mardi 31 juillet 2012

L'Olympisme pour les nuls

Je dois avouer que c'est en tremblant d'une émotion presque sacrée que je m'apprête à écrire aujourd'hui. Le sujet est trop grand, trop beau, trop émouvant! En fait, le sujet est rien moins que sublime! Oui, sublime! Plus sublime que le plus haut des sommets, plus encore que l'océan le plus vaste, plus même que l'Océan lui-même, cet Océan unique d'avant les Grandes découvertes, gardien des profondeurs inconnues comme des limites infranchissables d'une terre encore plate. Pour être plus moderne, je dirais que le sujet que je m'apprête à discuter est encore plus sublime que le silence infini des espaces intersidéraux dont les Neil Armstrong, Guy Laliberté et autres Tom Hanks de ce monde n'ont à peine qu'exploré le seuil. Si sublime qu'il m'aura fallu quelques jours de convalescence spirituelle pour essuyer le choc causé par l'omniprésence médiatique de ce sujet trop bouleversant pour être jamais d'actualité. Méfiez vous d'ailleurs de tout ce qu'on vous a dit jusqu'à maintenant à ce sujet. De même qu'on ne peut pas parler de la Fin des temps et l'avoir vécue, j'irais jusqu'à dire que quiconque a su trouver les mots pour en parler dès la cérémonie d'ouverture n'a pas vraiment vécu les Jeux Olympiques.

Je dois aussi avouer qu'il s'agit d'un sujet très personnel. Si vous me lisez, c'est que vous connaissez mon amour pour l'amateurisme. Vous ignorez pourtant sûrement que cet amour m'a été inspiré dès le plus jeune âge par l'Olympisme lui même, qui n'est rien d'autre qu'une célébration de l'amateurisme sportif, modèle de tous les autres amateurismes. Mes amis savent à quel point j'aime le sport, le sport de compétition surtout, bien entendu. Rien de tel que de rivaliser entre égaux! J'ai été un enfant très sportif et quand j'allais être grand, le sport allait être mon métier, tel devait être mon destin. J'en ai rêvé toute les nuits, m'inventant un futur de Mario Lemieux, de Tim Raines ou de Rocky Balboa. Malheureusement, mes amis savent aussi, même s'ils sont trop délicats pour m'en parler, que je n'ai jamais eu le physique d'un sportif professionnel. J'ai été un enfant maigre et petit qui est devenu un adulte petit et bedonnant. Il paraît que le corps humain normal compte plus de six cent quarante muscles. La nature m'en a donné à peu près une quarantaine, la plupart autour de ma mâchoire. Le sport professionnel, ça n'a jamais été pour moi. Mon destin n'était qu'une illusion. La prise de conscience fut lente et douloureuse, mais je ne me suis pas acharné. Je n'en avais pas besoin. Dépourvu que j'étais du moindre potentiel, je pouvais toujours me rabattre sur l'Olympisme, qui me permettrait de poursuivre mes rêves de compétition sportive à un niveau plus modeste, celui de l'amateur.

C'est ainsi que j'ai pu participer aux Jeux d'Atlanta en 1996, gagnant même une médaille de bronze au 50 mètres de tricycle artistique. Le souvenir impérissable que je conserve de cet événement, ce n'est pas tant la fierté d'avoir pu prouver au monde entier mon excellence dans un domaine méconnu, mais l'atmosphère de franche camaraderie et d'égalité qui régnait entre les olympiens. Nous n'étions généralement pas particulièrement doués par la nature. Nous n'étions pas riches. Nous devions tous trouver le temps d'étudier, de travailler et de nous entraîner tout en conservant de bons rapports avec notre famille et nos amis, sans lesquels nous n'aurions pas pu prétendre au rôle de modèles pour l'ensemble de nos spectateurs qui devaient eux aussi travailler et s'occuper de leurs proches. Contrairement aux athlètes professionnels, aucun d'entre nous n'aurait pu se permettre de l'équipement ou un entraînement à la fine pointe de la science et de la technologie. Nous ne prenions aucune drogue, aucun stimulant, aucune hormone. Puisque nous n'étions pas payés, nous n'avions pas à rendre compte de nos performances ou de nos préférences sexuelles à des commanditaires. Et surtout, nous savions tous que la seule chose qui comptait, c'était l'effort et la détermination, dont nous devions donner l'exemple aux plus jeunes, et qui allaient nous permettre à tous une place au podium, quand bien même nous n'avions pas tous une chance de gagner une médaille d'or. Tout le monde sait qu'un olympien sans médaille, ça n'existe pas. Ma modeste médaille de bronze, ce n'est qu'une preuve à peine croyable que toute cette expérience humaine a bel et bien eu lieu.

Inspiré par cette expérience unique et pourtant accessible à tout jeune prêt à le se lever assez tôt le matin, je me suis éventuellement informé sur l'histoire des Jeux olympiques, constatant avec un émerveillement croissant leur rôle civilisateur et pacificateur dans l'histoire du XXe siècle. On oublie trop souvent à quel point l'olympisme a été pour Pierre de Coubertin d'abord et avant tout un moyen d'émanciper les peuples colonisés d'Afrique et d'Asie, mais peut-on ignorer la portée historique des Jeux de Berlin en 1936? Tout le monde craignait que le faste avec lequel ils allaient être tenus ne serve qu'à prouver de façon menaçante la puissance économique et militaire de l'Allemagne nazie. Qui pouvait deviner que le spectacle de Jessie Owens gagnant une médaille d'or au 100 mètre allait amener Adolf Hitler à remettre en question son idéologie raciste et à devenir l'un des plus ardents défenseurs de ce qui allait plus tard devenir l'ONU? Qui sait si un homme comme Hitler n'aurait pas pu provoquer, soyons fantaisistes, une autre Grande Guerre si ce n'avait été de l'influence pacifique des Jeux Olympiques? Personne n'ignore non plus le rôle des Jeux de Munich en 1972 dans la création d'un état palestinien libre et indépendant, en paix avec Israël, son principal partenaire économique depuis maintenant près de quarante ans. Quarante ans de paix maintenant mondiale entre juifs, chrétiens et musulmans! Et que dire des Jeux de Moscou en 1980, qui ont mis fin à la guerre froide et ont permis de montrer au monde entier que capitalistes ou communistes, nous étions tous des frères. Comme l'a dit si bien Francis Fukuyama, deux pays ayant un membre au CIO ne s'étant jamais fait la guerre, on peut supposer que la fin de l'Histoire est imminente.

Ici aussi, les Jeux Olympiques ont joué leur rôle historique. Je suis né en 1976, l'année des Jeux de Montréal. J'étais trop jeune pour comprendre ce qui se passait, mais on m'a expliqué comment l'événement avait été marquant dans l'histoire du Québec. Était-ce à cause de la fierté d'avoir reçu de façon un peu modeste, mais si accueillante, le monde entier dans sa Belle Province? Était-ce à cause du modèle de courage et de détermination qui lui avaient laissé tant d'athlètes remarquables? Toujours est-il que selon des historiens comme Pierre Falardeau et Jean-François Lisée, c'est à partir de 1976 que le Québec a pris confiance en soi et a décidé d'achever la Révolution tranquille par l'exploit le plus audacieux de son histoire : l'indépendance. Ils vont jusqu'à dire que sans les Jeux de Montréal, le Référendum de 1980 n'aurait pas été gagné par les souverainistes. Même si je crois plutôt qu'une nation aussi fière et courageuse que le Québec aurait inévitablement su trouver par elle-même le chemin de son indépendance, il ne fait aucun doute que c'est l'Olympisme qui lui a permis de faire ce chemin aussi rapidement. Tel n'est-il pas le sens des Jeux Olympiques? Par le spectacle d'une excellence démocratique et accessible à tous, inspirer pacifiquement les individus et les peuples de la terre à agir en collaborant les uns avec les autres, à devenir ce qu'ils peuvent être tout en reconnaissant l'égalité de tous.

En cette période olympique qui est aussi une période électorale, laissez-moi terminer par une remarque politique. Il serait intéressant que nos élections aient toujours lieu à date fixe, comme les Jeux Olympiques, et, pourquoi pas, qu'elles aient toujours lieu pendant ceux-ci. Non seulement une telle règle forcerait nos politiciens à faire preuve de plus de transparence dans leur manœuvres pré-électorale, mais le spectacle des Jeux leur inspirerait inévitablement ce fair-play qui fait si souvent défaut à notre démocratie. De plus, et c'est peut-être le plus important, le spectacle inspirant des Jeux amènerait certainement les électeurs à s'extraire pour de bon du confort de leurs sièges de salon pour aller voter « plus vite, plus haut, plus fort».

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mercredi 25 juillet 2012

En attendant Nickelback

Il est quatorze heures. C'est l'été, complètement l'été. Il fait trente-cinq degrés celsius, il n'y a pas de vent, les nuages sont vagues et sans contours, l'humidité est accablante. Vous êtes dans un parc à l'occasion d'un spectacle extérieur. N'importe quel parc, cela n'a pas d'importance, choisissez celui que vous voulez. Vous êtes dans un parc et vous attendez en file. Qu'attendez-vous? À cause de la chaleur ou de ce que vous avez fumé il y a dix minutes, vous vous sentez confus. Mais vous n'avez pas oublié. Vous attendez pour acheter quelque chose d'important, un rafraîchissement, de la bière. Oui, de la bière! Pour trois personnes. Ou bien c'était quatre? Vous étiez-vous compté une bière pour vous aussi? Il fait trop chaud! Ils sont une trentaine devant vous à attendre. Cela fait dix minutes que la file est immobile. Il semble y avoir des difficultés au kiosque. Vous croyez entendre des cris provenant du kiosque, un homme engueule une femme, mais vous ne comprenez pas ce qu'il dit, vous ne le voyez pas. Il a la voix d'un homme grand et aux longs cheveux blonds. À quoi reconnaît-on la voix d'un homme grand et aux longs cheveux blonds? Ils sont une trentaine à attendre devant vous, mais vous n'en voyez bien que trois. Ils sont ensemble, un homme et deux femmes, un peu plus jeunes que vous. Il vous semble parfois que l'une d'entre elles vous regarde. C'est sûrement votre imagination. Vous n'auriez pas dû fumer. Comment ça s'appelait, déjà? C'était turc ou iranien. Le nom, anglais, évoquait l'espace et la vitesse, mais vous l'avez oublié. Vous regardez votre montre.

Il est quatorze heures une. Il fait vraiment trop chaud! Sur la scène joue un band que vous ne connaissez pas. Vous ne connaissez aucun des bands qui ont joué aujourd'hui. Vous avez déjà entendu la chanson quelque part, il vous semble, mais vous ne l'aimez pas. Toutes les chansons que vous avez entendues aujourd'hui se ressemblent et vous n'arrivez jamais à les écouter réellement du début à la fin. Pourquoi êtes-vous ici? Pour faire plaisir à qui? Vous le regrettez. Vous avez tellement soif que vous en éprouvez de la nausée. Si vous perdiez brièvement connaissance, vous laisserait-on passer, par gentillesse, par pitié? Vous espérez un instant perdre connaissance. Puis vous avez honte de vous. Vous auriez plutôt dû apporter avec vous une bouteille d'eau, mais vous n'y avez pas pensé. Vous n'avez pas non plus pensé à porter un chapeau. Vous ne sortez pas assez souvent l'été. Vous entendez une voix proche, mais qui donne l'impression de sortir du fond d'un tunnel. Une voix masculine. C'est du français, mais vous ne comprenez pas les mots. On dirait le bruit d'énormes tuyaux qu'on dévisse. Vous devinez quand même ce qu'il dit. C'est un ami des trois devant vous. Il veut se joindre à eux. Bien sûr, bien sûr, voyons, comment ça va? Vous devrez attendre encore plus longtemps. Vous n'êtes pas vraiment en colère, mais vous vous demandez si vous pourrez attendre plus longtemps. Vous songez à abandonner, à quitter la file, à retourner auprès de vos amis pour vous faire remplacer. Vous regardez derrière vous. Ils sont une autre trentaine à attendre. Vous ne pouvez pas abandonner maintenant. Vous continuerez donc à faire la file. La jeune femme vous regarde encore, vous en êtes certain maintenant. Elle semble déçue de vous. Que vous veut-elle donc? Vous regardez votre montre.

Il est quatorze heures une. Encore? Vous fixez la montre en espérant voir avancer l'heure. Longtemps. Encore longtemps. Il est quatorze heures deux. Il fait vraiment trop chaud! Vous n'auriez pas dû vous proposer pour aller chercher la bière. Vos amis sont mieux équipés. Ils ont tous de l'eau et un chapeau. Se sont-ils consultés avant de venir? Non, ils ont dû y penser, c'est tout. Vous auriez dû vous aussi y penser. Vous faite un pas. La file avance à nouveau! Vous vous sentez soulagé, mais la soif ne diminue pas. La nausée non plus. Vous entendez une sorte de gémissement, un long soupir d'impatience. Vous réalisez que c'est vous qui soupirez. Peut-on soupirer sans le vouloir, sans même s'en rendre compte? Vous avez honte de vous-même. Pourquoi avez-vous honte? Était-ce vraiment si grave de soupirer? La jeune femme vous regarde encore, avec un air méprisant. Vous voudriez lui parler, lui dire qu'elle ne comprend pas, que vous n'êtes pas vraiment dans votre état normal. Vous sentez la nausée monter davantage, mais vous n'arrivez pas à faire disparaître le regard de la jeune femme. Et qu'a-t-elle le droit de vous reprocher de toute façon? Pour qui se prend-elle? La file avance encore d'un pas. Enfin! Vous entendez une nouvelle voix, proche comme celle de tout-à-l'heure, mais semblant sortir du fond d'un puits. Une voix féminine, rousse. Vous ne comprenez toujours pas ce qui est dit, on dirait le son d'une ruche, mais vous devinez encore. C'est la même chose que tout-à-l'heure. Bien sûr, bien sûr, voyons, Jo ne m'avais pas dit que tu venais. Combien sont-ils? Combien d'autres viendront comme elle se joindre à eux? Steeve est avec moi, il s'en vient. Vous vous impatientez. Vous regardez derrière vous pour obtenir une sorte d'appui, quelqu'un d'autre qui pourrait partager votre frustration. Mais personne ne semble avoir même remarqué ce qui s'est passé. La chaleur est suffocante. Vous réalisez que votre t-shirt est complètement détrempé. La jeune fille vous regarde encore, comme si elle vous accusait. Vous regardez votre montre.

As-tu fini de regarder ta montre?

Qu'est-ce qui arrive? Vous vous sentez confus. La voix est féminine, opprimante. Est-ce à vous qu'elle s'adresse?

Oui, c'est à toi que je parle.

Vous la regardez. Elle vous regarde. Vous tentez de lui répondre, mais les mots n'arrivent pas à sortir. Vous entendez votre voix, mais il n'y a plus de parole, que du bruit. Le bruit de l'eau qui coule dans un évier, mais en plus grave et en plus lent, avec de l'écho. Vous êtes pris de panique. Qu'est-ce qui vous arrive? Elle vous regarde encore, elle vous écrase de son regard. 

Tout le monde te voit.

Vous vous retournez. Ce n'est pas vrai. Tout le monde ne vous regarde pas. Mais il y en a quand même quelques uns. Plusieurs. Beaucoup trop. Et certains semblent se retourner précisément au moment où vous les apercevez. Est-ce un hasard? Vous regardaient-ils? Même les autres, ceux qui vous font dos, semblent en fait vous tourner le dos. Et leurs dos mêmes semblent vous regarder. Partout le silence règne. Tout s'est tu. La musique s'est arrêtée. Plus personne ne parle. Vous suffoquez. Au-dessus de vous le soleil semble s'être rapproché. Il vous regarde lui aussi.

Tout le monde te voit. Tout le monde t'entend. Même quand tu te tais. Qu'est-ce que tu fais ici, sans eau et sans chapeau? Pourquoi tu viens ici si tu n'aimes pas notre musique? Tu penses que tu vaux plus que nous? On n'avait pas besoin de toi. Personne n'a besoin de toi. Personne ne veut partager avec toi tes petites frustrations de bébé qui ne veut pas attendre plus longtemps parce que quelqu'un d'autre a des amis. Oui. Oui, tout le monde sait ce que tu penses. Et personne ne s'occupera de toi si tu t'évanouis. Tout le monde s'en fout. Tes amis sont partis. Ils avaient honte de toi. Tout le monde a honte de toi. On te suit depuis le début. Tout le monde a tout vu depuis le début. Tout le monde a vu quand tu essayais de te faire servir en premier. Quand tu trichais, mentais, volais. Tout le monde a entendu quand tu te plaignais. Tu te plains tout le temps. On n'est plus capable de t'entendre te plaindre tout le temps. Tu es minable. On t'a suivi depuis ta naissance. On a tout vu. On sait combien de fois par semaine tu te m...

La voix continue à vous condamner, mais vous n'arrivez plus à l'écouter. Vous n'avez plus d'amis. Vous êtes l'être le plus minable de l'Univers. Tout le monde vous regarde en silence. Tout le monde vous condamne. La chaleur est accablante. Vous sentez un profond étourdissement, vous allez bientôt perdre pied. Vous regardez votre montre. Il est quinze heures.




                         Nickelback, How You Remind Me



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mardi 10 juillet 2012

Pourquoi les criminel fous sont-ils tous des meurtriers?

Vous connaissez sûrement Guy Turcotte. Vous savez, le cardiologue qui a poignardé à répétition et à mort ses deux enfants Olivier et Anne-Sophie? Il est très connu. Des psychiatres l'ont évalué criminellement irresponsable de ses actes, en raison de troubles mentaux. Quarante-six petits accès bien coordonnés de folie passagère. Ils devaient bien le connaître pour en arriver à cette conclusion, beaucoup plus que sa conjointe Isabelle Gaston, qui n'était pas un témoin très neutre. Le jury a été convaincu et vous connaissez la suite. Je n'en dirai pas plus. De toute façon, moi, je ne le connais pas, Guy Turcotte.

Vous connaissez probablement aussi Anders Behring Breivik. Vous savez, le norvégien qui un jour a tué 77 hommes et femmes et en a blessé 151? Ça fait tellement de victimes que je suis obligé à mon grand désarroi d'employer des chiffres plutôt que des lettres, alors même que le respect dû aux victimes devrait m'imposer le contraire. Breivik est très connu lui aussi. Des psychiatres qui devaient bien le connaître l'ont déclaré schizophrène, paranoïaque et délirant, criminellement irresponsable de ses actes donc, mais Breivik n'a pas aimé cela. Il faut dire qu'il avait distribué le jour même du massacre un document électronique de plus de 1500 pages intitulé 2083– A European Declaration of Independence, un manifeste conservateur et xénophobe dans lequel il «démontre» la nécessité historique de ses actes haineux. S'il ne parvient pas à se faire prendre au sérieux après une tuerie aussi bien préparée, logistiquement et idéologiquement, qu'est-ce qu'un honnête militant fondamentaliste chrétien d'extrême droite est donc sensé faire? Heureusement pour Breivik, d'autres psychiatres, qui devaient bien le connaître eux aussi, l'ont ultérieurement déclaré sain d'esprit et responsable de ses actes. La question est encore ouverte puisqu'on attend toujours la fin du procès. Je n'en dirai pas plus. Même après avoir lu avec un intérêt décroissant les cent premières pages de son manifeste, je ne peux pas dire que je connais Anders Behring Breivik.

Je ne connais pas non plus Lucca Rocco Magnotta, dont je n'ai pas visionné le greatest hit. Il n'y a pas parmi mes proches de tueurs en série, de massacreurs exaltés ou même de simples meurtriers ordinaires. Pour l'instant du moins, mais je me croise les doigts avec confiance. Je ne connais pas non plus très bien le sujet, n'étant pas un amateur de CSI, de Criminal Minds ou de Bones, et n'ayant pas collectionné quand j'étais petit les fiches de meurtriers célèbres vendues au dépanneur ou en épicerie dans la section scientifique des kiosques à revues. Ce n'est pas que je ne comprends pas le désir de tuer. Il me vient parfois un tel désir, de façon passagère bien sûr, lorsque par exemple je suis au volant de ma voiture et qu'on me coupe pour ensuite rouler plus lentement que moi. J'ai le défaut d'être souvent un peu trop pressé, c'est d'ailleurs pourquoi j'écris un blogue plutôt que des livres. Il m'arrive même de souhaiter dix générations de peste à quelqu'un qui dépasserait les autres dans une file d'attente. Pour l'instant, je ne crois pas que mes souhaits aient été exaucés et il me semble n'avoir jamais cédé à une pulsion meurtrière, mais peut-être ai-je oublié, refoulé tout cela, peut-être souffré-je d'un trouble de personnalité multiple. Puis-je affirmer avec certitude que je me connais moi-même? Si jamais j'apprends un jour que j'ai tué quelqu'un, je plaiderai certainement la folie, parce que franchement, je ne m'en souviens pas.

Ce que je sais, c'est que j'ai une fois commis un crime. Rien de trop grave, même si à la place de la victime je me serais certainement souhaité un cancer incurable du cuir chevelu (je souffre depuis de calvitie, mais c'est sûrement un hasard). C'était il y a longtemps. J'ai volé un essuie-glace sur une voiture, un seul, même pas la paire, tellement j'avais peur de me faire prendre. Un vrai Mesrine! Ce n'était pas pour moi que je volais, mais pour un ami qui avait besoin de remplacer ses essuie-glaces et qui m'avait mis au défi de faire une folie. J'avais peut-être plus de dix-huit ans, j'ai oublié la date exacte, mais je pensais encore certainement comme un adolescent et j'étais facilement manipulable. J'ai donc fait une folie d'adolescent, mais étais-je fou? Étais-je non criminellement responsable de mon acte? La réponse est facile. Selon la loi, certainement pas. Selon n'importe qui d'autre non plus. Selon moi-même, encore moins probablement. La réponse est facile, tellement facile qu'on ne pose jamais la question. Existe-t-il des situations ou un adulte normal pourrait être considéré non criminellement responsable d'un crime qui ne soit pas absolument monstrueux, d'un crime banal, voire d'un simple délit, pour des motifs de troubles mentaux momentanés? Quelqu'un a-t-il jamais plaidé le délire schizophrénique passager pour se disculper d'un acte de vandalisme ou de vol à l'étalage, pour ne pas payer une contravention? On imagine la réponse outrée d'un juge au plaidoyer suivant : «Excusez-moi votre honneur, mais quand j'ai stationné ma Mercedes Benz en double devant le dépanneur Chez PoPo sur la rue  Beaubien, ce n'était pas pour sauver du temps ni par mépris des automobilistes derrière moi : j'ai obéi à une voix qui m'avait commandé impérieusement de le faire». En passant, l'homme qui s'est stationné en double devant le dépanneur à côté de chez moi existe et si mes souhaits se réalisent, tous les mâles aînés parmi ses descendants souffriront de la lèpre.

Je n'ai pas les compétences scientifiques pour juger de la responsabilité criminelle d'un meurtrier fou, mais je sais qu'il ne s'agit pas uniquement d'une question scientifique. Il s'agit aussi d'une question morale. Je ne dis pas une question éthique, mais bien une question morale, aussi dépassé que puisse sembler ce terme dans une société aussi moderne que la nôtre. Notre système judiciaire et pénal n'est pas uniquement au service des intérêts rationnels de la société, il est aussi au service de ses désirs irrationnels et sert notamment à protéger notre sens mal partagé du bien et du mal. À droite comme à gauche, chez les conservateurs comme chez les progressistes, c'est ce qu'on exige de la justice. La condamnation à mort ou l'emprisonnement à long terme ne servent que rarement les intérêts économiques et sécuritaires d'une société, on le sait bien, mais ils permettent à certains d'éprouver une sorte de satisfaction morale que d'autres jugeront perverse: le châtiment compenserait le crime, qui devrait toujours être puni. On oublie que ceux qui luttent contre la peine de mort ou l'emprisonnement, ceux qui veulent réhabiliter le coupable, ceux qui ne veulent pas croire qu'un Turcotte ou un Breivik puisse avoir agi avec toute sa tête, ont aussi un intérêt moral à défendre que d'autres trouveront inadmissible : l'homme serait fondamentalement bon et ne serait jamais criminel que pour des raisons qui le dépassent.

Pourquoi personne n'admet qu'une infraction au code la route puisse être excusée par de la folie passagère? Une telle folie ne peut-elle être attestée que lorsqu'elle nous conduit au pire? Je ne le crois pas. Il me semble que ce serait limiter à un cadre trop bien défini un trouble qui a quelque chose de chaotique, d'imprévisible, d'incompréhensible, de fou justement. Seulement, un délit ou un crime ordinaire ne remettent pas en question notre confiance fondamentale en l'être humain, aussi n'avons-nous pas besoin de cette excuse. La psychologie et la sociologie ordinaires nous suffit amplement pour expliquer tout ou presque. On vole parce qu'on a faim, par convoitise, parce que les conditions socioéconomiques ne permettent le libre épanouissement de tous. On brûle un feu rouge par distraction, parce qu'on est pressé, parce que les conditions socioéconomiques favorisent l'individualisme. Pas besoin de folie passagère pour expliquer tout cela. Mais l'horreur et la monstruosité, ce serait autre chose…

Je ne crois pas au bien et au mal. Je ne crois pas à l'ordre éternel et sacré du crime et du châtiment. Je ne crois pas que l'homme est entaché par un péché originel dont seul un dieu pourrait le racheter, mais je ne crois pas non plus que l'homme est fondamentalement bon. Je n'ai pas besoin que la justice m'apporte quoi que ce soit d'autre qu'un peu de sécurité et de bonnes raisons pour la plupart d'entre nous de ne pas agir contre les autres. L'homme est capable de tout parce qu'il est fondamentalement inconnaissable, parce qu'il se crée lui-même, parce qu'il s'invente continuellement en ne sachant pas trop ce qu'il fait. Nous pouvons nous convaincre du contraire en tuant, en emprisonnant, en internant, en réhabilitant ou en libérant les Turcotte, Breivik et Magnotta de ce monde, après tout il faut bien faire quelque chose. Mais nous ne saurons jamais avec certitude si nous avons fait ce qu'il fallait. Il est inutile d'en demander plus à la justice. 

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mardi 3 juillet 2012

Crises d'enfants rois

On a beaucoup parlé d'enfants rois durant les derniers mois, mal et en mal. Qu'on en parle en mal, cela ne me fâche pas, même si personnellement, je les aime. Parce que j'aimerais aimer tout le monde, bien sûr. Parce que j'adorerais pouvoir gâter ces enfants jusqu'à la moelle, les vanter avec toute l'éloquence dont je suis capable, tout faire à leur place et les féliciter quand même, négocier constamment avec eux et les laisser toujours gagner. Du moins les enfants des autres... Quels beaux défis stimulants leurs parents devraient-ils ensuite affronter à la maison grâce à moi! Je résisterai quand même à la tentation de les excuser, d'expliquer que ce n'est pas de leur faute, que si ce sont des enfants rois, c'est celle de leurs parents qui les ont élevés ainsi, parce que ce serait continuer à les traiter en enfants rois, justement. Et de toute façon, si leurs parents sont si mauvais, ne peut-on pas dans le fond en rejeter la faute sur les grands-parents, et donc les arrière-grands-parents, les arrière-arrière-grands parents, Adam et Ève, Prométhée, Dieu, Matthieu Bock-Côté, que sais-je? Dans le monde où je vis, un monde sans péché originel ou autre, il n'y a pas d'excuse non plus.

Qu'on parle si mal des enfants roi, c'est ce qui me fâche le plus. L'enfant roi serait le symptôme marquant le stade terminal du modèle québécois, la preuve évidente (et pourtant à refaire constamment?) de l'échec de ce syndicalisme corporatiste contre lequel les Éric Duhaime, Joseph Facal, Lucien Bouchard et autres chevaliers de la Lucidité se battent si héroïquement (en échange de justes compensations financières, ça va de soi). L'explication générale du phénomène? L'enfant roi aurait le même rapport à ses parents que la population québécoise à son État-providence. L'enfant roi par excellence, ce serait l'étudiant, le syndiqué, le chercheur ou l'artiste subventionné, en un mot le béesse. (En passant, la discipline qui applique systématiquement ce genre de raisonnement à toutes les situations de la vie s'appelle la droite, et ses pré-requis sont la richesse, l'envie, la fatigue mentale, l'alcoolisme ou l'échec scolaire.) Tout cela me fâche, parce que c'est faux. Ailleurs qu'au Québec, ce n'est pas dans la France socialiste et décadente qu'on retrouve le plus d'enfants rois, mais aux États-Unis. Cherchez l'erreur…

Disons le une fois pour toutes, l'enfant roi n'est rien d'autre que le rejeton du capitalisme décadent. Point. Voici un exemple pour les non-convaincus (où vous noterez avec un grand plaisir intellectuel une allusion judicieuse à l'importance de la consommation dans une société capitaliste).

Papa – Félix, va porter ta vaisselle salle sur le comptoir de la cuisine, ça fait cinq heures que ça traîne.
Félix – Plus tard. Je suis en train de battre le boss final dans The Amazing Spider Man™. Je suis vraiment trop intense!
Papa – Si tu n'y vas pas immédiatement, je coupe le courant.
Félix – Les menaces, les menaces... OK, d'abord. (Il appuie de mauvaise fois sur pause, se lève lâchement, prend mollement une assiette, se traîne nonchalamment vers la cuisine, s'enfarge maladroitement sur un lacet détaché et brise l'assiette en éclats.)
Papa – Qu'est-ce qui se passe encore! (Il voit) Crisse que t'es incapable!
Félix – Arrête! Mon enseignante a dit que tu n'as pas le droit de me critiquer. À cause de mon estime de moi. C'est de ta faute de toute façon. Je t'avais demandé de m'attacher les lacets tout à l'heure…


Vous vous direz que j'exagère, que je dessine plus épais que nécessaire, que je fais du Fabienne Larouche en plus vulgaire et en moins édifiant. Soit. Remplaçons Félix par Wall Street et Papa par le gouvernement des États-Unis. Remplaçons tant qu'à y être le jeu vidéo par le jeu de la bourse, la vaisselle salle par des prêts hypothécaires à risques, les lacets par des règles financières plus strictes, et vous avez là le plus court résumé possible de la crise financière de 2008. Essayez, relisez, c'est stupéfiant comme je n'ai plus l'air d'exagérer. Félix agit sans le savoir comme un trader qui condamne l'intervention de l'État, mais est prêt à blâmer ce dernier de ne pas l'avoir empêché de provoquer une faillite. Les marchés financiers sont des enfants-rois dont on tente de préserver l'estime de soi par tous les moyens tant on craint leurs crises. Juste à cause du mot crise, moi, à votre place, je serais scié. Sinon, voici un autre exemple (où vous noterez avec encore plus de plaisir intellectuel deux allusions judicieuses à l'importance de la consommation dans une société capitaliste).

Félix – Papa, regarde mon beau dessin. Je l'ai fait en classe pour la fête des pères. Je te le donne si tu me fais un cadeau, disons un PS4™.
Papa – Le PS4™ n'est pas encore sorti, mais Bravo Félix! Beau dessin quand même.C'est quoi ce beau rond avec des bosses et plein de poils? On dirait une gosse.
Félix – T'es vraiment chien! C'est un soleil et des rayons de soleil.
Papa – Ah! Un beau soleil! C'est original! Bravo Félix! Et les beaux nuages, pourquoi ils sont bruns?
Félix – Ce ne sont pas des nuages, papa, mais des étrons. Des étrons volants. Sauf si tu me donnes un PS4. Alors ce sont des nuages.
Papa – Bonne fête des pères… Enfin, Tu fais de très beaux étrons, Félix! Bravo! Quel talent! Qu'est-ce qu'a dit ton enseignante?
Félix – Que c'était bien d'explorer mon imaginaire. Elle a aussi dit que j'aurais besoin d'un iPad™ pour continuer à développer mon talent et mon estime de moi.

Voilà le genre d'enfant roi qu'on dépeint depuis le printemps dans les tabloïds de Montréal ou de Québec. C'est de la caricature, évidemment. Félix ne ressemble pas vraiment à mes enfants, comme il ne ressemble d'ailleurs pas aux autres enfants que j'ai pu côtoyer. Il faut croire que nos enfants rois ne sont pas si royaux après tout. Non, mais Félix ressemble tout de même énormément à un marché financier gâté pourri qui soumet toute critique à un chantage permanent, il ressemble à une banque qui aimerait qu'on lui donne une cote de crédit AAA alors qu'elle a pris des risques excessifs. Le véritable enfant roi, c'est le milliardaire qui se donne bonne conscience en faisant la charité et reçoit plus que ce qu'il donne, c'est la firme d'ingénieurs qui achète nos chèques en blanc avec des enveloppes brunes, c'est Pétrolia qui se paie Anticosti pour la modique somme de notre ignorance. Mais la ressemblance n'est pas une explication. Ce n'est pas parce que le capitalisme nous fournit tant de modèles d'enfants rois que nous comprenons pourquoi ils servent de modèles à nos enfants.

Pourquoi produisons-nous des enfants rois, aussi imparfaits soient-ils comparés à ceux disponibles sur le marché? Pourquoi élevons-nous de jeunes incapables gâtés pourris à l'égo enflé? Je crois que comme la plupart des parents dans l'histoire de l'humanité, nous élevons ainsi nos enfants parce que nous croyons agir pour leur propre bien. Dans une société capitaliste, l'enfant roi est un investissement très risqué, mais qui présente néanmoins d'indéniables avantages concurrentiels. L'enfant incapable de faire le ménage, de cuisiner, de jardiner, de prendre soin de lui-même, l'enfant qui consacre toutes ses énergies à obtenir le meilleur score possible dans un jeu vidéo, c'est peut-être le futur spécialiste qui sera prêt à sacrifier l'essentiel de son humanité pour mieux se réduire à une fonction rare et payante. Il pourra bien alors se payer les services qu'il faut pour pallier son incompétence. L'enfant gâté pourri, éternellement avide et insatisfait, c'est un adulte qui n'acceptera probablement pas de se priver le moindrement une fois grand. Plus que les autres il sera prêt à tout et à n'importe quoi (tricher, mentir, voler, militer pour le PLQ…) afin de ne jamais perdre une capacité de consommation qu'on lui a inculquée dès le plus jeune âge comme son privilège le plus irrévocable. L'enfant à l'égo enflé, qui se croit meilleur que ce qu'il est réellement, apprendra facilement à se croire un adulte meilleur que d'autres et à envier ceux qui sont meilleurs que lui. Il renforcera sans le savoir cette inégalité et ce ressentiment qui sont si indispensables au fonctionnement de notre économie. Nous élevons nos enfants comme des rois parce que nous espérons en faire des princes. Il serait grand temps d'élever nos enfants comme des enfants et d'en faire des femmes et des hommes.

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