lundi 29 avril 2013

On ne devient pas Justin Trudeau, on le naît

Cette semaine je suis vraiment fier de mon titre.

Je sais, je sais, cela devrait aller de soi.

Vous vous dites que je n'ai probablement pas eu à réfléchir longtemps ou à travailler très fort pour trouver un titre aussi réussi. Or, comme l'a toujours dit mon grand frère, l'homme qui m'a le plus influencé durant les années formatrices de ma vie : « réussir en faisant des efforts, c'est facile; ce qui est vraiment difficile, c'est réussir sans effort. »

Vous vous dites aussi que les origines de mon titre sont manifestement anciennes et glorieuses. Que je ne l'ai pas créé tout seul. Qu'il m'a pour ainsi dire été légué. Que j'en dois l'inspiration à une devancière célèbre, dont je me suis fait aujourd'hui le successeur très spirituel. Vous savez de qui je parle ici. Louise-Andrée Saulnier: « On ne naît pas femme fontaine, on le devient. »

Soit, j'ai les meilleures raisons du monde d'être fier.

Seulement, si je suis si fier de mon titre cette semaine, c'est aussi à cause de son je-ne-sais-quoi qui agace et séduit en même temps. On le lit et on devine tout de suite que quelque chose ne va pas. Mais quoi au juste? Un titre aussi pétillant pourrait-il se révéler sans consistance? On le relit donc. On ne devient pas Justin Trudeau, on le naît. Eh oui… ça manque de substance, surtout à partir du milieu. Mais comme c'est agréable et sexy, on le relit encore. On ne devient pas Justin Trudeau, on le naît. Et alors là, vraiment, ça ne tient plus du tout, la phrase se révèle illogique, mais il est trop tard, on ne peut plus s'empêcher de la relire encore et encore. On ne devient pas Justin Trudeau, on le naît. On ne devient pas Justin Trudeau, on le naît. C'est devenu une démangeaison aussi désagréable que jouissive.

Quant au texte lui-même, s'il n'est pas à la hauteur, qu'importe? Les lecteur seront quand même allés voir... Un blogueur peut-il exiger plus?

***

Je ne sais pourquoi, mais tout ceci me fait penser à Justin Trudeau, dont je voudrais justement vous parler aujourd'hui. Petit avertissement: pour y arriver, je devrai faire preuve d'incohérence. En effet, je vous ai expliqué autrefois pourquoi je me définis comme Québécois. Ce que je ne vous ai jamais dit et qui pourra sembler incohérent, c'est que j'ai par ailleurs toujours été, que je demeure encore et toujours profondément Canadian. C'en est hallucinant à quel point je suis aussi Québécois que Canadian!

Par exemple, j'aime Pauline Julien, mais j'aime aussi la Ginger Ale.

J'aime la cuisine de Martin Picard, mais j'aime aussi Martin Short et les chips Lay's.

J'aime le progrès, l'égalité hommes/femmes et la social-démocratie, mais je n'aime pas moins ne pas traverser la rue lorsque c'est interdit.

Je vous le dis, c'est hallucinant!

Au point que j'ajouterais enfin que j'aime le Québec, sa langue, sa culture et son territoire, mais que cela ne m'empêche pas d'aimer Justin Trudeau.

J'aime Justin Trudeau.

          J'aime le fait qu'il s'appelle Justin et qu'il soit si beau.


    J'aime le fait qu'il s'appelle Trudeau et qu'il soit si vacant

                                          J'aime le fait que dans la vraie vie, il enseigne les mathématiques.


                                          J'aime le fait qu'il soit vraiment parti d'absolument rien.

C'est tout. Et ça devrait suffire amplement à faire un jour de lui notre Premier ministre.

***

Vous êtes peut-être déçus. Vous vous dites que vous n'avez rien appris de concret sur Justin Trudeau aujourd'hui, que tout ce que j'ai écrit n'approfondit en rien l'image qu'on se fait du personnage. C'est vrai, je l'avoue, et je l'assume. Pour quelles raisons aurais-je dû laisser l'effort et la substance empêcher le naturel de s'exprimer? L'imitation n'est-elle pas le meilleur des hommages?

Afin de ne pas trop vous laisser sur votre faim, laissez-moi quand même terminer par une anecdote dont je vous garantis l'authenticité avec toute la blancheur dont mes dents sont capables.

Je me promenais innocemment, un doux matin de printemps, dans le quartier Villeray, guilleret, humant ici le parfum exquis d'une tulipe en fleur, tendant là ma main souriante aux écureuils qui venaient se faire flatter un peu, quand je vis traîner sur le trottoir pourtant propre et bien entretenu de ce quartier si bien représenté politiquement, un portefeuille. À qui pouvait-il bien être? Comment avait-il été perdu ou abandonné? Quelles angoisses pouvaient bien vivre en ce moment même son propriétaire légitime? Que fallait-il faire? Ces quelques secondes d'inquiète stupéfaction passées, il me vint à l'esprit qu'il fallait tout simplement me pencher, prendre ce portefeuille perdu, puis chercher à découvrir l'identité dudit propriétaire.

Quelle ne fut pas ma surprise quand, au moment même où je me penchais pour le ramasser, je constatai que le portefeuille se mit à glisser, comme s'il me fuyait?!? Quel étrange portefeuille! S'ensuivit donc une course folle à travers les rues de Villeray, moi courant à en perdre l'haleine, le portefeuille glissant quant à lui sur le trottoir à toute vitesse, mais s'arrêtant parfois pour mieux repartir, d'un bond espiègle, dès que je m'en approchais un peu. Boyer, de Castelnau, Henri-Julien… les rues défilaient à toute allure. Puis filèrent les ruelles sans nom, dans le méandre angoissant desquelles je finis par me perdre. Où étais-je? À l'intersection de deux ruelles inconnues. Que faisais-je? Je l'ignorais bien. Le portefeuille, posé comme un homme sans tête et sans tronc sur ses deux volets, semblait bel et bien se moquer de moi.

Quelle ne fut pas ma surprise quand émergèrent tout à coup de partout autour de moi une bande d'hommes louches et patibulaires, qui frappaient leur main gauche d'une batte de baseball qu'ils agrippaient fermement de leur main droite!?! Ils étaient tous synchronisés. Ils approchaient tous imperturbablement de moi. Le cercle se refermerait bientôt. Qu'allais-je faire? DONNE TON CASH!!!! VITE!!!! C'est ce qu'ils me dirent tous en chœur, avec un ton bien péremptoire. Inutile de vous dire que je ne me fis pas prier davantage pour donner au chef de la bande – un agresseur très crédible ressemblant fort au comédien Sébastien Dhavernas – mon propre portefeuille, tremblant, les priant de m'épargner. Ne me faites pas de mal, je vous en supplie, je suis important!!! Je suis un blogueur!!!

Quelle ne fut pas ma surprise quand arriva sur les lieux, en shorts et en camisole d'un lycra rouge moulant à la perfection des muscles au galbe exquis, deux gants de boxes rouges aux poings, Justin Trudeau, mon héros, mon sauveur. VOUS ÊTES DANS MON COMTÉ!!! SAUVEZ-VOUS AVANT QUE JE NE VOUS ASSÈNE UN DE CES COUPS!!! Il n'en fallut pas plus pour que la bande de malotrus se disperse effrayée. Justin Trudeau s'approcha de moi, enleva son gant de boxe droit, se pencha, s'empara du portefeuille qui traînait par terre, puis me le tendit gracieusement, esquissant un sourire qui semblait vouloir dire: pas besoin de me féliciter. Je suis né pour sauver mes concitoyens. Ce sont d'ailleurs ses propres mots, prononcés alors qu'il souriait à la caméra qui l'accompagnait ce jour-là.

Justin s'en alla ensuite sous le soleil couchant de Villeray, me laissant seul avec le portefeuille retrouvé, qui en fin de compte n'était pas le mien, mais celui que j'avais poursuivi dans les rues et ruelles. J'avais perdu mes cartes d'identité. J'avais perdu l'argent de mon loyer. Je ne savais toujours pas où j'étais. Mais je n'avais rien perdu de vraiment essentiel. Dans le portefeuille presque vide, il y avait une photo de Justin et moi, ses bras sur mes épaules. La photo était signée: to my favorite fan, thanks for keeping it real, Justin, love. C'est à ce moment que j'ai compris, pour la première fois, que Justin Trudeau n'était pas simplement un politicien plus talentueux que les autres, c'était un véritable magicien!

Et vous, quel est votre meilleur moment Justin Trudeau?


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lundi 22 avril 2013

Fondements théoriques de l'uthéisme

Avertissement au lecteur: vous ne devriez pas lire ce texte sans avoir lu tout d'abord Apparaître sans laisser de traces. En fait, vous ne devriez peut-être pas le lire du tout. La vie est courte. Tellement plus courte que ce qui la précède.

***

Nous sommes tous morts.

C'est ce que vient de me révéler l'un des trois hommes qui n'arrêtent pas de me jeter des regards de travers. Vous pouvez vous-même l'observer un peu si voulez. Discrètement. Pendant que vous écoutez le quatuor à cordes qui vient de commencer à jouer une pièce qui vous rappelle que vous aussi allez mourir, un jour. 

Vous constatez qu'il n'est ni laid ni beau. Ses yeux sont bruns et ses cheveux sont gris. Sa taille est moyenne et son apparence générale est très ordinaire. En fait, cet homme est quelconque au point d'en être remarquable. Examinez par exemple son complet à peine usé, sans charme et sans défaut. Dès que vous regarderez ailleurs, vous serez forcés d'admettre que vous avez déjà oublié la forme comme la couleur de ce complet. Ces caractéristiques élémentaires d'un vêtement ne vous échappent pourtant pas d'habitude. Même sa voix de baryton manque étrangement d'identité. « Nous sommes tous bel et bien morts ». Il rit nerveusement, en haussant à peine la lèvre supérieure, exposant des dents dépourvues de signification, des dents robustes, bien faites et aptes à mastiquer efficacement. Et ces dents vous fascinent. Vous ignorez pourquoi, mais vous vous dites qu'une enseigne de sortie fixée à un arbre en pleine forêt ne vous captiverait pas autant que ces dents si strictement fonctionnelles.

L'homme aux dents strictement fonctionnelles – On nous commémore ce soir. Pour la forme bien sûr… Ne me demandez surtout pas à quoi tant de dépense et de cérémonie peut vraiment servir. Demain, ce sera fini, nous serons vite oubliés et tout ici disparaîtra pour de bon. Ce que la nature assemble se désassemblera toujours. C'est la loi. Inutile de vous le dire. Je sais que vous êtes entièrement d'accord avec moi. Étant donné le titre de votre conférence… L'uthéisme, c'est nécessairement une forme radicale d'athéisme, non? N'êtes vous pas venu ici afin de nous enseigner que notre mort n'a aucun sens? 

J'acquiesce timidement. Je ne suis pas entièrement d'accord avec lui. Mais j'ignore si je serais capable d'expliquer pourquoi. Comme si chacune de ses phrases était, oui, correcte, mais en même temps complètement inappropriée. Ce n'est ni le temps ni le lieu. J'aimerais quand même prendre le temps de discuter avec lui - je vois bien à vos grands yeux que vous souhaiteriez peut-être de ma part une réaction, l'amorce d'un débat - mais je ne peux malheureusement rien faire d'autre que me taire. Je crois que c'est à cause de ses dents. Elles m'embarrassent. Je ne voudrais pas forcer un homme aux dents si banales à parler davantage. Peut-être serez vous mieux servis par ses deux compagnons, qui ne se gênent pas pour hocher vivement la tête, avec une évidente désapprobation.

Le plus petit et le moins vieux, un homme mince au complet jeune et élégant, hoche la tête si fort qu'il vient tout juste d'échapper un amuse-gueule et ne s'en est pas encore rendu compte. Vous devinez qu'il s'apprête à prendre la parole à la façon dont il caresse, de son pouce et de son index gauches, avec une tendresse presque érotique, la pointe d'une moustache parfaitement lisse. Vous ignorez pourquoi, mais la vue de cette moustache tend à vous faire revivre une scène honteuse de votre enfance, que vous parvenez désormais à comprendre avec une navrante lucidité.

L'homme à la moustache puissamment évocatrice – Ne l'écoutez pas. De son vivant, c'était l'un des esprits les plus pénétrants de sa génération. Un scientifique hors pair, spécialiste nobélisé des réseaux neuronaux. Ou de la génétique statistique, je crois. Ou peut-être de la cosmologie inflationniste. Ne me demandez pas exactement ce qu'il faisait, ce n'est pas important. Mais sa science l'a aigri. Il est maintenant désespéré. Il ne croit plus vraiment en rien. Et il est mort hier d'un cancer du pancréas. Il est trop tard pour le sauver. Il faut croire, mon ami, il faut croire pendant que nous vivons. Si nous ne voulons pas mourir comme lui.

N'êtes-vous pas mort vous aussi? Ne sommes-nous pas tous morts? Je ne dis rien. Je crois qu'il m'entend quand je pense.

L'homme à la moustache puissamment évocatrice – Nous allons tous mourir un jour, bien sûr. C'est un fait profondément banal. Et d'une certaine façon, on pourrait même affirmer que nous sommes tous déjà morts. Mais justement, la mort, c'est quelque chose que nous ne pouvons pas vivre. C'est la loi. Et c'est pourquoi seule la vie compte vraiment. Or, pour vivre, il faut croire.

Je crois comprendre ce qu'il veut dire. Mais je n'y arrive pas vraiment. Tout semble pourtant si juste. Il manque pourtant quelque chose. En quoi cet homme croit-il donc? 

L'homme à la moustache puissamment évocatrice – Qu'importe même ce en quoi l'on croit, si cela peut donner sens à la vie? Voulez-vous vivre sans espoir? Sinon, il faut croire. Vous ne pouvez pas être en désaccord avec moi. Étant donné le titre de votre conférence... L'uthéisme, c'est nécessairement la forme la plus profonde, la forme en tant que telle de la croyance, non? Une croyance en un être sans véritable nom, un être utopique, sans lieu propre, impotent, ignorant, mais tout de même nécessaire. N'êtes-vous pas venu nous enseigner que Dieu est une fiction indispensable?

J'aimerais tellement être d'accord avec ce qu'il dit. Seulement, il me semble qu'il a oublié un détail crucial. Et qu'il l'a oublié pour de bon. Comme s'il avait fait preuve de distraction à un moment déterminant. Je sais, je sais, vous voudriez que je lui réponde, que je le force à expliciter son propos. Mais je me sens incapable de dire quoi que ce soit. La moustache de cet homme me rappelle beaucoup trop un chocolat que je n'ai jamais donné à une amie pour la Saint-Valentin. Il m'a fallu toute une nuit pour le manger, un morceau à la fois. J'avais huit ans et je n'étais pas encore capable d'aimer. Vous aussi, il vous a fallu apprendre à aimer. 

Heureusement pour mon récit, les deux autres hommes hochent vivement la tête, avec une désapprobation tout aussi évidente que la première fois. Celui qui s'est tu jusqu'à présent, un homme de très grande taille en complet impeccable, mais un peu démodé, le plus vieux des trois, le plus mystérieusement beau cependant, semble sur le point de prendre la parole. Il se racle la gorge en ajustant sur son nez aquilin de vastes lunettes rectangulaires. Levant son regard pour mieux contempler le luminaire flottant au milieu de la pièce, il semble parvenir à « regarder » son petit interlocuteur moustachu avec les seules narines frémissantes et dilatées de son nez. Vous ignorez pourquoi, mais vous devinez que ces narines sont en fait deux trous noirs qui pourraient en un instant vous engouffrer, vous réduire à néant, pour peu que vous ne soyez pas absolument sincères.

L'homme au nez capable de flairer le mensonge – Ne l'écoutez pas. De son vivant, c'était l'un des plus brillants théologiens de sa génération. Il fut d'abord catholique. Puis protestant. Puis on ne sait plus. Son intelligence et son orgueil l'ont perdu. Il prétend croire plus profondément, mais il ne croit plus qu'abstraitement. Comme si une telle chose était possible. Son Dieu impuissant ne pourra jamais rien pour lui. Il est mort hier d'un accident cérébral qui l'a laissé paralysé dans son bain. Il est trop tard pour le sauver, lui pas moins que notre ami l'athée. Ils auront beau dire autre chose: c'est l'Enfer qui les attend tous deux demain. Mais il n'est pas trop tard pour vous.

Il me tend, comme pour que je puisse la toucher en tremblant d'extase, une minuscule croix de bois, attachée à un simple fil de fer barbelé qu'il porte autour de son cou. Essayez de ne pas trop remarquer que ce fil à laissé sur son cou de nombreuses cicatrices dont certaines semblent encore fraîches. Il rapproche la croix de ses lèvre en un baiser à la fois sec et langoureux, un baiser dont la durée nous rend tous mal-à-l'aise. 

L'homme au nez capable de flairer le mensonge – Il faut croire, oui, mais il est inutile de croire en autre chose que Dieu, le Vrai et le Tout-Puissant Créateur de l'Univers, dont le Fils est mort et ressuscité pour nos péchés. Toute autre croyance n'est que paganisme, hérésie ou simulacre. C'est la loi. La croyance de notre ami le théologien à la mode n'est que pur simulacre. Sur ce point au moins, vous ne pouvez pas être en désaccord avec moi. Étant donné le titre de votre conférence... L'euthéisme, c'est le rejet du théisme comme de l'athéisme, non? C'est l'abandon de toute croyance en un Dieu qui ne serait que l'idée humaine de Dieu. On ne peut croire qu'en la vérité. Cela aussi, vous devez certainement l'admettre. On ne peut donc croire qu'au Seul et Unique véritable Dieu. À quoi bon croire, sinon? À quoi bon faire semblant de croire, surtout? N'êtes-vous pas venu pour nous enseigner qu'il faut croire en l'Éternel? 

J'ignore pourquoi, mais j'éprouve le besoin de souligner qu'il a mal lu, que ma conférence prochaine ne porte pas sur l'euthéisme, mais sur l'uthéisme. Comme si je savais ce que signifiait ce mot que j'entends ce soir pour la première fois. Comme si j'en étais venu à m'identifier peu à peu à ce terme étrange et qui nous manque pourtant. Je voudrais débattre avec lui, mais je devine qu'il a raison quant à quelque chose d'essentiel. J'ignore quoi. Vous voudriez sûrement que je lui en parle, que je le force à manifester sa déraison. Mais je ne pourrai encore rien dire. Il a dirigé vers moi ses deux narines infinies. Je ne peux pas prendre le risque de mentir. Il m'annihilerait en une seule inspiration.

L'homme aux dents très fonctionnelles me regarde, l'air un peu déçu, puis fait tourner ses deux yeux en un vaste demi-cercle ironique.

L'homme aux dents strictement fonctionnelles – N'écoutez pas ce vieux fou. De son vivant, c'était l'un des prêtres les plus inspirés de sa génération. Un être éminemment charismatique. Mais son intransigeance spirituelle l'a éventuellement isolé de tout ce qui existe vraiment. Il a renié le monde dans lequel nous vivons. Il a renié l'histoire et la science. Il a tout renié. Ses fidèles, qu'il accusait sans relâche d'idolâtrie, l'ont délaissé peu à peu. Et il est mort hier d'un arrêt cardiaque. Inutile d'argumenter avec lui. Les dommages sont déjà faits… Il est mort. Nous sommes morts. Ce que la nature assemble…

Je suis pris d'un vertige soudain. Il me semble que j'ai enfin compris. Tout compris. Ne me traitez pas trop vite de fou. Je comprends même intuitivement ce qu'est l'uthéisme. Je pourrais faire ma conférence, si vous vouliez, je saurais quoi dire. Je vais enfin pouvoir répondre à ces trois hommes qui tournent en rond sans s'en rendre compte. Depuis toujours. Dans le même cercle. Comme trois enfants en train de jouer sur la même piste fermée, chacun avec son train unique et plus beau que les deux autres. Tout cela apparaîtra clairement lorsque je leur dirai. Il suffira de leur dire, non? Qu'arrivera-t-il?

Moi – Arrêtez!!! Vous êtes sur le point de vous annuler les uns les autres.

L'homme aux dents très fonctionnelles – Ce que la nature assemble se désassemblera toujours. C'est la loi.

Pouf!!!!

L'homme aux dents strictement fonctionnelles disparaît, comme une bulle à savon qui éclate. Puis l'homme à la moustache puissamment évocatrice. Pouf!!! Puis l'homme au nez capable de flairer le mensonge. Pouf!!! Tous les hommes ici présents disparaissent également, les uns après les autres. Même vous et moi disparaissons presque complètement. 

Puis c'est au tour du plancher de marbre de disparaître. Les colonnes imposantes, les tables luxueuses et le luminaire flottant disparaissent à leur tour. La falaise, l'océan et le ciel même disparaissent enfin. Le monde entier est disparu. Il ne reste presque plus rien. Et ce qui reste est si flou, si impalpable et si indéterminé qu'on dirait presque que c'est rien. 

Si l'on fixait ce qui reste assez longtemps, on pourrait peut-être voir apparaître quelque chose d'incomplet, quelque être partiel, que l'on reconnaîtrait presque, pour lequel on éprouverait une nostalgie infinie, et qui disparaîtrait vite, beaucoup trop vite, sans laisser de trace. 

Nous ne sommes plus là. Nous sommes disparus. J'écris sur mon portable. Vous me lisez sur l'écran de votre ordinateur. Mais quelque chose de nous demeure toujours en ce non-lieu. Où sommes-nous, presque?

Nous sommes au commencement de toute chose. 

Voilà ce que j'aurais préféré pouvoir vous dire à vous tous réunis, assis autour d'un feu de camp, à boire, à rire et à rêver.

Source : www.lunch.com





















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vendredi 12 avril 2013

Apparaître sans laisser de traces

Je ne serai peut-être pas capable d'écrire ce que j'aimerais mieux vous dire en personne. Ce serait beaucoup plus facile. Je pourrais vous demander de fermer les yeux quelques instants.

Impossible quand on lit. 

Je pourrais vous demander d'imaginer que nous sommes tous réunis dans un boisé oublié quelque part loin de la ville. Que c'est la nuit. Qu'il fait froid. 

Les épinettes d'avril sont noircies par un ciel ancestral. Nous sommes lovés autour d'un feu de camp précaire, éternisé dans sa précarité, comme à jamais sur le point de prendre enfin ou de s'éteindre pour de bon. Je vous vois veiller sur le feu avec vos regards impuissants d'espoir et d'anxiété et il me semble que les mots vont venir facilement. 

Vous avez donné ce qu'il faut d'atmosphère et de chaleur à ce lieu qui pourrait être triste. L'un de nos amis a apporté de l'eau-de-vie, la sienne. – Elle est bonne, non?Pour l'instant, oui, mais on verra demain. Cela fait une heure qu'on s'échange ce genre de blagues à moitié drôles. Les rires fusent sans réserve. Un autre ami vient de prendre une guitare et nous joue un peu mal Wish you were here. Je te parle à l'oreille : « c'est le seul morceau qu'il connaît…» Tu sais que je ne suis pas méchant. Une amie commence alors à chanter timidement les paroles de la chanson, avec une voix douce et rauque, plus ancienne que la beauté. Qui saura jamais ce qu'ont vécu les témoins préhistoriques de la toute première chanson? Nous nous taisons tous, bouleversés. Nous n'oublierons plus cette voix de notre vie. Je vous regarde écouter, je vous vois veiller sur le feu, et il ne fait alors aucun doute que vous comprenez déjà ce que je veux vous dire.

Source: http://www.flickr.com/photos/21831267@N00/5118935819/

Je suis seul quand j'écris. Et j'ignore où vous êtes.

Ce que je veux dire est difficile à écrire, mais pas impossible. Du moins, je n'ai pas le choix de l'espérer. Il me semble que ce n'est ni trop réel, ni trop profond, ni trop complexe. Je ne dévoile rien. C'est trop évident pour être dévoilé. Surtout à l'écrit. Surtout à l'écran. Vous connaissez le proverbe: les paroles s'envolent, les écrits gisent, les écrans mentent. Ne m'en veuillez pas si je mémorise presque toujours si mal les proverbes. Pour moi, l'original ne colle presque jamais, c'est tout. Il y a de ces phrases qui ne voudront jamais coller, à nous ou aux choses. Jamais. Et il y en a d'autres, à peine plus heureuses, qui ne colleront à rien tant que nous ne nous serons pas travaillé une chair faite pour trembler ou rougir. Des phrases comme « Je t'aime », ou comme « Je t'aime », ou comme « Arrête ». C'est de telles phrases que je cherche aujourd'hui. Et pour tout vous dire, il me faudra emprunter des détours dans lesquels je risque fort de nous perdre. Voudrez-vous me suivre quand même? Même si je ne sais pas ce que je dis? Suivriez-vous un beau fou parti planter une fleur de peau au milieu d'un champ de bataille? Vous ne devriez peut-être pas. 

Je vais essayer de ne pas être ce fou-là. Je ferai attention à vous. Nous n'irons pas au bois aujourd'hui, mais nous courons peu de risques là où nous allons. Sauf celui de nous rencontrer.

Qui sommes-nous? Où allons-nous?                            

Nous avons été invités à une importante soirée mondaine tout ce qu'il y a de plus chic. Nous sommes vêtus pour l'occasion, en smokings simples et élégants, en robes époustouflantes d'audace et de bon goût. Choisissez vos couleurs et vos accessoires, changez même d'âge ou de genre, c'est permis. Arrivez en limousine avec tous vos amis ou à deux en moto sport. L'argent ne compte pas, le lendemain n'existe pas. Même nos corps sont pour la soirée un peu plus beaux que d'habitude, plus minces, plus grands, plus fréquentables. Et les lieux sont magnifiques. 

Ce sont les ruines artificielles d'un temple illuminé de mille feux, qu'on a érigé puis détruit pour l'occasion, au sommet d'une falaise plongeant ses inaccessibles parois dans un océan dont les vagues chuchotent à peine leur solitude infinie. Le plancher à damier en marbre, les colonnes imposantes et d'un blanc impeccable, l'immense lustre en fontaine de cristal et de rubis, flottant on ne sait comment sous un ciel chaud et humide, les tables à dîner garnies de mille couverts et ustensiles aux usages minutieusement déterminés, tout ici est fait pour impressionner. Mais ne vous inquiétez pas, vous êtes au bon endroit. Rien n'est trop beau pour vous ce soir. Asseyez-vous où vous voulez, mangez, buvez, discutez, dansez. Profitez-en pour écouter un peu le quatuor en train de jouer un air de circonstances. On n'écoute pas assez les musiciens à gages. Et pendant que vous écoutez, je vais moi-même me promener un peu parmi les invités et vous en présenter quelques-uns. 

Il y en a un qui s'approche de moi, justement. Un homme dans la mi-trentaine, au vaste sourire, au pas rapide, qui accourt en levant ostentatoirement ses deux bras. Pour m'embrasser, comme s'il reconnaissait un meilleur ami perdu de vue depuis des années. Son complet bleu ciel semble un peu ringard, trop bon marché. N'avait-il rien de mieux à se mettre? Que fait-il ici?

Lui – Philippe! Si tu savais comme je suis content de te voir! Ça doit bien faire…

Moi – Je suis désolé… Vous avez certainement l'air familier, mais je ne vous reconnais pas. Qui êtes-vous? Où nous sommes-nous rencontrés? Au travail? À l'école? 

Lui – Ça remonte à beaucoup plus loin, voyons! Tu ne peux pas avoir oublié toutes les heures, toutes les années qu'on a vécues ensemble? Essaie un peu de te souvenir. Et surtout arrête de me parler comme si j'étais un lecteur anonyme. Si tu savais comme c'est blessant!

Moi – Je suis vraiment… sincèrement désolé. Mais je n'y arrive tout simplement pas. Et pourtant je te jure que tu me dis vraiment quelque chose.

Lui – C'est mieux… Mais c'est quand même dommage. Je suis peut-être la personne la plus importante de ta vie. Je ne m'imagine même pas comment tu peux vivre, comment tu peux t'en sortir sans moi. Tu n'aurais jamais dû m'oublier. Surtout après tout ce que tu me dois. Je t'ai pardonné, je t'ai toujours tout pardonné, tu sais. Et je suis beaucoup plus heureux maintenant, sans toi. J'ai réalisé la plupart de mes rêves. Plus que toi d'ailleurs. Je le sais parce que je t'ai suivi, de loin bien sûr, ne t'inquiète pas, je ne suis pas pathétique. Je prenais de tes nouvelles de temps en temps, quand je rencontrais quelqu'un qu'on connaissait tous les deux. Je ne t'ai toujours souhaité que du bon. Enfin, j'espère que tu te souviendras de moi la prochaine fois…

Il s'en va maintenant. Cela fait quelque temps déjà qu'il a cessé de sourire, qu'il a juste un peu trop levé le ton. Il est rouge d'humiliation et de colère contenues, il transpire. Les autres convives se sont tus autour de lui et le regardent avec un dédain mal camouflé. Pas vous. Non, pas vous. Vous êtes triste pour lui. Qui est-il? C'est ce que vous vous demandez. Comment peut-on oublier complètement quelqu'un? Comment peut-on vivre et oublier? Vous m'en voulez un peu. J'aimerais bien me défendre. Ce n'est peut-être pas de ma faute. C'est peut-être un fou. Pourquoi ne m'a-t-il pas dit qui il était? Pourquoi ne m'a-t-il pas laissé une autre chance? 

Je suis désolé de vous avoir imposé cela. Je ne sais pas vraiment plus que vous où nous sommes, mais je sais qu'il nous faut passer un peu de temps ici si je veux réussir à écrire ce que j'ai à vous dire. Allons voir d'autres invités. Nous serons peut-être plus chanceux. 

En voilà deux qui discutent tout près. Approchons-nous. Ah non! Je les connais. Il ne faut pas qu'ils me voient. Le premier s'appelle Jean Larose et il est hors de question que je lui parle. Il m'a enseigné la création littéraire autrefois. Vous le connaissez peut-être. C'est un être sensible, narcissique et grincheux qu'on écoutait alors un peu, qu'on écoute beaucoup moins aujourd'hui. Je me souviens bien de ses cours. Il n'y avait pas moyen de lui plaire sans confesser à toute la classe nos traumatismes les plus profonds. Quant à celui à qui il parle, je le reconnais même si lui ne me connait pas du tout. Il s'appelle Francis d'Octobre. C'est un chansonnier qui n'a pas encore connu le succès qu'il mérite.

Jean – Ce n'est pas de ta faute. Tout est en déclin. Je ne veux pas te faire de peine, mais ce que tu fais, il y a trente ans, ça aurait été considéré de la musique populaire kitch et prétentieuse. Tandis qu'aujourd'hui, tout passe pour de l'art et l'art, comme tout le monde sait, c'est déjà trop pour le public...

Francis – Vous vous trompez. Les choses ont changé, c'est tout. Vous ne comprenez plus ce qui se fait aujourd'hui. Vous percevez uniquement la différence avec ce qui se faisait avant. Dans le fond, c'est votre propre déclin que vous refusez d'accepter. N'est-ce pas d'ailleurs le sujet de la conférence de ce soir? Quel est le titre déjà? Apparaître sans laisser de traces : fondements théoriques de l'uthéisme. Il paraît que le conférencier connaît tout.

Jean – Le conférencier? Tu parles de Philippe Labarre? Je ne sais pas comment il s'y est pris pour réunir ici tant de gens si importants. Ce n'est pas sérieux, tout cela. Un autre signe de déclin, si tu veux mon avis. Je suis moi-même venu parce qu'il a déjà été mon étudiant. Je suis curieux d'entendre ce qu'il veut nous dire. Mais je n'espérerais pas grand chose si j'étais toi. 

J'ai le souffle coupé. Je n'ai rien préparé. On ne m'a pas averti. Je ne peux quand même pas improviser toute une conférence. Et c'est quoi, ce titre? Apparaître sans laisser de traces: fondements théoriques de l'uthéisme. Qu'est ce que ça peut bien vouloir dire? Je regarde autour de moi. Partout les gens semblent m'observer discrètement puis détourner le regard dès que je m'en rends compte. Ils se demandent qui je suis, ils attendent que je parle, ils m'évaluent déjà en secret. 

En voici trois en train de discuter très sérieusement, qui n'arrêtent pas de me jeter des regards de travers. Ce sont des hommes dans la soixantaine. C'est étrange. À part vous, n'y a-t-il donc que des hommes ici? Où vous ai-je amenés? Je te prends par la main, pour te rassurer, pour me rassurer surtout. Mon ventre se noue en un amas lourd et froid. Que faisons-nous ici? L'un des trois hommes se retourne soudainement vers nous deux. Il me fixe intensément avec un regard qui veut tout dire, comme s'il m'avait entendu penser. Je devine ce qu'il s'apprête à m'annoncer. 

Nous sommes tous morts.

                                           














 Francis d'Octobre, Âme soeur 

À suivre...

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lundi 1 avril 2013

Palmarès des sept meilleures choses meilleures que d'autres choses

Le premier avril dernier, Philippe Labarre (le célèbre auteur de Relations d'incertitude) fut attaqué violemment, ligoté et bâillonné par un individu à l'air familier: petit, chauve et suspicieusement séduisant, son parfum évoquait des notes délicates d'huile à moteur, de champagne et de billets verts. Le malfaiteur anonyme put ainsi s'emparer pour quelques jours du très populaire blogue québécois et y diffuser ses conceptions philosophiques plutôt marginales auprès d'un très large public. Philippe Labarre, qui a toujours aimé même ses ennemis, a tenu à archiver pour la postérité ce que son agresseur a publié en son nom. Voici donc le palmarès Intensités rivales des sept meilleures choses meilleures que d'autres choses.

No. 7 – La vitesse
La vitesse clenche tout ce qui est pas vite et tout ce qui bouge pas. Quant à moi, ça devrait suffire à lui garantir une place au palmarès. Ajoutons quand même que la vitesse, on peut pas s'en passer. Genre, pas de vitesse égale pas de mouvement égale pas de physique égale pas de pistes de course, pas d'armes semi-automatiques, pas de rush d'adrénaline, pas de lumière (parce que pas de vitesse de la lumière). Je sais, dit de même ç'a l'air poche la « lumière ». Sauf qu'il faut essayer d'imaginer un monde sans spotlight, un monde où y'a rien qui flashe, un monde où le Swimsuit Edition de Sports Illustrated™ serait en braille ou en audio. Le sein que personne ne peut voir existe-t-il? Sans vitesse, pas moyen non plus de dépasser les autres. Il faudrait s'imaginer un monde sans carrière fulgurante, un monde sans dépassement de coûts, un monde où on pourrait plus se faire gicler des bouteilles de champagne les uns sur les autres. Ostie que ça serait fif! Bon, je sais que dans les « livres », la vitesse est définie par rapport à un observateur, que c'est une notion « relative ». Maudits livres à marde! La mort, est-ce que c'est relatif? Parce que pas besoin d'autre chose qu'une TV pour savoir que la vitesse tue... surtout l'observateur assez cave pour se mettre sur son chemin.

Meilleure vitesse : la vitesse de la lumière émise par une balle de fusil tirée par Jacques Villeneuve en train de gagner une course de F1.

No. 6 – Les ninjas
Les ninjas sont meilleurs que la vitesse parce qu'en plus d'être vites, ils sont invisibles: les ninjas clenchent la lumière. Ça, ça veut dire que ton best buddy est peut-être un ninja pis tu le sauras jamais. Sauf s'il est gros. Alors là, je veux pas te faire de peine, mais ton best buddy, c'est pas un ninja. En plus, les ninjas ont un équipement malade mental, genre James Bond, mais sans batterie et impossible à hacker. Ils ont des masques noirs et de la fumée pour que personne puisse les reconnaître quand ils vont assassiner des tas d'autres ninjas en public. Ils ont des griffes et des grappins full hot pour aller dans les buildings avec les systèmes de sécurité les plus high-tech et assassiner des diplomates avec leurs pitounes class, des PDG avec leurs pitounes chicks (ou des chefs d'État avec leurs épouses poches). Ils ont même des chaussures flottantes pour pouvoir assassiner des milliardaires criminels (et leurs pitounes sex) même quand ils se cachent à l'intérieur de leurs yachts parkés en doubles dans les eaux internationales. Les ninjas ont tout ce qu'il faut pour frapper, assommer, percer, transpercer, trancher, démembrer, décapiter inaperçus. Ils sont comme les chirurgiens de la mort. Ils peuvent tuer précisément et silencieusement tout ce qui bouge.

Meilleur ninja: celui qui est derrière toi en ce moment! Il est déjà parti. T'es déjà mort.

No. 5 – Le bruit
On dit que le silence est d'or. On oublie souvent d'ajouter que le bruit est ben plus fort. C'en est même pathétique. Je sais, je sais, le silence serait plus « profond », plus « spirituel » que le bruit. Sauf que partout où il y a du bruit, le silence se sauve comme un pas d'couilles. Qui est vraiment le plus fort? Jusqu'à l'an passé, y'avait pas moyen de savoir et c'est pour trancher la question une fois pour toutes que UFC a organisé un combat extrême entre le bruit et le silence. Le silence est le premier à être monté dans l'octogone, déguisé en ninja, marchant lentement, pesant cérémonieusement chacun de ses pas, comme un moine pas rapport. Pendant ce temps-là, le public fermait sa yeule, comme sur le point de s'endormir tellement le silence était platte. Qu'est-ce qui est arrivé? Dès que le bruit est arrivé dans la salle avec un chandail déchiré tatoué sur son chest trop musclé, la foule s'est mise à hurler à mort. Est-ce que le silence est resté sur l'octogone? Crisse que non! Plus moyen de l'entendre, plus moyen de le voir nulle part. Le silence avait choké encore une fois. Mais il s'en est certainement pas sorti pour autant. La décision des juges fut unanime: le bruit avait littéralement tué le silence.

Meilleur bruit: « VROUM VROUM!!!», dans le sens de « J'vas t'écraser mon crisse de piéton sale!!! »

No. 4 – Les shotguns
Toutes les armes sont meilleures que ce qu'elles tuent, mais elles ne sont pas toutes également meilleures. Certaines sont plus rapides. Comme le katana : « excusez-moi, est-ce que vous auriez un peu de monnaie pour…» Slash! Une tête de quêteux de moins sur la terre. Certaines peuvent tuer plus de ninjas d'un seul coup. Comme la bombe atomique. Même à seulement 1% de la population, des milliers de ninjas on dû être torchés avant même de pouvoir entendre ce qui se passait à Hiroshima. Certaines armes font quant à elles beaucoup de bruit. Comme une Mercedes sans silencieux, dont on fait crier le moteur, pour « avertir » quelqu'un qui traverse trop lentement l'intersection. Mais LA meilleure arme, c'est le shotgun. Rapide, puissant, bruyant, et surtout très convaincant, son seul nom suffit bien souvent. Besoin de s'asseoir sur le siège avant? « Shotgun! »  Besoin de la dernière bière du six-pack? « Shotgun! ». Et quand vient le temps d'abattre une horde de morts-vivants, de faire un retrait d'un million à la banque ou de faire les nouvelles, rien ne vaut un vrai shotgun capable de peinturer en rouge tout ce qui a le malheur d'exister dans un beau gros cône jumbo de cent mètres devant soi. 

Meilleur shotgun : celui avec lequel vous allez toujours «gagner» à roche, papier, ciseaux.

No. 3 – Le format jumbo
Il faut m'excuser, mais il va falloir être «philosophique» pendant deux minutes. Parce que le format jumbo, c'est un peu genre « l'essence » du meilleur. On peut toujours aller plus vite, faire plus de bruit et provoquer plus de dommages violents. C'est ce qu'on appelle le progrès. Mais on ne peut pas dépasser le format jumbo. Mettons par exemple que quelqu'un veut devenir le ou la (soyons philosophes jusqu'au bout) propriétaire d'un multiplex de 32 salles IMAX / 3D / ULTRA AVX. Mettons aussi que ce quelqu'un n'est pas un loser fini, genre « je vais y aller une étape à la fois ». Qu'est-ce que ce quelqu'un pourrait faire pour continuer à progresser? Bien des choses intenses et explosives. Par exemple bâtir trois nouvelles salles, les munir de la toute nouvelle technologie d'immersion totale URINATORpro, et charger 5$ de plus le billet. Mais ce que personne ne pourra jamais faire, c'est créer un format de pop corn, de liqueur ou de chocolat plus gros que le jumbo. Parce que ce format va devenir le nouveau jumbo. Le format jumbo est tellement intense qu'il peut écraser rétroactivement tous les anciens formats! Disons par exemple que quelqu'un crée un 5 litres de Coke à saveur de Diesel-Shot-In-Your-Face à 9,90$. L'ancien format jumbo (4 litres à 9,40$) va devenir le nouveau format large, l'ancien format large (3 litres à 8.90$) le nouveau moyen, et ainsi de suite, jusqu'au nouveau format santé (2 litres à 7,40$). Avec le format jumbo, même la santé tue! 

Meilleur format jumbo (pour le moment): le Quadruple Bypass Burger.

No. 2 – Les boss
Qui est meilleur que toi à grimper vite dans l'échelle sociale? Ton boss. Qui est meilleur que toi pour surveiller ce que tu fais? Ton boss. Qui est meilleur que toi pour obtenir la reconnaissance due à tes idées ou à ton travail? Ton boss. Qui est meilleur que toi pour éliminer quelqu'un qui ne lui sert plus à rien? Ton boss. Et qui est meilleur que ton boss? Son boss. Il y a toutes sortes de boss. Certains sont si toughs qu'ils sont presque toujours en train de t'engueuler. C'est parce qu'ils savent que tu vaux rien. Certains sont au contraire si cools, si friendly, si compréhensifs qu'ils ont l'air de vouloir devenir ton ami. C'est parce qu'ils ont appris à être comme ça en se tenant avec du monde bien meilleur que toi. Certains sont tellement gros et bedonnants que leur chemise semble toujours sur le point d'éclater. C'est parce qu'ils méritent de manger plus souvent que toi dans de meilleurs restaurants. Certains sont au contraire tellement minces, tellement jeunes, tellement beaux, tellement fringués que tu te sens toujours comme de la marde quand ils sont là. C'est parce qu'ils sont, qu'ils ont toujours été, qu'ils seront toujours meilleurs que toi. Même quand vous serez morts, toi à 72 ans, lui à 108 ans.

Meilleur boss : Gordon Ramsay, filmé en train de traiter de sous-homme bon à se pendre le plus récent sous-chef de son tout nouveau 132e restaurant, le Golden God, avant d'aller se faire filmer en train de courir un double marathon en Afrique du sud pour subventionner la lutte contre l'obésité juvénile.

No. 1 – Les palmarès
Certains prétendent que « nous sommes tous égaux », ou sinon que nous sommes tous « uniques » et « incomparables ». Non, mais c'est n'importe quoi. Si on peut peser une roche, on peut aussi peser un homme. That's it! Personne n'est incomparable et personne ne sera jamais égal. C'est pour ça qu'on fait des palmarès, c'est pour ça qu'on fait des médailles d'or, c'est pour ça qu'on fait des ceintures noires. Pas pour donner des « rêves » aux jeunes moumounes qui veulent faire du patinage artistique « comme Patrick Chang quand je serai grand ». Encore moins pour donner confiance en soi aux p'tites filles qui veulent « faire » du karaté pour se défendre contre des gars plus pesants et meilleurs qu'elles. Et c'est surtout pas pour inspirer le « dépassement de soi » qu'on renouvelle chaque année le Livre des records Guinness, le Forbes 400 ou le dossier spécial de La Semaine sur les dix filles les plus sexy du Québec. Tout se compte, tout se mesure, tout se compare, et puis c'est toute. Malheureusement, les palmarès sont tous « partiels », « relatifs », imparfaits. La plupart ne parviennent pas à évaluer « complètement » l'être humain. Ce qui nous manque apparemment encore, ce qu'il faudrait absolument mettre au point, c'est un système de classement universel, grâce auquel il serait possible de mesurer de façon certaine et une fois pour toutes la valeur intrinsèque et totale d'un être humain. Inutile d'en douter, on va un jour y arriver. Il suffit de se battre assez fort.

Meilleurs palmarès : le niveau d'évolution spirituelle des personnages historiques les plus marquants (c'est pas parce qu'on est mort qu'on peut plus continuer à être le meilleur).

Source : cracked.com

La lutte seule décidera!