mercredi 31 octobre 2012

L'oeil du cyclone


Connaissez-vous Sandy? C'est une vedette comme on en n'en fait plus. Elle fait une tournée en ce moment même sur la côte est des États-Unis. J'ai oublié le nom de la tournée. Appetite For Destruction ou Still Hungry je crois. Quelque chose de Glam metal en tout cas. On ne parle plus que d'elle ces jours-ci. Quelle audace! Quel panache! Elle fait vraiment des ravages...

Quel con!

Non!?! Vous ne la connaissez pas? C'est vrai qu'elle n'est pas facile à reconnaître. Elle s'est déguisée en Frankenstorm pour l'Halloween. C'est un costume très difficile à réaliser, tissu de membres disparates. Il y a des millions de personnes à déguiser de façon hétéroclite. Il faut des familles inquiètes et photogéniques, des sauveteurs héroïques et sexys, des hommes d'État responsables et charismatiques, des propriétaires têtus et juste assez fashionably rustiques. Il faut des politiciens opportunistes et bien coiffés, des pasteurs réactionnaires et qui ont le sens du scandale, des environnementalistes qui ont tout vu venir et qui savent tenir la réplique devant des climato-sceptiques… convaincants. Il faut aussi beaucoup de sinistrés et de blessés pittoresques. Quelques jolis cadavres ne nuisent jamais.

Non mais quel con, vraiment!

C'est vrai, j'avais oublié… Il faut des chroniqueurs qui savent maintenir un ton moralement approprié et se montrer indignés par le traitement médiatique de l'événement tout en l'exploitant sans vergogne. Mais continuons, continuons. Il y a les décors aussi. Très dispendieux, bien sûr. State-of-the-art. Il faut idéalement détruire des villes entières. New York par exemple, mais pas tout de suite, c'est quand même le punch. Il faut commencer par des stations balnéaires cossues ou des villes touristiques symbolisant l'assouvissement infini de tous les désirs. Quelque chose comme Boardwalk Empire réduit en charpie. Quel tableau! L'impact est tout aussi visuel que moral. Dans le genre La Récompense du Vice ou Tous égaux sous le ciel. Et puis après seulement on peut montrer New York. Les fenêtres calfeutrées. Les rues presque désertes. La une abandonnée d'un journal, emportée par le vent, annonçant la catastrophe à des fuyards depuis longtemps disparus. Les souterrains silencieux d'une station de métro condamnée avant d'être engloutie. Un tremblement sourd. Puis l'eau qui déferle et qui gicle comme un orgasme. Le tout s'achevant par un plan américain de la statue de la liberté, still standing for freedom.

Bon, bon, bon… T'en as assez dit, là? T'es satisfait?

***

Tout cela semblera grossièrement exagéré à quiconque ne suit pas comme moi d'un peu trop près l'actualité américaine. En ce qui me concerne, je dirais que c'est juste assez exagéré. Je sais que pour certains, il n'y a pas de juste exagération. Plusieurs préfèrent leurs analyses socio-politico-économico-météoro-culturelles froides, précises et rigoureuses. Appelons-les des amateurs de sushis éditoriaux. Et bien moi, je préfère les cheeseburgers bien coulants et plein de gadgets douteux. Il faut dire que je souffre d'une sorte de dépendance malsaine à tout ce qui est américain. Walt Disney, Ronald McDonald  et Barack Obama m'ont probablement endommagé pour la vie. Et si cette dépendance m'a permis de découvrir des écrivains, des cinéastes ou des intellectuels aussi éblouissants que Cormac McCarthy, Paul Thomas Anderson ou Martha Nussbaum, il reste que le plus souvent, je me contente du New York Times, de CNN ou du Daily Show. Comme le diraient nos voisins du sud, c'est la vie

Le véritable problème avec une telle dépendance, dont la plupart de mes compatriotes québécois souffrent inévitablement à un degré ou à un autre, c'est qu'elle tend à nous rendre passifs. Comme si tout ne s'inventait, tout ne se faisait, tout ne se décidait qu'aux États-Unis. Comme si nous ne pouvions qu'attendre et subir la prochaine crise financière, le prochain président, le prochain ouragan. Seulement, comme j'écris dans ce luxueux bureau où mes deux collègues et moi avons la chance de partager une douzaine de pieds carrés et une FENÊTRE!!!, j'ai le loisir de voir avec mes propres yeux Sandy en personne, en direct, in Quebec. Et laissez-moi vous dire que ce n'est pas impressionnant. Pour citer approximativement Météomédia, Sandy, c'est du temps nuageux avec averses et éclaircies isolées. Wow… Fallait-il craindre autre chose? Cela ne devrait-il pas nous servir de leçon? Le jour où GodTM décidera que les Américains sont mûrs pour un véritable déluge expiatoire, il se pourrait bien que le Québec ne reçoive que quelques centimètres de pluie. Le jour où un éventuel président républicain décidera de détruire pour de bon le mince filet social de son pays afin d'assurer l'émancipation finale de nobles et héroïques milliardaires, il se pourrait bien que nous décidions d'élire un gouvernement minoritaire dirigé par François Legault. On s'en remettra…

Je ne connais pas très bien la météorologie, mais comme tout le monde, j'en ai quelques notions. Et comme dans une vie antérieure j'ai fait des études médiocres en mathématiques et en physique, je serais à peu près capable d'expliquer à un enfant, à condition qu'on me donne des bâtons à cafés et quelques crayons à colorier, des phénomènes complexes et inter-reliés comme la température, la pression atmosphérique et le vent. J'aurais beaucoup plus de difficulté, il me faudrait relire attentivement certains livres depuis longtemps oubliés, mais je ne serais pas tout à fait incapable non plus d'expliquer à un adulte les équations primitives atmosphériques, qui sont une application aux surfaces sphériques des équations de Navier-Stokes, qui décrivent plus généralement la dynamique des fluides. Je me souviens encore du théorème de la boule chevelue. Appliqué à une boule chevelue idéale qu'on tenterait de coiffer de telle sorte que tous les cheveux soient collés à la sphère et qu'aucun n'en croise un autre, ce théorème affirme qu'il existe au moins un endroit sur la boule où un cheveu refusera d'être coiffé. Une singularité. Appliqué à l'atmosphère terrestre, ce théorème affirme qu'il existe en tout temps au moins un endroit sur la terre où il ne vente pas du tout, un lieu autour duquel tout semble tourner, un lieu aussi calme qu'imprévisible, mais je ne parle déjà plus en scientifique...

Nous pouvons nous croire prisonniers d'un système, DU Système. Nous pouvons nous croire emportés à jamais par les vents omniprésents et omnipotents du capital, de la puissance et du prestige. Nous pouvons suivre avec une angoisse d'esclaves les cours et les fluctuations qui, en provenance du sud ou de l'ouest, nous déterminent implacablement. Mais nous savons que sur terre, il existera toujours au moins un lieu où ces lois semblent inopérantes. Au moins un. Mais presque toujours plus. Il ne s'agit peut-être que de lieux imaginaires. Toutes sortes de topologistes et autres spécialistes du colmatage des singularités sont payés pour nous en convaincre. Mais ces lieux, imaginaires ou non, nous devons tenter de les habiter coûte que coûte.

Philippe Labarre, pour Relations d'incertitude, qui semaine après semaine tente de vous rendre un peu plus habitable l'œil du cyclone…


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mercredi 24 octobre 2012

Accidents de parcours

Cueillette
C'était un lundi avant-midi, le jour de l'Action de grâce. Il faisait beau, l'air était presque tiède, le ciel était sans nuage et d'un bleu qui rappelait encore septembre. À la maison, leurs filles étaient excitées et elles criaient sans cesse. Pour une poupée, pour un nom de princesse, pour rien parfois. On ne saura jamais à quel point l'humeur d'enfants a souvent dû déterminer l'histoire. Ils étaient donc allés cueillir des pommes, dans ce petit village sur la rive nord où ils vont presque chaque année cueillir des pommes. Ça leur fera du bien. C'est ce qu'ils s'étaient dit. Mais ils étaient revenus épuisés, les filles ne s'étaient jamais calmées finalement. Entre deux demi-heures impossibles de voiture, lentement et en profitant des moindres distractions, ils avaient rempli un grand sac, celui à quinze dollars, de Lobo et de McIntosh. L'une pour les tartes et l'autre pour croquer. Elles sont meilleures cette année, à cause du gel au printemps. Si vous les conservez au frais elles seront bonnes pendant des mois. Le sac repose, bien au frais, dans le réfrigérateur du sous-sol. L'une des pommes est pourrie. En janvier, quand ils ouvriront le sac oublié, elles seront toutes pourries.    

mercredi 10 octobre 2012

Les vrais révolutionnaires

Depuis le tout récent virage à gauche toute! du Québec, on a beaucoup parlé d'eux. Vous les croisez tous les jours avec envie ou admiration. Ils sont certainement riches, mais ne cherchez pas leur monocle et n'allez surtout pas les traiter de bourgeois. Ils sont jeunes, dynamiques, sexys…et si vous leur demandez de quoi ils sont le plus fiers, ils seront unanimes à vanter la fermeté de leur éthique de travail. Qu'ils soient créateurs d'emplois ou workaholics, jet-setters ou trend-setters, ils ont tous un point en commun : pas question de payer davantage d'impôts! On les a entendus sur toutes les tribunes, mais qui sont-ils réellement, derrière l'enceinte de leur vie privée? Cette semaine, Relations d'incertitude a dépêché son chroniqueur urbain auprès de quelques-uns d'entre eux. Enquête dans l'univers intense et fascinant des jeunes riches contre la hausse d'impôts.
                                                                                                  
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« Pas facile d'être riche en 2012 ». Je suis sur la magnifique terrasse au sommet du Roccabella, le tout nouveau complexe de condominiums luxueux érigé à deux pas du Centre Bell. Il est plus de trois heures du matin. Dire que j'attendais encore il y a deux minutes à peine… Pas moyen de le rencontrer plus tôt, Johann est un homme occupé! Vodka martini dans la main gauche, Montblanc limited edition dans la droite, il me résume la situation en parafant un contrat: « On dirait que tout est de notre faute. La mondialisation, la dérèglementation, la crise financière, la récession, la dette… ce n'est pas en chialant contre nous que tous ces profiteurs paresseux et autres gogochisards vont enrichir le Québec. Le 1% va toujours exister et c'est une bonne chose ». Johann Perv-Hurt dirige avec deux associés la firme de génie-conseil Perv-Hurt-Seymour-Harlot, spécialisée dans la réduction de coût des délocalisations d'entreprise. Seul Québécois à faire partie du célèbre Forbes 400 – il cumule les citoyennetés du Canada, des États-Unis et de Monaco –, Johann songe à déménager le siège social de sa firme à Toronto ou à Singapour. « Tu sais ce qu'elle va me coûter, la hausse de Pauline Marois? » Il lance par-dessus le parapet de la terrasse une bouteille de Stolichnaya Elit à moitié pleine que nous perdons vite de vue. « Il faudrait que je paye deux VP exécutifs à temps plein et que je leur fasse pitcher des bouteilles en continu pour perdre autant d'argent! » Du haut du Roccabella, le rythme envoûtant de la musique lounge et le rire des jeunes professionnelles voltigeant autour de Johann ont tôt fait d'étouffer le bruit agaçant d'une sirène d'ambulance, loin au-dessous, rue Drummond.

mercredi 3 octobre 2012

Verte de ressentiment

Le 26 septembre dernier, Lysiane Gagnon publiait dans La Presse un billet intitulé La leçon des carrés rouges. L'ineptie de ce torchon littéraire et journalistique n'aura probablement pas échappé à l'espèce menacée des lecteurs intelligents de ce quotidien, mais le monde actuel étant ce qu'il est, nous lisons vite, trop vite souvent pour apprécier finement tout l'effort qui a été fourni par l'auteure afin de rendre ce billet aussi inepte. C'est pourquoi je vous propose ici une remise en contexte des propos de Lysiane Gagnon, qui permettra je l'espère de mieux apprécier la subtilité de son épaisseur.

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La scène se déroule sur la place Émilie Gamelin à Montréal. C'est la fin septembre, le temps est pluvieux et la place est presque déserte, hormis pour la présence d'un employé de Gentilly-2 qui tente de recueillir des signatures contre la fermeture de la centrale nucléaire. Discutent avec lui une étudiante du Collège du vieux Montréal, une professeure de l'UQAM et un homme d'affaires possédant un commerce sur la rue Saint-Catherine, auxquels se joint la journaliste Lysiane Gagnon.

Lysiane – Mais qu'est-ce que vous faites avec vos protestations pépères contre la fermeture de la centrale?

L'employé – Pas encore une… Ne venez pas m'insulter vous aussi! Je suis seulement là pour défendre mon emploi. J'ai le droit d'exprimer mon opinion, non? Même si personne ici ne veut signer ma pétition…

L'homme d'affaires – Moi si, moi si… je viens de la signer.

L'employé – Merci, je ne pensais pas à vous.

L'homme d'affaires  Personne ne pense jamais à moi.

La professeureà l'homme d'affaires – Personne ne pense à vous, elle est bonne..! À l'employé. Et vous, personne ne vous à insulté, voyons. Nous discutons calmement et rationnellement. Ce n'est tout de même pas de notre faute si vous défendez une cause perdue.