mardi 21 mai 2013

Wanted: Natashquan, dead or undead

Laissez-moi vous dire que j'ai rarement été aussi excité de ma vie!

JE REVIENS DE VOYAGE!!! TOUTES DÉPENSES PAYÉES!!! EN JET PRIVÉ!!! AVEC UN HOMME BEAUCOUP PLUS IMPORTANTS QUE VOUS OU MOI!!!  

Vous ne me croyez pas, hein? Ou alors vous vous demandez comment c'est possible? Vous vous dites peut-être même que ça ne devrait pas être permis de jouir ainsi de la vie quand on enseigne la littérature au Cégep? Yet this is how I roll...

Tout a commencé lorsque j'ai reçu, il y a une semaine, une lettre de Johann Perv-Hurt. Vous vous souvenez peut-être de cet individu remarquable. En octobre 2012, Relations d'incertitude avait dépêché auprès de lui l'un de ses correspondants dans le cadre de son enquête sur les jeunes riches Québécois contre la hausse d'impôts. Milliardaire copropriétaire de Perv-Hurt-Seymour-Harlot, une firme de génie-conseil montréalaise spécialisée dans la réduction de coût des délocalisations d'entreprise, il nous avait révélé son intention d'en déménager le siège social en dehors du Québec advenant l'adoption par l'Assemblée nationale de la hausse d'impôts pour les plus nantis. Et bien, figurez-vous donc que malgré l'inefficacité du gouvernement Marois, Johann vient quand même de déménager… à Natashquan. Oui, oui, à Natashquan!

J'étais aussi surpris que vous lorsque j'ai lu le message. Hi Philippe! Je lis ton blogue tous les jours. Tes idées son vraiment dépassées. Mais j'adore ton style semi-littéraire. Viens me voir à Natashquan. Je sais que c'est la fin du monde (il voulait sûrement dire le bout du monde) mais ne t'inquiète pas. Mon jet privé t'attend à Dorval et je paie tout. J'ai un big scoop pour toi. Ça va révolutionner la planète. P.S. Je t'ai laissé ce qu'il faut pour préparer notre rencontre. Dans l'enveloppe, il y avait un sachet de cocaïne. À vue de nez, cinq grammes de colombienne. En tant que blogueur urbain branché, je m'y connais un peu. Qualité et pureté impeccables. Check. Intensité garantie. Check. Je comprenais le message. Johann n'a jamais eu de temps à perdre avec des cerveaux qui ne fonctionnent pas à trois cents miles à l'heure.

Deux minutes plus tard, donc, et les idées plus claires que jamais, je m'apprêtais à partir sans autre délai. Inutile d'informer ma tendre épouse, qui n'était pas encore rentrée à la maison et à qui il aurait tout fallu écrire. Quand Johann appelle, pas le temps de perdre même une minute. Quant à mes fillettes, je n'avais pas à m'inquiéter. Elles étaient assises tranquillement devant la télévision, la plus vieille jouant à Undead Nightmare, la plus jeune suivant la partie avec enthousiasme.

Héloïse : « Heille toi, méchante zombie guidoune sale, j'vas attraper ta tête de caca pourri avec mon lasso pis j'vas te traîner dans le désert avec mon cheval de cowboy! »

Constance : « 'ega'de Héloïse, la zombie a l'a oublié son bras pa' terre! Pis sa jambe! Pis son aut' jambe! È niaiseuse la zombie! »

Si vous saviez comme j'étais fier de les voir aller! L'intelligence et le talent de ma plus vieille étaient manifestement hors-normes. Et que dire de l'éloquence et de la perspicacité de ma plus jeune? Ma fierté légitime n'en cachait pas moins un peu d'amertume. J'imagine que seul un père peut comprendre ce que c'est que de voir ses propres filles progresser si vite. Le jour approchait à grands pas où elles n'auraient plus besoin d'un père comme moi pour veiller sur elles. En tout cas, pas besoin de leur dire que je m'en allais, ni où j'allais. What happens in Côte-Nord stays in Côte-Nord.

Attends que mes filles t'attrapent, méchante zombie guidoune sale!

***

Mon arrivée à Natashquan aurait été déprimante si je n'avais pas eu la bonne idée de m'éclaircir les idées juste avant l'atterrissage. Ayant remarqué en descendant du jet que le ciel froid et venteux était couvert d'épais nuages précurseurs d'orage et qu'il n'y avait personne pour m'accueillir, je dus marcher seul sur la piste mal entretenue, puis courir dès qu'il se mit à pleuvoir pour me rendre dans le bâtiment le plus près. C'était une espèce de parallélépipède fonctionnel et sans charme recouvert de longs panneaux horizontaux en aluminium bleu. À l'intérieur, on découvrait un lieu servant à la fois d'accueil, de cantine et d'administration. Hormis un employé manifestement désoeuvré qui posa sur moi un regard sinistre dès que je fis mine de le regarder puis approcha très lentement, il n'y avait pas âme qui vive. Je me hasardai à lui poser la question suivante: « Je m'appelle Philippe Labarre et je suis un blogueur. Savez-vous si quelqu'un m'attend? » Il me répondit par un unique grognement confus, me révélant par le fait même à quel point son hygiène buccale laissait à désirer, tandis qu'il continuait à s'approcher de moi très lentement. Pour la légendaire hospitalité des régions, on repassera…

Découragé, je sortis du bâtiment en claquant la porte au nez du malotru. Sur la piste, je vis le jet sur le point de décoller heurter de plein fouet un employé de l'aéroport, un homme terriblement distrait et incompétent qui parvint néanmoins à se relever presque immédiatement, épargné miraculeusement par le violent impact. Non, mais quel imbécile heureux! Que pouvais-je bien faire dans un trou aussi minable? J'étais plus seul que jamais, perdu dans un aéroport au beau milieu de nulle part, et il était maintenant impossible de retourner chez moi. Heureusement, pendant que je me faisais ces réflexions lugubres, une limousine noire arriva puis s'immobilisa dans le stationnement de l'aéroport. C'est avec un soulagement qui serait difficile à décrire que je regardai ce véhicule qui était forcément venu pour me chercher. En sortirent, une à la fois et au ralenti comme si nous étions dans un bon film, un trio de jeunes femmes très grandes, très minces (et pour autant que je puisse en juger par leurs formes, très fécondes): une jolie brune, une superbe rousse et une blonde magnifique portant des tailleurs roses identiques ainsi que des badges aux noms respectifs de Mindy, Cindy et Candy. Elles me sourirent toutes chaleureusement et je me sentis dès lors beaucoup moins seul.

Mindy (affriolante): « Johann vous attend dans le penthouse. »

Cindy (alléchante): « Il nous a demandé de vous accompagner dans la limousine. »

Candy (appétissante) : « Il nous a aussi demandé de vous dire que nous sommes à votre entière disposition. »

J'étais sauvé! Il n'y avait qu'à les suivre. Mais quelque chose me titillait néanmoins l'intelligence. Il me semblait, mais je n'aurais su dire pourquoi, que la phrase prononcée par Candy contenait comme une suggestion implicite et que j'étais censé comprendre.

Mindy, Cindy et Candy (prometteuses): « Nous sommes à votre entière disposition… »

C'était la même phrase mot pour mot... Mais que voulaient-elles donc insinuer? Et pourquoi ces points de suspension? Je n'y comprenais absolument rien. Il faut connaître ses limites dans la vie. J'ai beau enseigner la littérature, cela ne signifie pas que je suis toujours capable de deviner ce que les femmes peuvent bien vouloir dire avec leurs allusions subtiles.

Cindy, Mindy et Candy (tentantes): « Laissez-nous vous soulager un peu. »

La révélation fut aussi soudaine que fulgurante!

Moi: « Désolé, gentes demoiselles, mais je suis marié, j'enseigne la littérature et je tiens un blogue lu par plus d'une centaine de lecteurs. On compte à gauche et à droite sur ma rigueur morale. Je ne pourrai donc pas profiter de votre entière disposition. J'en suis sincèrement désolé. … Mais ne pleurez pas, voyons! … Quoi? Vous vous sentez seules? Mais vous êtes trois, non? … Ça vous gêne? Je ne suis pas obligé de vous regarder. … Vous ne voulez quand même pas? Pas sans moi? … Mais qui a dit que je vous trouvais laides? … Ah non! Sachez que je vous respecte au plus haut point. … Mais c'est tellement injuste! Alors c'est bon. Mais ce sera uniquement par gentillesse et compassion. On ne m'accusera pas d'avoir manqué d'empathie envers trois âmes esseulées. Laissez-moi d'abord seulement m'éclaircir un peu les idées... »

À la maison, Mindy, Cindy et Candy aiment manger du chocolat.

***

Depuis octobre 2012, Johann Perv-Hurt n'avait pas perdu son temps. C'est ce que je fus bien forcé de constater en descendant de la limousine devant le nouveau siège social de son entreprise, une tour hypermoderne d'une cinquantaine d'étages qu'il avait fait bâtir sur le chemin des Galets, juste à côté du Café-Bistro de l'Échouerie. Étrangement, les fenêtres du pittoresque établissement avaient été placardées, comme d'ailleurs celles de toutes les maisons du village, autour desquelles quelques hommes et femmes en guenilles circulaient très lentement tout en gémissant. Les épais sillons nuageux qui tournoyaient en spirale au sommet de la tour donnaient aux lieux un air encore plus inquiétant. Mon inquiétude atteint son comble lorsque je vis se matérialiser devant moi une sorte de spectre. Ouf! C'était en fait l'image holographique de Johann Perv-Hurt. Ouch! Je n'avais pas encore eu le temps de glisser ma chemise dans mes pantalons et de rattacher ma ceinture...

Johann : Had a little fun? Excellent! Je t'attends au penthouse.

Moi: Mais avant de monter, j'aurais quelque chose à vous demander.

Johann: Oui?

Moi: Depuis que je suis arrivé ici, j'ai pu constater le délabrement généralisé des bâtiments et des personnes qui rôdent ici sans raison. Vous savez que je suis un professionnel. Je dois vous poser les vraies questions. Êtes-vous en train de fermer le village? Avez-vous exproprié les habitants de Natashquan? Les rares à être restés semblent même avoir perdu le goût de vivre, les pauvres.

Johann: On the contrary! Ils travaillent pour moi. Et comme je les nourris, les loge, les habille et les soigne, ils sont presque tous en permanence dans la tour et n'ont plus besoin de leurs vieilles maisons désuètes.

Moi: Mais c'est extraordinairement surprenant! Si je comprends bien, vous avez réalisé ici le plein emploi tout en créant un filet social universel! Je dois vous avouer que je craignais le pire. Vous êtes donc un véritable sauveur!

Johann : The credit belongs to Stephen Harper. Grâce à sa réforme de l'assurance-emploi, tout le monde ici peut enfin se permettre le salaire et les conditions de travail que je leur offre.

Moi: Et quelle sorte de travail leur offrez vous?

Johann: Je fais sur eux quelques expériences très prometteuses.

J'ignore pourquoi, mais je ressentis soudainement l'impérieux besoin de m'éclaircir un peu les idées.

À suivre...

Vais-je le rencontrer? 

1 commentaire:

  1. Mmmmmm... Natashquan, les zombies de l'assurance-emploi, une tour avec un "evil mastermind" au sommet, un héros-blogueur, des "chicks", de la poudre...

    Ça sent le texte de fin de session !

    J'ai hâte à la suite...

    J

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