mercredi 3 octobre 2012

Verte de ressentiment

Le 26 septembre dernier, Lysiane Gagnon publiait dans La Presse un billet intitulé La leçon des carrés rouges. L'ineptie de ce torchon littéraire et journalistique n'aura probablement pas échappé à l'espèce menacée des lecteurs intelligents de ce quotidien, mais le monde actuel étant ce qu'il est, nous lisons vite, trop vite souvent pour apprécier finement tout l'effort qui a été fourni par l'auteure afin de rendre ce billet aussi inepte. C'est pourquoi je vous propose ici une remise en contexte des propos de Lysiane Gagnon, qui permettra je l'espère de mieux apprécier la subtilité de son épaisseur.

                                                       ***

La scène se déroule sur la place Émilie Gamelin à Montréal. C'est la fin septembre, le temps est pluvieux et la place est presque déserte, hormis pour la présence d'un employé de Gentilly-2 qui tente de recueillir des signatures contre la fermeture de la centrale nucléaire. Discutent avec lui une étudiante du Collège du vieux Montréal, une professeure de l'UQAM et un homme d'affaires possédant un commerce sur la rue Saint-Catherine, auxquels se joint la journaliste Lysiane Gagnon.

Lysiane – Mais qu'est-ce que vous faites avec vos protestations pépères contre la fermeture de la centrale?

L'employé – Pas encore une… Ne venez pas m'insulter vous aussi! Je suis seulement là pour défendre mon emploi. J'ai le droit d'exprimer mon opinion, non? Même si personne ici ne veut signer ma pétition…

L'homme d'affaires – Moi si, moi si… je viens de la signer.

L'employé – Merci, je ne pensais pas à vous.

L'homme d'affaires  Personne ne pense jamais à moi.

La professeureà l'homme d'affaires – Personne ne pense à vous, elle est bonne..! À l'employé. Et vous, personne ne vous à insulté, voyons. Nous discutons calmement et rationnellement. Ce n'est tout de même pas de notre faute si vous défendez une cause perdue.


L'employé – Attendez au moins le rapport avant de la juger perdue… 800 emplois sont en jeu.

Lysiane – Réunions, pétitions, communiqués, assemblées de notables, arguments rationnels... Désolée, Messieurs-Dames, mais ce sont là des méthodes archaïques. Ce n'est pas ainsi qu'on fait avancer ses revendications dans le Québec post-carré rouge.

L'étudiante – Mais de quoi se mêle-t-elle, celle-là?

L'employé – Non, non. Ça m'intéresse, ça m'intéresse vraiment. Que devrions-nous faire?

Lysiane – Sortez en masse dans la rue, munis des instruments que vous jugerez le plus aptes à effectuer le maximum de dégâts possible à la propriété publique et privée - bâtons, fourches, boules de billard, torches allumées, que sais-je. N'oubliez surtout pas de vous masquer le visage, et n'allez pas être assez bêtes pour avertir la police du trajet de vos manifs, la loi inique, ignoble et scélérate interdisant ces tactiques étant maintenant levée.

L'étudiante – Bravo Madame Gagnon! Vous avez évolué! Mais vous vous trompez de combat… c'est pour la gratuité scolaire qu'il faut se battre! Avec nous, dans la rue!

L'employé, en même temps que l'étudiante  Vous pensez vraiment que nous pouvons faire comme les carrés rouges et l'emporter par la force et la violence?

L'homme d'affaires, en même temps que les deux autres  Ah non! C'est assez! Il est temps que les affaires reprennent leur cours normal! J'ai perdu quatre vitrines le printemps dernier.

La professeure, qu'on n'écoute pas – Je pense qu'elle est ironique. J'ai particulièrement aimé l'allusion aux fourches.

L'employé – Mais plus précisément, madame Gagnon, que devrions-nous faire?

Lysiane – Cassez les vitrines des commerçants. Bloquez l'autoroute. Jetez des bombes puantes dans les autobus et des bombes fumigènes dans les trains. Lancez des briques aux policiers en les traitant de SS ou de gros porcs pour mieux les provoquer. Envahissez les bureaux gouvernementaux, démolissez le matériel et intimidez le personnel.

L'homme d'affaires  Vous êtes folle!?!

L'employé – Pensez-vous que ça fonctionnerait vraiment ?

L'étudiante  Ne l'écoutez pas. Il faut toujours manifester le plus pacifiquement possible, sinon vous ne susciterez jamais la sympathie de l'opinion publique.

La professeure, qu'on n'écoute pas – Je vous dis qu'elle est ironique.

L'employé – Mais madame Gagnon, nous ne pouvons pas faire autant de dégâts que les étudiants. Nous sommes huit cents. Ils étaient quand même quelques milliers à tout détruire sur leur passage.

L'étudiante – Nous étions des centaines de milliers! Et seule une infime minorité a fait des dégâts! Vous nous présentez comme si nous étions tous des terroristes!

Lysiane – Vous manquez de volontaires? Faites venir le Black Bloc, ces serviables personnages se feront un plaisir de vous prêter main forte.

L'étudiante – Prêter main forte?!? Le Black bloc?!? Serviables?!? Pour Gentilly-2?!?

La professeure, qui ne parvient pas à attirer l'attention – Puisque je vous dis qu'elle est ironique! À Lysiane. Vous devez quand même reconnaître que les frais de scolarité ont été abolis par le PQ, qui a été élu démocratiquement, bien après les actes de vandalisme du Black Bloc, actes qui ont d'ailleurs toujours terni l'image du mouvement étudiant dans l'opinion publique. Même ironique, votre raisonnement ne tient pas.

L'employé – Le Black Bloc, est-ce qu'ils sont nombreux? On les appelle comment? Est-ce qu'il y a un répertoire? À l'étudiante. Vous les avez fait venir comment?

L'étudiante – On ne les a jamais fait venir! On ne voulait pas d'eux! On voulait manifester pacifiquement!

L'employé, à Lysiane – Vous pensez sérieusement que le Black Bloc nous aidera? Est-ce que ça suffira?

Lysiane – Vous manquez encore de renforts? Fermez les écoles et les cégeps de la région! Sortez-en les élèves et les profs manu militari. D'ailleurs, étudier, qu'ossa donne quand on peut devenir député à 20 ans avec juste un DEC?

La professeure, au spectateur puisque personne ne l'écoute  Vous apprécierez la fine distinction entre «écoles» et «cégeps». Vous noterez aussi que c'est le retour en classe qui fut imposé manu militari.

L'employé  Je ne suis pas sûr si je vous comprends. Comment allons-nous nous y prendre pour fermer les écoles? Nous conseillez-vous de boycotter Gentilly-2?

L'homme d'affaires – Ce ne serait pas très efficace…

L'étudiante – Non mais l'avez-vous entendue!?! «Étudier, qu'ossa donne »! Nous n'avons pas pris congé de nos études! Nous nous sommes battus pour que tous puissent étudier! Et puis c'est quoi le rapport avec Léo Bruno-Blouin?

La professeure, au spectateur – Tout le monde sait que le poste de député s'obtient par élection, pas par sélection. Il n'y pas d'âge ou de niveau de scolarité requis. C'est ça, la démocratie. À Lysiane. Léo Bruno-Blouin a été élu, madame Gagnon. Êtes-vous contre la démocratie, ou êtes-vous seulement envieuse?

Lysiane – C'est la rue qui mène aujourd'hui, Messieurs-Dames, et notre gouvernement serait bien mal venu de vous contredire là-dessus, lui dont les membres ont été les principaux soutiens des carrés rouges.

L'employé – C'est vrai, ça…

La professeure, qui tente à nouveau mais en vain de se faire entendre – Mais non! Enfin, ce n'est pas très nuancé et c'est surtout très confus. Le gouvernement n'a pas été élu par la rue. Et la rue, ça peut aussi bien signifier les manifestations pacifiques que les actes de vandalisme. Le PQ n'a jamais soutenu les actes…

L'homme d'affaires, pointant la professeure à l'employé – N'essaie pas de comprendre cette «intellectuelle», elle est sûrement payée au nombre de mots. C'est ça, le syndicalisme dans les écoles.

Lysiane – Il faudra élargir la lutte. Louez des autocars pour vous rendre à Québec (les centrales syndicales seront heureuses de défrayer la logistique, comme elles l'ont fait pour les carrés rouges). Québec est le paradis du manifestant: il y a deux ponts, un aéroport et je ne sais combien d'autoroutes à bloquer, d'innombrables locaux gouvernementaux à vandaliser, il y a plein de petites rues où vous pourrez jouer à la guérilla urbaine avec la police, et du haut des belvédères on peut jeter des roches sur la majorité silencieuse de la basse ville…

L'étudiante – Québec n'a jamais été le paradis des manifestations étudiantes! Presque tout le monde était contre nous là-bas! Ça levait presque partout au Québec sauf à Québec!

L'homme d'affaires – Non, non, Québec est une excellente ville pour les manifestations. Jeff Fillion, le nouveau Colisée… la majorité silencieuse ne se taira jamais!

La professeure, au spectateur – Vous noterez ici le mépris de madame Gagnon pour la capacité des moins riches Québécois à penser par eux-mêmes...

Lysiane, qui poursuit sans écouter  – …autre avantage de la capitale, on y croise nombre de politiciens. Ne vous privez pas de les injurier en les accusant de fascisme ou, pire, de néo-libéralisme.

L'étudiante  Et le fasciste publié au journal Le Soleil, on ne l'a pas inventé, crisse!

La professeure, au spectateur – L'incohérence de son ironie me laisse pantoise. Elle se perd dans les fils de sa métaphore. Si au moins elle avait dit : « Ne vous privez pas de les injurier en les accusant de socialisme ou, pire, d'écologisme». Ça aurait été beaucoup plus cohérent.

L'employé – Et une fois que les étudiants ont mis Québec à feu et à sang, qu'ont-ils fait? Que devrions-nous faire?

Lysiane – Commencez par réclamer du gouvernement Marois l'équivalent de ce que les carrés rouges ont obtenu du gouvernement Charest à propos des universités: la moitié des sièges au conseil d'administration d'Hydro-Québec dans le but d'y trouver du gaspillage, auquel cas vous réclamerez ces surplus pour la réfection de Gentilly-2...

L'étudiante  Ce qu'on a obtenu, c'était moins que la moitié des sièges, y compris avec les syndicats, et on avait contre nous les recteurs, les milieux d'affaires et le gouvernement! Le gouvernement n'a pas plié, il s'est même vanté de nous avoir fourrés!

L'employé – La réfection ne coûtera pas aux payeurs de taxes une aussi grande fortune que le gel des frais de scolarité, mais il s'agit quand même de plusieurs milliards. Pensez-vous vraiment qu'on peut trouver ça en gaspillage à Hydro-Québec?

L'homme d'affaires – Il faudrait peut-être demander à François Legault.

Lysiane, qui poursuit sans les écouter – …quand le gouvernement aura plié là-dessus pour acheter la paix, ne vous satisfaites pas de si peu. Réclamez des augmentations de salaire, un meilleur régime de retraite, l'abolition de vos frais d'électricité personnels... si vous manquez d'idées, demandez conseil à l'Archange Gabriel.

L'employé – Je prends des notes…

L'homme d'affaires  Vous êtes une socialiste, madame Gagnon.

L'étudiante – Mais Charest n'a jamais plié! Et nous n'avons jamais modifié nos demandes! Et surtout nous n'avons jamais défendu des intérêts personnels! Ce n'est pas nous qui allions être le plus touchés par la hausse, mais les plus jeunes encore. Nous défendions une vision de l'avenir!

La professeure, au spectateur – Personne ne comprend plus l'ironie, y compris ceux qui se mêlent d'en faire. Vous constaterez tout de même la mauvaise foi qui se cache ici dans l'allusion «spirituelle» à Gabriel Nadeau-Dubois. Comme si la raison était tout entière du côté du gouvernement libéral qui s'opposait farouchement à l'irrationalité et au fanatisme. C'est un peu fanatique... 

Lysiane – Quand finalement le gouvernement annoncera la relance de Gentilly-2, n'allez surtout pas lâcher ce qu'on vous avait offert en échange de la fermeture de la centrale. Les carrés rouges n'ont-ils pas obtenu à la fois le gel et la bonification de l'aide financière que leur avait offerte le gouvernement en échange de la hausse des droits de scolarité? Prenez exemple sur eux, ils savent comment avoir le beurre, l'argent du beurre et les faveurs de la crémière.

L'employé – C'est noté.

L'étudiante – Charest avait déjà augmenté les frais sans compensation! 

L'homme d'affaires – Elle est où, la crémière ?

La professeure, au spectateur – Il n'y a qu'une seule question qui se pose. Fait-elle semblant de ne pas comprendre ou ne comprend-elle vraiment pas?

Lysiane – Occupez donc la rue en toute confiance: la première ministre ne sera pas insensible à vos méthodes. N'était-elle pas la plus enthousiaste groupie des carrés rouges?

L'employé  Moi, Pauline, je l'haïs.

L'homme d'affaires  C'est ce que me disent plusieurs de mes clients. In english.

La professeure, à l'étudiante, à l'employé et à l'homme d'affaires – Ne voyez-vous pas à quel point ces propos sont haineux et dégradants! Elle n'a pas arrêté de présenter les carrés rouges comme des terroristes et elle compare maintenant la première ministre du Québec à une petite adolescente idiote qui les a suivis partout et qui serait prête à coucher avec eux!

Lysiane – Il se peut que vous tombiez sous le coup d'accusations criminelles. Bah! Ne vous en faites pas. Comme les carrés rouges, vous exigerez l'amnistie!

La professeure – Vous ne comprenez pas. Ce sera à la justice de déterminer dans quelles situations il y a eu abus, vous ne pouvez pas mettre dans un même panier...

L'employé – Moi j'ai compris. Il assène un violent coup de poing à la professeure qui s'effondre immédiatement. Merci madame Gagnon, vous avez vraiment fait évoluer le débat.

Merci Madame Gagnon. J'espère ne pas vous avoir citée (intégralement) hors contexte...


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