vendredi 8 février 2013

Miroir, miroir, dis-mois ce que tu penses.

Ce sera contraire à mes habitudes, mais ces premières lignes, cher lecteur fidèle et précieux, c'est à toi plutôt qu'à moi que j'aimerais les consacrer cette semaine. J'aimerais les consacrer à te féliciter. À féliciter ton intelligence, ta lucidité, ton jugement incomparables. En effet, qui d'autre que toi a l'imagination qu'il faut pour reconnaître le caractère hors du commun de ma probité intellectuelle et de mon objectivité éditoriale? Qui d'autre que toi est assez charitable pour apprécier l'incroyable rigueur de la recherche et du raisonnement sur lesquels je m'appuie pour évaluer de façon critique chaque point de vue, chaque idée, chaque argument partagé sur les pages virtuelles de Relations d'incertitude? Qui d'autre que toi a l'intuition requise pour deviner à quel point j'applique scrupuleusement les mêmes exigences jusque dans ma vie personnelle? Car tu l'as très bien deviné: avant de prendre la moindre décision, je tiens en effet à soupeser toutes les options et à évaluer minutieusement les plus improbables conséquences de chacune d'entre elles. Tu as aussi deviné que cette attitude m'a conduit récemment à consulter le site internet du Parti conservateur du Canada, afin de m'assurer rétroactivement que je n'avais pas eu complètement tort d'éteindre avec mon propre sang une chandelle noire à l'effigie de Maxime Bernier en faisant le serment de ne jamais voter pour ce parti lors d'une nuit de profonde ébriété où l'on m'avait mis au défi de le faire, ce que je ne pouvais bien sûr refuser, tant je suis rigoureusement orgueilleux.

Je dois admettre que ma consultation du site officiel du Parti conservateur  du Canada fut… surprenante. J'avais toujours cru que le parti soumis à Stephen Harper était idéologiquement sclérosé, qu'il incarnait des valeurs dignes de nos ancêtres les plus réactionnaires (je pense notamment au regretté Darth Sidious, à l'inénarrable Sauron ou au non moins contesté Lionel Groulx). Or, je découvrais un parti moderne, ouvert, soucieux de transparence et cherchant à faire évoluer le débat en consultant la population canadienne quant à ses politiques les plus impopulaires. Si, si, il y a bel et bien sur le site officiel du parti conservateur du Canada une consultation nous permettant d'exprimer librement notre opinion. La première question qu'on nous pose est un exemple stupéfiant de cette nouvelle orientation: « Est-ce que vous soutenez notre décision d’abolir le registre des armes d'épaule, inefficace et coûteux ? ». L'ouverture de ce que nous serons bientôt forcés d'appeler le Nouveau Parti conservateur du Canada est telle que pour répondre à cette question, on ne nous offre pas un, ni deux, mais trois choix. Trois! Oui, non ou indécis. C'est ainsi que j'ai moi-même eu le privilège de répondre sincèrement que j'étais indécis. On l'ignore peut-être, mais je suis contre l'abolition du registre des armes d'épaule; or, il se trouve aussi que je suis contre ce qui est inefficace et coûteux: je suis donc indécis! Le parti conservateur m'a permis de mieux nommer mes positions politiques et de les lui faire connaître précisément. Que pouvais-je exiger de plus? J'aurais même pu, si je l'avais voulu, répondre indécis à la question et signifier par là que je suis pour l'abolition du registre des armes à feu, mais que je suis aussi pour l'inefficacité et le coût élevé des programmes gouvernementaux. Au Parti conservateur, tout le monde a droit à ce que ses valeurs soient respectées.

On dira que j'applique un peu trop rigoureusement le principe de charité. Que j'interprète très généreusement un sondage particulièrement biaisé. Que la question que je viens de discuter aurait pu être mieux formulée, comme toutes les autres d'ailleurs. Qu'il y avait certainement moyen pour le PCC d'être plus clair, plus objectif, plus honnête. Je veux bien, mais ce serait ignorer que selon le conservatisme, le progrès a des limites intrinsèques. On ne peut pas toujours faire mieux. Et gare à ceux qui essaient quand même, ignorant qu'au détour les attendent le déluge, Babel, Auschwitz, Hiroshima, les goulags, les carrés rouges, etc. Faudrait-il que le parti conservateur aille jusqu'à contredire ses valeurs fondatrices? Oui, il y avait, peut-être, moyen de faire mieux, mais il y avait très certainement moyen de faire pire… On critiquera probablement le caractère confus et trompeur d'une question comme celle-ci : « Est-ce que vous soutenez notre ordre du jour de lutte contre le crime? ». Mais on aurait tout aussi bien pu se retrouver avec une question comme celle-là : « Êtes-vous des moumounes qui avez peur de faire ce qu'il faut pour que vos petites filles ne se fassent pas violer à chaque coin de rue? ». Entre deux maux, il faut choisir le moindre: ainsi raisonne tout conservateur. Et c'est pourquoi je propose de reconsidérer le questionnaire du Parti conservateur du Canada, en mettant en parallèles les questions qu'il nous a posées avec celles qu'il aurait pu nous poser…

Question originale : « Est-ce qu’une force militaire solide est importante pour le Canada? ».
Question possible : « Est-ce que vous préféreriez que votre pittoresque chalet boréal, payé à la sueur du front de vos fiers ancêtres défricheurs, ne soit pas saccagé par des envahisseurs soviétiques malpropres? ».

Question originale : « Est-ce que vous soutenez notre plan permettant le partage du revenu des familles afin de permettre à celles-ci de payer moins d’impôt? ».
Question possible : « Est-ce que vous soutenez notre plan permettant que les célibataires (dont des études indépendantes ont démontré qu'ils sont pour la plupart des alcooliques irresponsables passant leur temps à rire des pères et mères de familles lors de cocktails dînatoires snobs) et les femmes monoparentales (qui selon les mêmes études seraient presque toutes des prostituées toxicomanes recevant des prestations d'aide parentale pour leurs enfants avortés) cessent enfin de jouir d'un meilleur niveau de vie que le vôtre? ».

Question originale : « Nous permettons le partage du revenu de pension des aînés afin d’alléger leur fardeau fiscal. Est-ce que vous soutenez cette mesure? ».
Question possible : « Nous ne permettons pas l'euthanasie forcée pour toute veuve âgée de plus de 60 ans et incapable de subvenir à ses propres besoins par un travail honnête. Est-ce que vous soutenez cette mesure? ».

Question originale : «Est-ce que vous êtes d’accord que le gouvernement conservateur soutienne les familles par des mesures comme la Prestation universelle pour la garde d'enfants (PUGE) de 1 200 $ par année, versée pour chaque enfant de moins de six ans, le Crédit d'impôt pour la condition physique des enfants et le Crédit d'impôt pour les activités artistiques des enfants ? ».
Question possible : « Est-ce que vous êtes d'accord que le gouvernement conservateur ne piétine pas trop visiblement le visage de petits enfants innocents et pleins d'avenir? ».

Question originale : « Est-ce que vous bénéficiez d’un Compte d’épargne libre d’impôt (CELI)? ».
Question possible : « Est-ce que vous bénéficiez d'un crédit d'impôt sur les intérêts négatifs des investissements par lesquels vous espérez compenser la disparition de vos régimes de retraite? ».

Question originale : « Est-ce que les demandeurs du statut de réfugié devraient recevoir de meilleurs soins de santé que les citoyens canadiens? ».
Question possible : « Est-ce que des étrangers louches devraient pouvoir infecter nos enfants et nos vieillards en leur volant leurs reins pendant qu'ils dorment? ».

Question originale : « Est-ce que nous devrions déporter les non-citoyens qui enfreignent nos lois au lieu de les garder en prison? ».
Question possible : « Est-ce que le noir ou le pas-blanc qui vous a volé votre télé couleur devrait avoir droit à une télé HD? ».

Question originale : « Est-ce que vous êtes d’accord avec notre politique étrangère réfléchie consistant à soutenir Israël ? ».
Question possible : « Est-ce que vous êtes d'accord avec notre politique étrangère sage, mûrie, soupesée, judicieuse et consensuelle, consistant à soutenir de pauvres juifs respectables et pieux? ».

Question originale : « Est-ce que vous êtes d’accord avec le NPD, qui soutient que les contribuables canadiens devraient subventionner les banques européennes? »
Question possible : « Est-ce que vous êtes d'accord avec le NPD, qui soutient que les contribuables canadiens devraient subventionner de riches vampires juifs, communistes et athées? ».

Question originale : «Est-ce que vous êtes d’accord avec les Libéraux et le NPD, qui soutiennent que les demandeurs devraient avoir droit à l’Assurance-emploi après une année de travail de 45 jours? ». 
Question  possible : « Est-ce que vous êtes d’accord avec les Libéraux et le NPD, qui soutiennent que les Québecois devraient avoir le droit d'enculer le reste des Canadiens 320 jours par année? ».

Question originale : «Est-ce que vous soutenez la taxe sur le carbone tueuse d’emplois de 21 milliards de dollars de Thomas Mulcair? ».
Question possible : « Est-ce que vous soutenez, comme Thomas Mulcair, qu'il n'est pas nécessaire de travailler pour vivre et que l'air n'est pas le plus beau cadeau de Dieu? ».

Question originale : «Est-ce que vous soutenez le Parti conservateur du Canada? ».
Question possible : « Est-ce que vous soutenez un parti qui vient de montrer qu'il savait défendre les droits des femmes en expulsant de son caucus un sénateur accusé de violence conjugale? ».

Question originale : « Est-ce que vous envisageriez de devenir membre du Parti conservateur du Canada? ».
Question possible : « Est-ce que vous envisageriez de devenir membre d'un parti capable de se tenir debout devant des sauvages? ».

Question originale : « Est-ce que vous envisageriez de faire un don au Parti conservateur du Canada? »
Question possible : « Votre opinion compte-t-elle? ».

Quand on compare, on se console. Je cite le dicton de mémoire, bien sûr... J'aimerais enfin ajouter que le questionnaire du Parti conservateur du Canada encourage d'autant plus honnêtement les Canadiens à mener une réflexion personnelle non biaisée que les deux dernières questions (« Que pensez-vous du travail réalisé par le Premier ministre Stephen Harper ? » et « Que pensez-vous du travail réalisé par le Parti conservateur du Canada ? ») sont des questions à développement permettant au citoyen de dire ce qui lui plaît en étant assuré qu'aucune étude statistique ne pourra jamais être établie à partir de ses réponses. Cela semble choquant? N'oublions jamais que le PCC aurait tout aussi bien pu forcer les Canadiens à répondre sous la forme d'une dictée trouée. Comment ne pas penser que « _ _ travail exceptionnel du _ _ _ _ _ _ _ ministre Harper témoigne d'une probité _ _ _ l'honore au plus haut point. Je l'éc_ _s ici et je l'écri_ _i partout où on me demandera d'exprimer librement mon opinion: ce chef d'État remarquable _ _ _ _ un jour le vote de tous les Canadiens dignes de ce nom. _ _ _ seule équipe est apte à diriger notre grande fédération, celle du Parti conservateur du Canada. Un parti raisonnable, un parti fort, un parti sans _ _ _ _ _ _ _. » C'est presque irrésistible...

Et toi, cher lecteur? Es-tu capable de résister?

Si tu aimes, partage…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Écrivez-moi...