mercredi 10 octobre 2012

Les vrais révolutionnaires

Depuis le tout récent virage à gauche toute! du Québec, on a beaucoup parlé d'eux. Vous les croisez tous les jours avec envie ou admiration. Ils sont certainement riches, mais ne cherchez pas leur monocle et n'allez surtout pas les traiter de bourgeois. Ils sont jeunes, dynamiques, sexys…et si vous leur demandez de quoi ils sont le plus fiers, ils seront unanimes à vanter la fermeté de leur éthique de travail. Qu'ils soient créateurs d'emplois ou workaholics, jet-setters ou trend-setters, ils ont tous un point en commun : pas question de payer davantage d'impôts! On les a entendus sur toutes les tribunes, mais qui sont-ils réellement, derrière l'enceinte de leur vie privée? Cette semaine, Relations d'incertitude a dépêché son chroniqueur urbain auprès de quelques-uns d'entre eux. Enquête dans l'univers intense et fascinant des jeunes riches contre la hausse d'impôts.
                                                                                                  
                                ***
                               
« Pas facile d'être riche en 2012 ». Je suis sur la magnifique terrasse au sommet du Roccabella, le tout nouveau complexe de condominiums luxueux érigé à deux pas du Centre Bell. Il est plus de trois heures du matin. Dire que j'attendais encore il y a deux minutes à peine… Pas moyen de le rencontrer plus tôt, Johann est un homme occupé! Vodka martini dans la main gauche, Montblanc limited edition dans la droite, il me résume la situation en parafant un contrat: « On dirait que tout est de notre faute. La mondialisation, la dérèglementation, la crise financière, la récession, la dette… ce n'est pas en chialant contre nous que tous ces profiteurs paresseux et autres gogochisards vont enrichir le Québec. Le 1% va toujours exister et c'est une bonne chose ». Johann Perv-Hurt dirige avec deux associés la firme de génie-conseil Perv-Hurt-Seymour-Harlot, spécialisée dans la réduction de coût des délocalisations d'entreprise. Seul Québécois à faire partie du célèbre Forbes 400 – il cumule les citoyennetés du Canada, des États-Unis et de Monaco –, Johann songe à déménager le siège social de sa firme à Toronto ou à Singapour. « Tu sais ce qu'elle va me coûter, la hausse de Pauline Marois? » Il lance par-dessus le parapet de la terrasse une bouteille de Stolichnaya Elit à moitié pleine que nous perdons vite de vue. « Il faudrait que je paye deux VP exécutifs à temps plein et que je leur fasse pitcher des bouteilles en continu pour perdre autant d'argent! » Du haut du Roccabella, le rythme envoûtant de la musique lounge et le rire des jeunes professionnelles voltigeant autour de Johann ont tôt fait d'étouffer le bruit agaçant d'une sirène d'ambulance, loin au-dessous, rue Drummond.


Pas besoin d'être milliardaire pour subir les effets négatifs de la future hausse d'impôts sur les plus nantis. Judith Powerknot, avocate spécialisée en droit bancaire qui achève un MBA à l'Université McGill tout en se préparant pour le triathlon Ironman du Dubai – adéquatement nommé DE$ERT $TORM – en sait quelque chose. Je l'ai rencontrée durant l'une de ses cinq pauses hebdomadaires. «Avec les examens et la compétition qui approchent à grands pas, je ne peux pas me permettre la moindre perte de revenus. Tout est calculé rigoureusement. Je devrai probablement liquider quelques fonds d'actions spéculatifs légués par ma grand-mère et auxquels je tiens énormément. C'est mon dernier souvenir d'elle…» Ses magnifiques yeux bleus presque humides, Judith nous explique avec émotion le rôle décisif qu'a joué sa grand-mère, troisième femme actuaire au Canada, durant sa jeunesse. « C'est elle qui m'a appris que ce qu'on gagne dans la vie, on ne le doit à personne. We built that.» L'indomptable et jolie brunette, que ses amis surnomment affectueusement «De qui parlez-vous?», ne se laisse pas abattre pour autant. «J'ai averti mon partenaire. S'il ne parvient pas à obtenir de promotion cette année, lui et moi, c'est on thin ice ». On peut constater sur son brassard que Judith fait la promotion de la fondation Rêves d'Enfants. « C'est important pour moi de donner à la communauté. Je cours pour la petite Jessica, une surdouée atteinte de leucémie qui rêverait de passer une journée dans la Station spatiale internationale. Il lui faut un million. Un million que les meilleurs Québécois ne pourront plus donner! Les mesures archaïques du gouvernement québécois, ce sont les enfants comme Jessica qui vont payer pour! »

J'ai aussi rencontré Guy, un animateur-vedette à la télévision dont le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il a su rester jeune malgré une carrière aussi longue que réussie. Guy souhaite conserver l'anonymat. «Si vous saviez comme ma situation est compliquée! En tant que personnalité emblématique de la gauche québécoise, ex-étudiant à l'UQAM, ex-humoriste et ex-satirique, je n'ai pas le choix d'appuyer la mesure de madame Marois. Mais en tant que millionnaire…» Nous sommes au restaurant Le Continental. Guy, assis devant moi a à peine touché un tartare d'émeu servi avec un espuma de chicoutai et de wasabi. Il déboutonne nerveusement son veston et pose ses deux mains sur ses jeans : « Je n'ai pas oublié mes racines. Mais un millionnaire souverainiste de gauche aussi populaire que moi, tu sais comment ça peut faire avancer la cause. Dans ce temps-là, on ne s'attend pas à recevoir en plus la facture…» Je dois avouer que son magnétisme est irrésistible. Impossible de demeurer impartial devant tant d'effronterie bon enfant. Mais je suis un professionnel, il est temps de poser la question qui tue : « Guy, ne trouve-tu pas que ce qu'il y a de plus choquant dans l'ensemble des mesures fiscales adoptées par le gouvernement, c'est leur caractère rétroactif? » Ouf! C'est dit. Il n'en faut pas plus pour que Guy rétorque par l'une de ses répliques bien senties : « Et notre vote, est-il rétroactif? ». Je réfléchis longtemps au sens de sa remarque. Quel empêcheur de penser en rond! Puis je réalise que je n'ai moi-même pas touché à mon plat, un sashimi d'omble de l'Arctique dans une sauce à l'érable et aux griottes. Qu'à cela ne tienne! Guy et moi levons chacun un verre de Chasse-Spleen 2005 que le propriétaire du bistro nous a versé aux frais de la maison: « à la santé du Québec!»

Finalement, ces jeunes riches nouveau genre n'ont peut-être pas tort. Le Québec a besoin d'un dynamisme qu'on ne sent pas dans les mesures annoncées par le gouvernement. Nous sommes au vingt-et-unième siècle après tout. La richesse ne dort plus sous terre. Elle ne résulte plus du travail monotone et routinier des usines et de l'industrie. À l'ère de l'information et des réseaux sociaux, la richesse doit désormais être séduite et le moins qu'on puisse dire, c'est que comparée aux jeunes que je viens de rencontrer, Pauline Marois n'est pas très séduisante... Je repense soudain à une phrase de Johann: « On devrait inscrire cette phrase à l'entrée du temple capitaliste : interdit aux pépères et aux mémères! »

Par Simon Cachepard

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Écrivez-moi...