joue pas avec le concept de façon plus explicite; il faudrait croire qu'il assume que son lectorat est intelligent) olympique
RépondreSupprimers sont réellement. À lire pour tous ceux et celles qui sont encore bouche-bée devant la cérémonie d'ouverture et aussi à ceux et celles qui, même fondamentalement et inexorablement souverainistes, ont un frisson de fierté lorsque le Canada remporte une médaille...