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La scène se déroule sur
la place Émilie Gamelin à Montréal. C'est la fin septembre, le temps est
pluvieux et la place est presque déserte, hormis pour la présence d'un employé
de Gentilly-2 qui tente de recueillir des signatures contre la fermeture de la
centrale nucléaire. Discutent avec lui une étudiante du
Collège du vieux Montréal, une professeure de l'UQAM et un homme
d'affaires possédant un commerce sur la rue Saint-Catherine, auxquels se joint la journaliste
Lysiane Gagnon.
Lysiane – Mais
qu'est-ce que vous faites avec vos protestations pépères contre la fermeture de
la centrale?
L'employé – Pas
encore une… Ne venez pas m'insulter vous aussi! Je suis seulement là pour
défendre mon emploi. J'ai le droit d'exprimer mon opinion, non? Même si personne
ici ne veut signer ma pétition…
L'homme d'affaires
– Moi si, moi si… je viens de la signer.
L'employé –
Merci, je ne pensais pas à vous.
L'homme d'affaires – Personne
ne pense jamais à moi.
La professeure, à l'homme d'affaires – Personne ne pense à vous, elle est bonne..! À l'employé. Et vous, personne ne vous
à insulté, voyons. Nous discutons calmement et rationnellement. Ce n'est tout
de même pas de notre faute si vous défendez une cause perdue.
L'employé –
Attendez au moins le rapport avant de la juger perdue… 800 emplois sont en jeu.
Lysiane – Réunions,
pétitions, communiqués, assemblées de notables, arguments rationnels...
Désolée, Messieurs-Dames, mais ce sont là des méthodes archaïques. Ce n'est pas
ainsi qu'on fait avancer ses revendications dans le Québec post-carré rouge.
L'étudiante –
Mais de quoi se mêle-t-elle, celle-là?
L'employé – Non,
non. Ça m'intéresse, ça m'intéresse vraiment. Que devrions-nous faire?
Lysiane – Sortez
en masse dans la rue, munis des instruments que vous jugerez le plus aptes à
effectuer le maximum de dégâts possible à la propriété publique et privée -
bâtons, fourches, boules de billard, torches allumées, que sais-je. N'oubliez
surtout pas de vous masquer le visage, et n'allez pas être assez bêtes pour
avertir la police du trajet de vos manifs, la loi inique, ignoble et scélérate
interdisant ces tactiques étant maintenant levée.
L'étudiante –
Bravo Madame Gagnon! Vous avez évolué! Mais vous vous trompez de combat… c'est
pour la gratuité scolaire qu'il faut se battre! Avec nous, dans la rue!
L'employé, en même temps que l'étudiante – Vous pensez vraiment que nous
pouvons faire comme les carrés rouges et l'emporter par la force et la violence?
L'homme d'affaires, en même temps que les deux autres – Ah non! C'est assez! Il est temps
que les affaires reprennent leur cours normal! J'ai perdu quatre vitrines le
printemps dernier.
La professeure, qu'on n'écoute pas – Je pense qu'elle
est ironique. J'ai particulièrement aimé l'allusion aux fourches.
L'employé – Mais
plus précisément, madame Gagnon, que devrions-nous faire?
Lysiane – Cassez
les vitrines des commerçants. Bloquez l'autoroute. Jetez des bombes puantes
dans les autobus et des bombes fumigènes dans les trains. Lancez des briques
aux policiers en les traitant de SS ou de gros porcs pour mieux les provoquer.
Envahissez les bureaux gouvernementaux, démolissez le matériel et intimidez le
personnel.
L'homme d'affaires – Vous
êtes folle!?!
L'employé –
Pensez-vous que ça fonctionnerait vraiment ?
L'étudiante – Ne
l'écoutez pas. Il faut toujours manifester le plus pacifiquement possible,
sinon vous ne susciterez jamais la sympathie de l'opinion publique.
La professeure, qu'on n'écoute pas – Je vous dis qu'elle est ironique.
L'employé – Mais
madame Gagnon, nous ne pouvons pas faire autant de dégâts que les étudiants.
Nous sommes huit cents. Ils étaient quand même quelques milliers à tout
détruire sur leur passage.
L'étudiante –
Nous étions des centaines de milliers! Et seule une infime minorité a fait des
dégâts! Vous nous présentez comme si nous étions tous des terroristes!
Lysiane – Vous
manquez de volontaires? Faites venir le Black Bloc, ces serviables personnages
se feront un plaisir de vous prêter main forte.
L'étudiante – Prêter
main forte?!? Le Black bloc?!? Serviables?!? Pour Gentilly-2?!?
La professeure, qui ne parvient pas à attirer l'attention –
Puisque je vous dis qu'elle est ironique! À Lysiane. Vous devez quand même
reconnaître que les frais de scolarité ont été abolis par le PQ, qui a été élu démocratiquement, bien après les actes de vandalisme du Black Bloc, actes qui ont d'ailleurs toujours
terni l'image du mouvement étudiant dans l'opinion publique. Même ironique,
votre raisonnement ne tient pas.
L'employé – Le
Black Bloc, est-ce qu'ils sont nombreux? On les appelle comment? Est-ce qu'il y
a un répertoire? À l'étudiante. Vous
les avez fait venir comment?
L'étudiante – On ne
les a jamais fait venir! On ne voulait pas d'eux! On voulait manifester
pacifiquement!
L'employé, à Lysiane – Vous pensez sérieusement que
le Black Bloc nous aidera? Est-ce que ça suffira?
Lysiane – Vous
manquez encore de renforts? Fermez les écoles et les cégeps de la région!
Sortez-en les élèves et les profs manu militari. D'ailleurs, étudier, qu'ossa
donne quand on peut devenir député à 20 ans avec juste un DEC?
La professeure, au spectateur puisque personne ne l'écoute – Vous apprécierez la fine distinction
entre «écoles» et «cégeps». Vous noterez aussi que c'est le retour en classe qui
fut imposé manu militari.
L'employé – Je ne
suis pas sûr si je vous comprends. Comment allons-nous nous y prendre pour
fermer les écoles? Nous conseillez-vous de boycotter Gentilly-2?
L'homme d'affaires
– Ce ne serait pas très efficace…
L'étudiante – Non
mais l'avez-vous entendue!?! «Étudier, qu'ossa donne »! Nous n'avons pas pris
congé de nos études! Nous nous sommes battus pour que tous puissent étudier! Et
puis c'est quoi le rapport avec Léo Bruno-Blouin?
La professeure, au spectateur – Tout le monde sait que le
poste de député s'obtient par élection, pas par sélection. Il n'y pas d'âge ou
de niveau de scolarité requis. C'est ça, la démocratie. À Lysiane. Léo Bruno-Blouin a été élu, madame Gagnon. Êtes-vous contre
la démocratie, ou êtes-vous seulement envieuse?
Lysiane – C'est
la rue qui mène aujourd'hui, Messieurs-Dames, et notre gouvernement serait bien
mal venu de vous contredire là-dessus, lui dont les membres ont été les
principaux soutiens des carrés rouges.
L'employé – C'est
vrai, ça…
La professeure, qui tente à nouveau mais en vain de se faire
entendre – Mais non! Enfin, ce n'est pas très nuancé et c'est surtout très
confus. Le gouvernement n'a pas été élu par la rue. Et la rue, ça peut aussi
bien signifier les manifestations pacifiques que les actes de vandalisme. Le PQ
n'a jamais soutenu les actes…
L'homme d'affaires, pointant la professeure à l'employé – N'essaie
pas de comprendre cette «intellectuelle», elle est sûrement payée au nombre de
mots. C'est ça, le syndicalisme dans les écoles.
Lysiane – Il
faudra élargir la lutte. Louez des autocars pour vous rendre à Québec (les
centrales syndicales seront heureuses de défrayer la logistique, comme elles
l'ont fait pour les carrés rouges). Québec est le paradis du manifestant: il y
a deux ponts, un aéroport et je ne sais combien d'autoroutes à bloquer,
d'innombrables locaux gouvernementaux à vandaliser, il y a plein de petites
rues où vous pourrez jouer à la guérilla urbaine avec la police, et du haut des
belvédères on peut jeter des roches sur la majorité silencieuse de la basse
ville…
L'étudiante – Québec
n'a jamais été le paradis des manifestations étudiantes! Presque tout le monde
était contre nous là-bas! Ça levait presque partout au Québec sauf à Québec!
L'homme d'affaires
– Non, non, Québec est une excellente ville pour les manifestations. Jeff Fillion,
le nouveau Colisée… la majorité silencieuse ne se taira jamais!
La professeure, au spectateur – Vous noterez ici le mépris de madame Gagnon pour la capacité des moins riches Québécois à penser par eux-mêmes...
Lysiane, qui poursuit sans écouter – …autre avantage de la capitale, on y croise
nombre de politiciens. Ne vous privez pas de les injurier en les accusant de
fascisme ou, pire, de néo-libéralisme.
L'étudiante – Et le fasciste publié au journal Le Soleil,
on ne l'a pas inventé, crisse!
La professeure, au spectateur – L'incohérence de son
ironie me laisse pantoise. Elle se perd dans les fils de sa métaphore. Si au
moins elle avait dit : « Ne vous privez pas de les injurier en les accusant de
socialisme ou, pire, d'écologisme». Ça aurait été beaucoup plus cohérent.
L'employé – Et une
fois que les étudiants ont mis Québec à feu et à sang, qu'ont-ils fait? Que
devrions-nous faire?
Lysiane – Commencez par réclamer du gouvernement Marois l'équivalent de ce que les carrés
rouges ont obtenu du gouvernement Charest à propos des universités: la moitié
des sièges au conseil d'administration d'Hydro-Québec dans le but d'y trouver
du gaspillage, auquel cas vous réclamerez ces surplus pour la réfection de
Gentilly-2...
L'étudiante – Ce
qu'on a obtenu, c'était moins que la moitié des sièges, y compris avec les
syndicats, et on avait contre nous les recteurs, les milieux d'affaires et le
gouvernement! Le gouvernement n'a pas plié, il s'est même vanté de nous avoir
fourrés!
L'employé – La
réfection ne coûtera pas aux payeurs de taxes une aussi grande fortune que le gel des frais de
scolarité, mais il s'agit quand même de plusieurs milliards. Pensez-vous
vraiment qu'on peut trouver ça en gaspillage à Hydro-Québec?
L'homme d'affaires –
Il faudrait peut-être demander à François Legault.
Lysiane, qui poursuit sans les écouter – …quand
le gouvernement aura plié là-dessus pour acheter la paix, ne vous satisfaites
pas de si peu. Réclamez des augmentations de salaire, un meilleur régime de
retraite, l'abolition de vos frais d'électricité personnels... si vous manquez
d'idées, demandez conseil à l'Archange Gabriel.
L'employé – Je
prends des notes…
L'homme d'affaires – Vous
êtes une socialiste, madame Gagnon.
L'étudiante –
Mais Charest n'a jamais plié! Et nous n'avons jamais modifié nos demandes! Et surtout nous n'avons jamais défendu des intérêts personnels! Ce n'est pas nous qui allions être le plus touchés par la hausse, mais les plus jeunes encore. Nous
défendions une vision de l'avenir!
La professeure, au spectateur – Personne ne comprend
plus l'ironie, y compris ceux qui se mêlent d'en faire. Vous constaterez tout
de même la mauvaise foi qui se cache ici dans l'allusion «spirituelle» à
Gabriel Nadeau-Dubois. Comme si la raison était tout entière du côté du gouvernement
libéral qui s'opposait farouchement à l'irrationalité et au fanatisme. C'est un peu fanatique...
Lysiane – Quand
finalement le gouvernement annoncera la relance de Gentilly-2, n'allez surtout
pas lâcher ce qu'on vous avait offert en échange de la fermeture de la
centrale. Les carrés rouges n'ont-ils pas obtenu à la fois le gel et la
bonification de l'aide financière que leur avait offerte le gouvernement en
échange de la hausse des droits de scolarité? Prenez exemple sur eux, ils
savent comment avoir le beurre, l'argent du beurre et les faveurs de la
crémière.
L'employé – C'est
noté.
L'étudiante –
Charest avait déjà augmenté les frais sans compensation!
L'homme d'affaires
– Elle est où, la crémière ?
La professeure, au spectateur – Il n'y a qu'une seule
question qui se pose. Fait-elle semblant de ne pas comprendre ou ne
comprend-elle vraiment pas?
Lysiane – Occupez
donc la rue en toute confiance: la première ministre ne sera pas insensible à
vos méthodes. N'était-elle pas la plus enthousiaste groupie des carrés rouges?
L'employé – Moi,
Pauline, je l'haïs.
L'homme d'affaires – C'est
ce que me disent plusieurs de mes clients. In english.
La professeure, à l'étudiante, à l'employé et à l'homme
d'affaires – Ne voyez-vous pas à quel point ces propos sont haineux et
dégradants! Elle n'a pas arrêté de présenter les carrés rouges comme des
terroristes et elle compare maintenant la première ministre du Québec à une petite adolescente idiote qui les a suivis partout et qui serait prête à coucher
avec eux!
Lysiane – Il se peut que vous tombiez sous le coup
d'accusations criminelles. Bah! Ne vous en faites pas. Comme les carrés rouges,
vous exigerez l'amnistie!
La professeure – Vous ne comprenez pas. Ce sera à la justice de déterminer dans quelles situations il y a eu abus, vous ne pouvez pas mettre dans un même panier...
L'employé – Moi j'ai compris. Il assène un violent coup de poing à la professeure qui s'effondre immédiatement. Merci madame Gagnon, vous avez vraiment fait évoluer le débat.
Merci Madame Gagnon. J'espère ne pas vous avoir citée (intégralement) hors contexte...
Si vous aimez, partagez.
Merci Madame Gagnon. J'espère ne pas vous avoir citée (intégralement) hors contexte...
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