mardi 29 janvier 2013

Passe-temps américains (conclusion)

Commençons par une confession embarrassante. Je fus, durant toute mon enfance et – dois-je aussi l’avouer ? – jusqu’à un âge adulte assez avancé, ce qu’on nomme aujourd’hui, avec une connotation médiatiquement sexy attribuable au succès extraordinaire de quelques individus d’exception qui ne représentent en rien la minorité visible ainsi dénommée - oui Mark Zuckerberg, c'est de toi que je parle - excusez les détours de la phrase, l’aveu n’est pas facile à faire – je fus, donc, un geek. Intraduisible en français, ce terme désigne souvent, mais de moins en moins exclusivement, de jeunes nord-américains mâles (ce terme doit être ici purgé de toute connotation virile) se distinguant par un ensemble de qualités en lesquelles tous les parents ne parviennent pas toujours à se reconnaître avec fierté. Parmi ces qualités, on retrouve presque toujours une éloquence un peu obsessive concernant les sujets les plus variés (pour autant que ces sujets gravitent autour de l’univers des sciences, des univers fictifs ou de la science-fiction). Parmi ces qualités, on retrouve aussi, trop souvent, une maturité précoce permettant une saine résignation devant l’échec sportif, social ou amoureux. Ajoutons enfin que les aptitudes intellectuelles revendiquées par le geek n'étant pas toujours garantes de ses aptitudes intellectuelles réelles (un geek n'est pas toujours nécessairement un nerd), il peut aussi lui arriver de se faire battre en physique ou en lecture par celui-là même qui s'est par ailleurs montré capable de le battre littéralement, physiquement. Pour de tels cas, il faut employer le mot dork plutôt que geek. Les voies du pathétique sont insondables…

Mon identité geek se révéla assez vite. Les premiers ouvrages documentaires que j’ai empruntés à la bibliothèque m'avaient séduit avec des titres pourtant aussi charmants que Le Monde illustré des particules élémentaires ou L’incroyable aventure de l’ère pléistocène. Les premiers ouvrages de fiction que j'ai possédés avaient des titres encore plus charmants: La Forêt de la malédictionLa Cité des voleurs, L'Île du Roi-Lézard (ayant cru découvrir le secret derrière de si bons titres, j’avais moi-même projeté d’écrire quelques auto-fictions qui n’ont heureusement jamais vu le jour, comme La Piscine des ténèbres ou La Pelouse de l'Enfer). J'ignorais bien sûr le terme, mais j’étais bel et bien un geek et j’allais le demeurer toute ma vie. J'ai lu plusieurs fois Le Seigneur des anneaux (pour l'instant en français et en anglais seulement, j'attends toujours les traductions en sindarin et en klingon). J'ai étudié, pendant trois ans et pour le seul plaisir de la chose, la physique et les mathématiques à l’Université (quand il s'est agi de penser à mon avenir professionnel, j'ai opté avec beaucoup plus de réalisme pour la littérature française). J'ai vu chacun des 79 épisodes de Star Trek et chacun des 178 épisodes de Star Trek the Next Generation (pour trancher une fois pour toutes dans l'éternelle rivalité: James T. Kirk est à Jean-Luc Picard ce que le biface est au d20). Je sais quels manques, quels besoins viennent combler chez le geek les différents jeux de rôle sur le marché (pour Donjons et Dragons™, c'est le manque d'estime de soi; pour Gurps™, c'est le besoin de se faire des amis normaux; pour Rolemaster™, c'est celui d'exprimer des pulsions violentes refoulées; et enfin pour Hero System™, c'est celui d'avoir toujours raison).

Je fus, je demeure, encore et toujours, un geek (aujourd'hui même, ne puis-je pas me vanter de passer les meilleures heures de ma vie à corriger de charmantes Dissertations du Néant en buvant quelques verres de Château de l'oubli? Bon, il y a peut-être eu une petite dérape quelque part…). Et le moment le plus geek de ma vie eut lieu le soir du mardi 14 février 1989 (je précise la date pour que vous me preniez au sérieux: tout ce que je m'apprête à dire ici est véritablement vrai). Ce soir là, il pleuvait dans mon cœur (dehors il faisait probablement trop froid). C'était la Saint-Valentin et je souffrais plus que jamais de ma solitude amoureuse. J'avais envoyé deux valentins. DEUX! Chacun était adressé à la femme de ma vie (j'avais deux femmes de ma vie). Chacun était écrit en vers si magnifiques, si touchants (pour vous faire une idée, je vous suggère de lire Verlaine et d'imaginer mieux)! Et je n'ai rien reçu en retour. RIEN! Aucune réponse, aucun encouragement pour la qualité de mes efforts, aucune déclaration fougueuse, ou même ironique. Il serait facile, rétrospectivement, de souligner le fait que les deux femmes de ma vie étant amies l'une de l'autre et s'étant lu l'une à l'autre ces valentins un peu trop semblables, je ne méritais rien de plus. Toujours est-il que ce soir-là, je décidai que c'en était fini de ma vie sur terre. Évidemment, je n'allais pas me suicider. Ce n'est pas parce qu'une misérable vie sur terre doit absolument prendre fin que cette vie ne peut pas être meilleure, ailleurs que sur terre (cf. la religion, le divertissement).

Je fis donc ce que n'importe qui aurait fait dans ma situation: je créai un personnage imaginaire de Donjons et Dragons™ et décidai que le lendemain, je me réveillerais dans sa peau, dans son monde, pour de bon. Je vous prie de ne pas trop interpréter ici le fait que le personnage en question s'appelait Gorlackk le trapu et que c'était un puissant guerrier nain, vivant seul, après avoir été trahi par sa Reine, dans une cabane au sommet d'une montagne située tout en haut de la carte du monde imaginaire que j'avais créé. Ce qui compte, c'est que j'ai passé toute une soirée à créer ce personnage, puis à souhaiter me réveiller dans sa peau. J'ai souhaité. J'ai souhaité. J'ai souhaité. Vous devinez la suite… Vous connaissez les pouvoirs de la pensée positive... Je me suis effectivement réveillé dans la peau d'un nain trapu. J'ai effectivement vécu pendant de nombreuses dizaines d'années dans le monde étrange et merveilleux de Comblerêve. J'ai même eu trois épouses et vingt-cinq enfants. Je suis devenu rien moins que souverain suprême du Royaume des solitudes. Puis après la mort de Gorlackk Ier à l'âge vénérable de 175 ans, je suis revenu sur terre, où le temps ne s'était pas tout à fait écoulé au même rythme. J'avais encore douze ans, mais j'étais désormais beaucoup plus mature que la veille, prêt à affronter de nouveaux défis.

Pourquoi vous confier tout cela? Ne devais-je pas plutôt aujourd'hui faire le bilan de mon expérience avec Grand Theft Auto 4?  Ne devais-je pas aussi vous raconter ma rencontre avec le sens de la vie, qui sonnait à la porte de ma maison la semaine dernière, espérant me juger d'avoir perdu tant d'heures de ma vie à jouer? À jouer pour le plaisir de jouer? À jouer sans rien produire, sans rien apprendre?  Ne suis-je pas déjà en train ici de vous expliquer un peu trop les choses? Attendez encore un peu, et vous verrez…

Ma première expérience avec Grand Theft Auto IV fut bouleversante, comme le sont toutes mes expériences avec des univers fictifs d'une telle qualité. On ne joue pas à Grand Theft Auto 4, on y va, on s'y perd, on y habite. Oui, le jeu est violent. Et effectivement, on y découvre bien vite que les touches O et X sur la manette ne servent pas à donner des câlins et des bisous. Mais le monde de Grand Theft Auto 4 est tellement riche, tellement habité que tout y semble possible. On peut s'y faire des amis ou des petites amies et les perdre parce qu'on les néglige. On peut y visiter des monuments ou y assister à des spectacles de cabaret exécutés par de véritables artistes. On peut y jouer au billard, aux dards, aux quilles. On peut y surprendre des conversations pittoresques entre les citadins, comme on peut y écouter une dizaine de chaînes de radio ou de télévision. Aucun romancier, aucun cinéaste, aucun architecte ne peut rivaliser avec les centaines de créateurs et de techniciens qui ont su élaborer et réaliser un jeu d'une telle complexité, un jeu dont le générique doit être l'un des plus longs de l'histoire. Mais ce jeu est un jeu. Et ce monde est fictif, comme est fictive la violence qu'on y trouve. La seule violence psychologiquement réelle dans ce jeu, c'est celle qu'on y apporte. Je réalise le danger qu'il y a à ce qu'un jeu permette à qui le veut bien d'assouvir, voire de nourrir les pires fantasmes de violence gratuite. L'interactivité permise par les jeux actuels rend en effet tout possible. Mais il ne sert à rien de faire le procès d'un jeu en particulier. C'est l'interactivité même des mondes virtuels qui est ici à condamner. C'est la fiction en tant que telle qui serait à condamner. Et ce n'est pas aujourd'hui le premier procès qu'on lui fait.

Ce qui m'a le plus marqué dans Grand Theft Auto 4, c'est une mission secrète. Je dis secrète parce qu'à ma connaissance, personne d'autre que moi n'est jamais parvenu à déclencher cette mission. Pour la déclencher, il faut se promener dans un quartier moins connu tout en haut de la carte de Liberty City, un quartier qui ressemble étrangement à Rosemont-La Petite-Patrie. Au bout d'un certain temps, on y croise une rue qui ressemble étrangement à la rue Beaubien. Et sur cette rue qui ressemble étrangement à la rue Beaubien, il peut arriver qu'on croise une dizaine de policiers en train de sortir d'un appartement d'apparence minable, échangeant les uns avec les autres des rires, des biscuits aux saveurs variées ainsi que des remarques culinaires judicieuses. Pour déclencher la mission, il faut s'armer d'une mitrailleuse et abattre sauvagement tous les policiers, sauf un. C'est ce dernier qui donne la mission à Nico Bellic, le protagoniste de Grand Theft Auto 4, en lui disant : « Vous n'auriez-pas dû les tuer. Ce n'est pas leur faute. C'est celle au gars dans l'appartement. C'est un joueur. Il n'a pas de vie. C'est pathétique. Libère-le de sa misère… Tue-le. Mais pas avant de lui demander quel est le sens de la vie. S'il n'est pas capable de te répondre, il ne mérite pas de vivre. ». Une fois la mission déclenchée, Nico Bellic a 15 secondes pour se rendre à la porte de l'appartement et appuyer sur la sonnette. L'homme qui lui répondra est petit et chauve, mais il est étonnamment beau malgré ces caractéristiques peu flatteuses. La conversation suivante aura lieu.

Nico Bellic (avec un accent est-européen) – Hi, my name is Nico Bellic and I'm here to kill you.

Philippe Labarre (avec un accent de prof de littérature) – Je sais, je sais… Et pourquoi voulez-vous me tuer?

Nico BellicBecause you're a loser. Because you're a geek. Because you're pathetic. Because you have no life.

Philippe Labarre –  C'est tout? Comment dire? Je m'attendais à plus…

Nico BellicWell… I'm heavily armed.

Philippe Labarre – Oui, oui, je sais, seulement moi, j'ai beaucoup plus qu'une arme. J'ai la manette. Regarde, elle est allumée. Le jeu aussi est allumé. Tout ce que tu dis a déjà eu lieu. Et je sais déjà ce que tu vas faire.

Nico Bellic – ?!?!??

Philippe Labarre – Tu vas me demander quel est le sens de la vie.

Nico BellicThat's right! How did you know? What is the meaning of this? Do you know what is the meaning of life?

Philippe Labarre – Excellente question. Il n'y a pas de réponse simple, malheureusement. D'une certaine façon, le sens de la vie, c'est un peu toi.

Nico BellicBut I don't exist for real!

Philippe Labarre – Justement. Et là je vais prendre ma manette, puis je vais appuyer sur power, et l'être inexistant que tu prétends être va exister encore moins. 

La FIN.

Si vous n'aimez pas du tout cette conclusion, un point c'est tout, rendez-vous ici.
Si vous souhaitez comprendre pourquoi cette conclusion est d'une telle profondeur, rendez-vous ici.
Si vous jugez que cette conclusion semble prometteuse, mais confuse, observez longuement la couverture suivante tout en méditant la question du sens de la vie:


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mercredi 16 janvier 2013

Passe-temps américains (2ème partie)


Policier 1 – Vous devriez sérieusement aller en prison!

Policier 2, riant grassement – Hra! Hra! Hra! Ça devrait être criminel, des bons biscuits de même!

Philippe Labarre, riant nerveusement – Han! Han! Han! Alors c'est mon épouse que vous devrez arrêter… Elle en a fait des centaines et des centaines durant le temps des fêtes. Moi, j'étais beaucoup trop occupé à faire ce que vous savez…

Policier 3 – Et le petit en forme de champignon écrasé, il est à quelle saveur?

Policier 4 – Je pense que c'est à la graine de fenouil. J'en ai vu des pareils À la di Stasio.

Philippe Labarre – Je ne voudrais pas paraître pédant, mais ceux-ci sont en fait à l'an…

Policier 5, n'accordant visiblement aucune importance à l'opinion d'un civil – Non, non, non, ils sont à l'anis. C'est alsacien. J'ai vu la recette sur Zeste!. C'était le cuisiner rebelle! Les siens avaient de la Sambuca dedans! Il est vraiment sauté, ce gars-là!

Policier 6 – En tout cas, les petites meringues fourrées au chocolat et à la pistache sont exquises en crisse.

Philippe Labarre – Ce sont mes préférées, après les tuiles au gingembre. Le nom n'est pourtant pas invitant. On appelle ça…

Policier 7, m'interrompant avec une brutalité toute policière – Je sais! Je sais! Des nids de guêpes! Aux autres policiers. Oui, oui, des nids de guêpe! Je le sais parce que je suis abonné à Signé M. C'est là que j'ai appris que pour faire faire sa meringue, Louis-François Marcotte bat les blancs d'œufs avec du sucre. Quel génie!

Policier 8 – Pas autant que Normand Laprise.

Policier 9 – Estie que t'es snob, Bob!

Policier 10, avec l'implacable autorité d'un agent de répression à la solde du système capitaliste et habitué à être obéi aveuglément par des êtres dépourvus de conscience individuelle – Bon, bon la gang! Je pense qu'on a plus d'affaire ici. À moi. Et vous, on vous confisque les trois boîtes de biscuits qui sont là, pour notre rapport… Et la prochaine fois que vous voudrez nous écrire un courriel nous avisant qu'un homme armé jusqu'aux dents s'apprête à abattre tout ce qui bouge sur la Plaza St-Hubert, assurez-vous donc que cet homme est bel et bien armé jusqu'aux dents, qu'il a bel et bien l'intention de massacrer tout ce qui bouge sur la Plaza St-Hubert, et que ce n'est pas quelqu'un d'aussi innocent que vous.

Philippe Labarre – Oui, oui, monsieur l'agent. Mais comme j'ai essayé de vous l'expliquer depuis deux heures, je m'apprêtais à mener sur moi-même une expérience psychique extrêmement risquée. J'avais peur de perdre le contrôle. Je ne voulais prendre aucune chance. C'est pour ça que je vous ai avertis. J'ai peut-être exagéré... Comment pouvais-je deviner que Grand Theft Auto 4 ne serait pas aussi dangereux qu'on le dit?

En effet, comment pouvais-je deviner que Grand Theft Auto 4 n'était pas cette célébration sociopathe de la violence gratuite que l'on dénonce en ce moment même dans les plus hautes sphères du pouvoir aux États-Unis? Comment pouvais-je deviner qu'un jeu ayant tout juste évité de faire l'objet du premier autodafé postmoderne de l'histoire de l'humanité était en fait extraordinairement complexe et intelligent? J'imagine que j'aurais d'abord pu lire ce qu'ont écrit les critiques les plus informés à ce sujet, ceux qui ont joué au jeu et peuvent le situer dans une perspective moins aveugle… J'aurais alors découvert que sur Metacritic (un site Web qui collecte les notes attribuées dans les tests de sources anglophones d'albums de musique, de jeux vidéo, de films,d'émissions de télévision, de DVDs et de livres), Grand Theft auto 4 s'est mérité une note moyenne de 98% selon les 64 sources les plus réputées. J'aurais découvert que ce jeu n'est peut-être menaçant que parce qu'il pose la plus sérieuse des questions : « Que peut encore signifier aujourd'hui le rêve américain? ». J'aurais découvert que ce jeu raconte une histoire ultra-violente, certes, mais que cette violence n'est que le reflet fictif et caricatural d'une violence bien réelle dans la société américaine. D'une violence dont les causes politiques, sociales, économiques et médiatiques sont justement explicitées par ce jeu dont la lucidité devient dès lors effectivement menaçante.

Grand Theft Auto 4, c'est l'histoire tragi-comique de Nico Bellic, un immigrant est-européen tout juste arrivé à Liberty City (simplification magnifiquement détaillée quoique un peu caricaturale de New York City, Liberty City constitue l'attrait le plus indéniable du jeu, et il est certainement beaucoup moins frustrant d'y conduire une voiture sport que dans l'originale). Accueilli et hébergé par son cousin Roman, un entrepreneur/bullshiteur/joueur compulsif criblé de dettes, Nico a pour seule et unique compétence un sang-froid à toute épreuve, acquis durant une guerre où il a perdu une grande part de son innocence et une petite part de son humanité. Cette compétence l'amènera à accomplir quelques crimes de moins en moins mineurs afin d'acheter de brefs sursis pour son cousin auprès de ses créanciers criminels, puis auprès des créanciers de ses créanciers, puis auprès des créanciers des créanciers de ses créanciers... Cette compétence sera vite reconnue et exploitée par tout ce qui détient du pouvoir À Liberty City. Qu'il s'agisse du crime organisé, de la police ou du gouvernement, tous voudront se servir de Nico comme instrument d'une violence qu'ils ne veulent pas ou ne peuvent pas assumer eux-mêmes, et tous chercheront à se débarrasser de lui par la suite.  

Je ne peux pas, je ne veux pas raconter cette histoire dans tous ses détails, mais comme vous ne jouerez probablement (et malheureusement pour vous) jamais à ce jeu, j'aimerais vous en résumer l'une des fins possibles (n'oubliez pas qu'il s'agit d'un jeu et que le joueur détermine toujours un peu l'histoire). À la fin du jeu, donc, la vie de Nico Bellic a profondément changé. Amoureux d'une jolie Irlandaise qui aimerait vivre avec lui une vie plus ordinaire, il peut désormais compter sur quelques amis fidèles, qu'il a sauvés plusieurs fois et qui sont prêts à lui rendre la pareille. Comme la plupart de ses crimes ont été payants, il est maintenant riche et possède de nombreuses voitures dispendieuses ainsi que deux lofts luxueux dans Algonquin (Manhattan). Comme la plupart de ses ennemis se sont entretués grâce à lui, il est de plus en plus libre d'agir à sa guise et se permet même de refuser d'obéir à son plus récent patron, Jimmy Pegorino, qui l'oblige à faire affaire avec un homme qui a plusieurs fois tenté de le tuer. Nico paiera son refus par la mort de sa petite amie et la dernière mission du jeu, que je vous invite à visionner immédiatement, vise à venger celle-ci.

  
Cette mission, qui comporte de nombreuses fusillades et poursuites en automobile, en moto et en hélicoptère, se termine donc sous la statue of Hapiness (statue de la Liberté) par la mort de Jimmy Pegorino. Bonheur! Liberté! Rédemption! Le rêve américain est sur le point de se réaliser… C'est ce que Roman, qui arrive sur les lieux, tente de dire à son cousin :

Roman – You did dit!

Nico – I don't know. What did I do?

Roman – But we're done. Now we can start making money… freely.

Nico – I suppose so.

Roman – We won, man. We won!

Si vous avez visionné la vidéo, vous aurez noté que Nico Bellic ne répond pas à son cousin. Accompagné par la musique angoissante de Philip Glass, il quitte les lieux, seul, triste et à jamais détruit par ce qu'il a vécu. Ce qu'il voudrait dire, il sait que son cousin serait de toute façon trop bête pour le comprendre: on n'accomplit rien, on ne gagne rien par la violence. Seul le joueur peut entendre les dernières paroles de Nico Bellic:

Nico – So this is what the dream feels like. This is the victory we longed for…

File:GTAIV Niko and SoH.jpg

Comment conclure? Quel bilan dois-je tirer de mon expérience avec Grand Theft Auto 4? Je ne suis manifestement pas devenu un criminel fou, mais suis-je demeuré intact pour autant? Ai-je gaspillé inutilement des dizaine d'heures de ma vie? C'est ce que j'aimerais vous expliquer… la semaine prochaine. Ça sonne encore à la porte. C'est le sens de la vie. Il espère probablement me condamner. J'ai quelques surprises pour lui. Le pauvre...

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jeudi 10 janvier 2013

Passe-temps américains...

Ouf! C'est avec ce mot que j'aimerais commencer cette année avec vous. En fait, j'écris Ouf! pour que vous compreniez facilement ce que je veux dire. Comme on ne l'avoue pas assez souvent dans les hebdomadaires québécois à grand tirage, il s'agit en fait de vulgarisation autobiographique. Si je voulais être avant-gardiste et réaliste, il faudrait plutôt écrire khouhhrf, ce qui vous vous donnerait une meilleure idée du son actuel de ma voix et des prouesses littéraires dont je suis capable. Mais cela ferait peut-être fuir les lecteurs qui aiment leurs onomatopées concises et bien répertoriées. Choisissez le mot qui vous plait le plus. Ce qui demeure, c'est que le temps des fêtes n'a pas vraiment été facile cette année. Ce qui demeure, c'est que je suis épuisé.

Je ne me plaindrai pas ici de l'inhabituelle brièveté du répit accordé aux enseignants du collège où je travaille pour leur permettre de célébrer avec leur famille ou leurs amis...
tout en corrigeant des copies laborieusement médiocres ou intelligentes mais bâclées...
tout en planifiant scrupuleusement les cours les plus dépourvus de contenu possible pour la reprise de la session d'automne en janvier...
tout en récupérant des inévitables abus de l'estomac et du foie sans lesquels un cœur n'a jamais exprimé suffisamment son amour...
tout en souffrant un énième rhume, une ixième gastro, une zèdième grippe ne signifiant jamais pour qui que ce soit que nous pourrions être épuisés, nous les enseignants de Cégep si gâtés.
Je ne me plains pas, au contraire. J'invite tout le monde à postuler pour ma sinécure et je vous passe moi-même en entrevue...

Non, si le temps des fêtes n'a pas été facile cette année, c'est parce qu'alors même que je venais d'annoncer que Relations d'incertitude allait hiberner pendant quelques semaines, un événement a eu lieu qu'un blogueur aussi professionnel que j'aimerais l'être ne pouvait pas ne pas aborder. Un événement dont le traitement éditorial allait toutefois demander de sérieux efforts d'objectivité journalistique, exiger de moi les plus grands sacrifices personnels. Cet événement a eu lieu le 21 décembre 2012, dans la traînée médiatique qui accompagna le massacre tragique de vingt enfants et six adultes à l'école Sandy Hook, dans la ville de Newtown au Connecticut. Je me permets d'affirmer avec orgueil que cet événement confirme à lui seul la prédiction officielle de Relations d'incertitude quant à la nature de la catastrophe qui devait entraîner la fin du monde. On peut dire en effet que le 21 décembre dernier, la réalité s'est littéralement volatilisée.

C'est en effet en ce jour qu'a eu lieu la conférence de presse tenue par Wayne Lapierre, représentant de la National Rifle Association (NRA), durant laquelle il a expliqué au public américain, avec un aplomb extraordinaire, que la seule chose qu'on ne pouvait absolument pas blâmer pour expliquer la tragédie de Sandy Hook, c'était la facilité pourtant époustouflante avec laquelle les armes à feu peuvent circuler aux États-Unis. On pouvait blâmer l'influence pernicieuse des médias, mais pas celle de l'hyper-médiatisé lobby des armes à feu. On pouvait blâmer le recul des valeurs chrétiennes, mais pas les progrès de la peur et de l'hostilité nécessaires à l'industrie des armes à feu. On pouvait blâmer le peu d'encadrement dont bénéficiaient les malades mentaux, mais pas leur accès aux armes à feu, protégé par un second amendement de droit divin. Selon Wayne Lapierre, s'il y avait eu plus d'armes en circulation, la tragédie aurait pu être évitée. Avec un AK-47, l'héroïne qui sommeille en chaque institutrice américaine aurait pu abattre le criminel fou. N'est-ce pas ce que nous enseignent chaque semaine le plus récent blockbuster d'action super-héroïque ou le tout dernier jeu vidéo ultra-violent? Ce qui m'a le plus sidéré dans les déclarations sobrement visionnaires de Wayne Lapierre, c'est qu'il s'est par ailleurs permis d'affirmer qu'il fallait aussi blâmer les industries du cinéma et du jeu vidéo… La contradiction, c'est comme les pires démangeaisons: plus on gratte et plus ça pique.

Pouvais-je laisser s'écouler paisiblement des vacances si parfaitement épuisantes sans travailler en plus d'arrache-pied à contredire le représentant de la NRA? Non, bien sûr. Mais qu'allais-je faire? Qu'allais-je dire? Quelle méthode devais-je employer pour établir la vacuité des propos de Wayne Lapierre? Quelles études scientifiques devais-je lire? Quels spécialistes, quels politiciens devais-je rencontrer? Dans quels États américains devais-je mener mon enquête? Ces questions, qui témoignent toutes d'un souci de rigueur et de professionnalisme essentiel à tout blogueur digne de ce nom, ne me sont en fait jamais venues à l'esprit. Ma méthode fut beaucoup plus rigoureuse, beaucoup plus exigeante. J'ai décidé de m'attaquer à la vaste question de l'influence néfaste des jeux vidéo ultra-violents sans sortir de chez moi. Le 22 décembre 2012, j'ai donc pris mon courage à deux mains, ainsi que deux litres de Coca-Cola Save-The-Rainforest™ et un sac format professionnel de Doritos Ultra-Spicy-From-Hell™. Je suis descendu dans le pittoresque sous-sol semi-fini de mon logement montréalais (lui-même situé dans un immeuble de style Bonheur d'occasion tout désigné pour un enseignant en littérature et isolé selon les normes les plus strictes de l'époque Duplessis). Je me suis confortablement écrasé dans le fauteuil quarantenaire et brinquebalant que mes parents m'ont légué en héritage préventif. J'ai allumé ma télévision. Et j'ai joué à Grand Theft Auto IV.

À en croire les dénonciateurs auto-patentés du jeu vidéo ultra-violent, ce serait le pire jeu de tous les temps. Le plus gratuitement violent. Le plus moralement irresponsable. Le plus criminellement influent. Et ce jeu monstrueux, j'y ai joué, et joué, et joué. Pendant des dizaines et des dizaines d'heures consécutives. Au plus grand mépris de ma santé physique ou mentale et à l'encontre des principes les plus élémentaires de l'hygiène humaine ou animale. Quand ma tendre épouse descendait au-sous sol pour me nourrir, me nettoyer ou changer mes couches, je devinais à son regard empreint de lassitude tout le ressentiment qu'elle éprouvait envers cette NRA qui m'avait forcé à accomplir une tâche si exigeante, mais je n'avais besoin d'aucun signe pour deviner à quel point elle devait être fière de moi. Et j'ai joué, et j'ai joué, et j'ai joué. Suis-je devenu plus violent? Ai-je ressenti le besoin d'acheter des armes d'assaut? Serai-je désormais et pour le reste de mes jours un criminel fou? Vais-je tout massacrer partout sur mon passage? C'est ce que je vais vous dire…

…la semaine prochaine. Vous devrez malheureusement attendre un peu, je ne peux pas vous écrire davantage aujourd'hui. Ça sonne à la porte. Ce sont des policiers. Ils sont une dizaine. Ils espèrent probablement m'arrêter. J'ai quelques surprises pour eux. Les pauvres...


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