mercredi 30 mai 2012

Nous sommes tous amateurs

Tout le monde a vécu cela. On est préoccupé, fasciné par une idée nouvelle et tout d'un coup, cette idée, on la retrouve partout autour de soi, au coin de la rue, dans la bouche d'un ami, sur la couverture d'un livre. On est alors tenté de se dire que l'idée est épatante, qu'elle peut déverrouiller toute seule les serrures conceptuelles du monde, comme un passe-partout magnétisé magiquement (soyons baroque) par celles-ci. C'est faux bien sûr. On est toujours moins génial qu'on pense. C'est pourquoi on peut au contraire être tenté de se dire que l'idée est finalement banale, qu'on l'a eue sur le tard, après tout le monde, qu'on est tout simplement un peu lent à saisir les choses aussi bien que les autres. C'est probablement vrai, mais ce ne serait pas une bonne raison pour leur abandonner l'idée. Dans le domaine des idées, il n'y a pas encore de droit d'auteur et quand on est plus lent à comprendre, on comprend parfois de façon plus profonde. Comme le disait Einstein : « Ce n'est pas que je suis si intelligent, c'est que je reste plus longtemps avec les problèmes ». Moi, par exemple, qui suis encore moins intelligent qu'Albert Einstein, j'ai de la difficulté à comprendre la nécessité du capitalisme, et plus on me l'explique, moins je comprends. Quand je serai vraiment sûr de ne plus rien comprendre à cette nécessité, je serai d'ailleurs heureux de vous éclairer avec mon incompréhension... mais je divague.


Quelque chose de semblable m'arrive depuis quelques jours avec une idée plus ou moins fixe. Depuis que j'ai décidé (d'essayer) de produire un blogue autour de la question du dilettantisme, de l'amateurisme, de celles et ceux qui ne savent pas complètement ce qu'ils font, cette question semble se poser partout autour de moi, comme une mouche fatigante. Je ne suis pas parano. On allègue aujourd'hui que Bill Clinton aurait traité Obama d'amateur. Dans l'univers mental asphyxiant de l'élite américaine, ce doit bien être la pire des insultes, quoique je ne peux pas en être certain tant je suis loin de même connaître quelqu'un qui connaîtrait quelqu'un qui connaîtrait peut-être une élite. Hier, c'était Alain Dubuc, un professionnel indiscutable, qui affirmait qu'en ce qui concerne la hausse des frais de scolarité, l'humeur était peut-être contre, mais l'analyse était certainement pour. Je suis incompétent en économie, mais je crois fermement qu'en politique, l'humeur est plus fiable que l'analyse. J'aurai l'occasion un autre jour d'expliquer pourquoi, et je serai alors heureux qu'on me démontre mon erreur. Toujours est-il que le thème du dilettantisme semble bourdonner partout autour de moi, ce que je trouve d'autant plus agaçant qu'il semble que je pense le contraire de ce qu'il faudrait penser à ce sujet. Parce que pour moi, voyez-vous, être un amateur, c'est une bonne chose. C'est en fait ce qu'on peut être de mieux. Et la bonne nouvelle, c'est qu'il n'y a rien de plus facile qu'être un amateur. Il suffit d'essayer.

J'étais l'autre jour au Cinéma du Quartier latin avec mon ami Stéphane et nous nous apprêtions à écouter la rediffusion de L'Or du Rhin de Wagner, mis en scène par Robert Lepage au Metropolitan Opera de New York. Tout cela sonne très professionnel, très élitiste, il y a d'ailleurs beaucoup de majuscules. J'avais quand même bien hâte et somme toute je n'ai pas été trop déçu. La représentation commença par des remerciement adressés notamment à Paul Desmarais. Ne me demandez pas si c'était le père ou le fils, je ne les distingue pas plus que je ne suis capable de distinguer un billet de trois cent dollars d'un billet de sept cent dollars. Sans ce Paul Desmarais nous rappelait-on, l'évènement aurait été impossible. Stéphane, pour me mettre à l'épreuve sans doute, me dit alors : « Sans le capitalisme, tu ne pourrais pas assister à ce spectacle. » Il fallait que je réponde. C'était une plaisanterie, mais il fallait quand même que je réponde : « Stéphane, quand le capitalisme sera renversé, c'est nous qui allons nous raconter les histoires et elles seront bien meilleures! » Ce que j'ai dit là était complètement idiot, mais j'ai décidé de m'y tenir et c'est un peu ainsi qu'a germé l'idée de ce blogue. Pourrions-nous vivre dans un monde où c'est à nous tous, et non uniquement à ceux qui sont payés pour, qu'incombe la responsabilité de raconter, de créer, de réfléchir, d'agir ? Ce ne serait pas facile. Les résultats seraient souvent décevants. En tant qu'enseignant, je n'ai pas d'illusion quant à la valeur de ce que mes étudiants sont capables de produire sans salaire... Pourtant, je ne vois pas d'autre voie que celle-là. Si nous voulons créer un monde meilleur et durable, dans lequel nous serions libres et égaux, nous ne pouvons tout simplement pas en déléguer la tâche à qui que ce soit d'autre. Du point de vue de l'avenir, nous sommes tous également des amateurs.

5 commentaires:

  1. Salut Phil,

    Si on veut renverser le capitalisme pour enrayer les abus de pouvoir, on doit se rappeler que les premières relations de pouvoir sont beaucoup animales que ça et ne disparaîtront pas parce que l'argent disparaîtra. L'URSS n'avait pas moins de disparité du pouvoir. D'ailleurs, ce n'est pas non plus en remplaçant le capitalisme par une forme de troc sophistiqué qu'on remplacera le capitalisme et la seule question qui pour moi demeure à ce moment, c'est, vraiment, voulons-nous empêcher les modes de production privés qui produisent les meilleurs produits de ce monde? Je la posais cette question à un anti-capitaliste pourtant en train de boire sa bière artisanale, en allant vers les moins gros, il se voyait moins capitaliste, et pourtant, c'est du pareil au même, là n'est pas la pierre angulaire du débat!

    Il ne s'agit pas plus ici de social-démocratie, sauf si on entend démocratie par "pouvoir au peuple", car ce débat lassant n'est pas autant intéressant en fonction la façon dont on met nos représentants au pouvoir, mais de quelle sorte de lois on a pour encadrer ces échanges économiques et ces modes de production. Qu'on soit dans un système qui ne veuille plus investir en santé et en éducation, mais préfère investir dans les compagnies privées en subvention, et qu'on appelle ce système capitalisme, j'me dis que l'univers des mots est n'importe où à ce moment-là, parce que vraiment, le capitalisme ne devrait jamais sauver une compagnie comme ça! Et la confusion qui règne permet au centre de garder le pouvoir. Ni le PQ ni les Libéraux n'ont voulus parler du salaire du citoyen, tout autant obnibulé par l'idée de créer des emplois qu'ils sont, simple perte de potentiel humain, quand autant l'ADQ que QS l'ont mentionnés, parce que l'argument est valide autant quand on sait compter, que quand on est à gauche. En déformant le language de la droite de la sorte, on arrivera jamais à l'équilibre sain. Je me demande si les vieux chinois nous diraient qu'on cherche le gris plutôt que l'équilibre du yin et du yang.

    Ainsi, non vous n'avez pas vu ce spectacle à cause du capitalisme, mais à cause d'un donateur qui a voulu contrer les mécanismes du capitalisme, et c'est là précisément la différence entre un socialisme et un communisme. C'est par une action socialiste que vous l'avez vu ce spectacle, si vous arrivez à sortir du cliché que "ce gars est capitaliste", ce qui ne veut rien dire, surtout quand on regarde cette action-là.

    Mais si vous voulez contrer le capitalisme pour que plus personne ne soit professionnel et que nous soyons tous amateurs, j'embarque dans le projet, mais pas parce que je le trouve cohérent, mais parce que je ne veux plus travailler, je veux un simple salaire du citoyen, des simples mesures sociales pour limiter et contrôler le capitalisme, qui me permettra de vivre parmi vous, sans m'obséder des structures de production, en produisant de l'art, en méditant le bon et le beau et en exprimant ce que je sens quand je touche à ce qui n'est pas tant moi, comme les idées ne le sont pas, ni ne m'appartiennent, mais qui est vrai. Je ne suis pas un professionnel devant les forces du cosmos, mais un fan, the number one fan! :)

    Seb

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    1. Salut Seb. J'aime la fin de ton message. Le reste est très sérieux, ça me fait un peu peur ;)

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    2. Ahah, tu sais que je suis sérieux, mais que je ne me prends pas au sérieux, une stance que je tiens qui semble difficile à saisir mais qu'aucun n'a aussi bien résumer que le groupe musical "Air":

      "Don't be light, live a light life."

      Bises mon frère! :)

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  2. Réflexion intéressante, Philippe, mais difficile à systématiser: qui voudrait aller voir un psychologue amateur ? (D'accord, beaucoup le font, mais beaucoup ne savent pas qu'ils le font... ils sont des clients ou des névrosés amateurs !) Et le lien avec le capitalisme... je ne sais pas. En tout cas, que de plus en plus de responsabilités sociales, politiques, etc., soient entre les mains de personnes qui n'ont pas écrit de thèse sur le sujet avant de se mettre au travail, c'est évidemment souhaitable et le seul avenir encourageant. On vit quelque chose du genre en Église: pénurie de prêtres, donc redécouverte de l'importance vitale de l'engagement des laïques, participation plus importante au leadership au sein de la communauté, etc.
    Je suivrai (en amateur) le développement de ta pensée sur la question !
    - jonathan

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    1. Merci de me suivre Jonathan. Je discuterai éventuellement le titre du blogue pour clarifier quelque chose : je ne prends pas position systématiquement dans ces textes, qui remettent constamment en question leurs propres présupposés. Qu'il faille des pros dans la vie sociale, ça va de soi, mais tout ne s'arrête pas là et il y a des limites à explorer... On aime, on a des amis, on invente en amateurs. Je vais bientôt parler du rapport entre Dieu et le discours de maîtrise théorique. Je ne suis pas croyant, ce sera visible, mais je n'ai pas l'intention de critiquer la croyance en Dieu en tant que telle: tes remarques seront très bienvenues.

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