Je m'en souviens comme si c'était hier. J'habitais avec
quatre amis l'un de ces appartements étroits, allongés et autrefois abordables qui sont typiques
de la rue Saint-Denis. J'étais en train d'étudier (ou de faire autre chose) dans
le cagibi qui me servait aussi de bureau, de chambre à coucher, de salle à
manger, de… Stéphane était accouru en criant. Sa voix était extraordinairement
grave et puissante, mais claire et précise aussi. C'était une voix faite pour calmer
les foules hystériques, une voix faite pour sauver des vies. Philippe!!!
Il
faut que tu voies! Les images diffusées en direct à la télévision
allaient rejouer en boucle et nous hypnotiser pendant des semaines. Les
scientifiques devenus tristement célèbres… le centre de recherche secret… la
navette sur le point de s'écraser… l'explosion dévastatrice… l'enchaînement
d'actes héroïques et futiles… la date à jamais marquée dans notre esprit… Le…
13 septembre… 1999… l'explosion dévastatrice encore… puis cette sphère jaune et
aveuglante en expansion. Qu'était-il arrivé? Il nous fallut presque une heure
avant de tout comprendre. Nous n'étions pas en danger pour l'instant. C'était
un incident nucléaire, une sorte de réaction en chaîne, mais elle avait eu lieu
loin de nous, bien loin... sur la lune. L'explosion avait propulsé celle-ci
hors de l'orbite terrestre. Dans quelques mois nous allions la perdre de vue à
jamais. En ce moment même, elle dérive encore dans le silence éternel des
espaces infinis.
Vous dites que j'invente? Que tout cela est tiré d'une remarquable série télé de science-fiction psychotronique réalisée en 1977 et mettant en
vedette Martin Landau et Barbara Bain? Ne
savez-vous pas que la télévision et le cinéma sont des dispositifs complexes
visant à nous faire croire que ce qu'on nous y montre n'est que de la fiction
quand en réalité ce sont nos vies qui sont fictives? Vous pouvez relire la
phrase. Et d'ailleurs, elle est où, la lune? Hein? L'astre qui devrait nous
rappeler par sa douce clarté que pendant la nuit le soleil existe encore, il
est où? Je ne sais pas pour vous, mais il me semble bien que toutes nos nuits
sont noires maintenant. Allez savoir pourquoi.
La catastrophe a bel et bien eu lieu. En septembre 1999,
elle avait en fait déjà eu lieu depuis longtemps. Ne faites pas semblant
d'oublier ce qui s'est passé le 31 mars 1999. Nous avons tous reçu l'appel téléphonique.
Et tout le monde en connaît le contenu aujourd'hui. Les paroles sont marquées dans
mon propre cerveau en lettres vertes et scintillantes : « I know you're out
there...I can feel you now. I know that you're
afraid. You're afraid of us, you're afraid of change...I don't know the
future...I didn't come here to tell you how this is going to end, I came here
to tell you how this is going to begin. Now, I'm going to hang up this phone,
and I'm going to show these people what you don't want them to see. I'm going
to show them a world without you...a world without rules and controls, without
borders or boundaries. A world...where anything is possible. Where we go from
there...is a choice I leave to you... ». Comme tout le monde, j'ai d'abord cru
qu'il s'agissait d'un mauvais numéro. Je ne connaissais aucun Neo (nom sur l'afficheur), et le seul de mes amis qui aurait pu
tenir à ce qu'on le surnomme The One (surnom entre parenthèses sur l'afficheur) n'était pas du genre à faire preuve d'autant de politesse envers
les administrateurs d'un Système qu'il se prétendait capable d'écraser de son
auriculaire, le jour où il en aurait le goût (étrangement le goût ne lui en est
jamais venu). J'ai éventuellement compris ce qu'était la Matrice. J'ai compris
que la fin du monde a toujours déjà eu lieu, même si on s'efforce le plus
souvent de nous le faire oublier. J'ai compris que nous n'étions toujours, que
nous n'avions toujours été que les jouets passifs d'un système tout-puissant. Puis
j'ai compris que si l'on fait jouer assez fort du Rage Against the Machine dans notre cœur, les choses peuvent éventuellement
changer.
Vous dites que j'invente? Que tout cela est tiré d'un
remarquable film de science-fiction postmoderne sorti en salle en 1999 et réalisé
par Larry et Andy Wachowski? N'avez-vous pas déjà lu quelque part que la
télévision et le cinéma sont des dispositifs complexes visant à nous faire
croire que ce qu'on nous y montre n'est que de la fiction quand en réalité ce
sont nos vies qui sont fictives? Plus on le répète et plus c'est vrai… Et
d'ailleurs, il est où Larry Wachowski? Hein? Cherchez-le sur Wikipédia, vous
allez voir ce que je veux dire. Une seule hypothèse s'impose: il en savait trop
et il a été éliminé par la Matrice et remplacé par un clone. Comment expliquer
sinon Matrix Reloaded, Matrix Revolutions et Cloud Atlas? Je peux vous résumer les
trois films en une phrase : tout le monde il est gentil même les méchants et
nous sommes tous connectés les uns aux autres. Mon cul! C'est du
soft-bouddhisme pour consommateurs stupides. J'ai ma petite idée quant à ce que
le vrai Bouddha pourrait en penser. Mais je m'égare… La Matrice nous manipule
et cherche à nous faire oublier son existence, voilà le véritable sens de ces
films minables et racoleurs. Et alors toute une décennie fictive s'explique. Le
bogue de l'an 2000 s'explique. L'élection de George W. Bush s'explique. Les
attentats du 11 septembre s'expliquent. Les guerres en Afghanistan et en Irak
s'expliquent. La lutte au terrorisme s'explique. Les jeux olympiques de Pékin
s'expliquent. La crise économique s'explique. L'élection de John McCain et de
Sarah Palin s'explique. L'élection de Mitt Romney et de Paul Ryan s'explique.
Tout s'explique…
Quoi!?! Mitt Romney n'a pas été élu?!? C'est Barack Obama qui
a été réélu!?! Et il avait déjà été élu
en 2008?!?
Pardonnez-moi si j'ai l'air d'avoir oublié. Je vous le
disais la semaine dernière, Barack Obama m'a profondément endommagé… J'ai suivi
son élection en 2008 avec trop d'enthousiasme. Sa victoire annonçait le retour
du réel dans la vie politique américaine (et donc mondiale), le retour d'un
certain dialogue aussi. Nous allions enfin recommencer à admettre certains
faits (économiques, sociaux, scientifiques), nous allions enfin recommencer à
discuter de principes qui ne seront jamais que discutables. Sans
ces deux conditions, il n'y a pas de monde réel ou possible. Or, la vie
politique américaine est aujourd'hui plus fictive que jamais et jamais
l'incompréhension n'a tant régné entre idéologies politiques. Il suffit de lire
la littérature apocalyptique républicaine publiée depuis hier pour s'en
convaincre. Mes attentes étaient peut-être trop élevées. Nous sommes tous
impuissants après tout. Que pouvait faire de plus un président des États-Unis
qui ne sera jamais que l'homme le moins impuissant au monde? Il pouvait
toujours se faire réélire. Et nous montrer par sa réélection que ce qu'il n'est
pas parvenu à accomplir, une majorité d'américains en souhaitent encore
l'accomplissement… C'est tout ce que j'ose lui demander pour l'instant, et il
vient de nous l'accorder.
La véritable fin du monde, ce n'est pas la fin de
tout ce qui existe dans le monde, mais la fin de tout monde dans ce qui
existe.
Merci Barack Obama.
Si vous aimez, partagez.
Je tiens quand même à signaler que Andy et Larry Wachowski ont tout de même adapté "V pour Vendetta" avec tellement de justesse que cela compense presque pour Matrix: Reloaded et Matrix: Revolutions... Sinon, excellent texte, votre folie m'épatera toujours!
RépondreSupprimerJe sais Laurence, je suis très injuste avec les Wachowski, et j'ai moi aussi aimé «V pour vendetta». Tu m'as pris en flagrant délit de généralisation abusive... à moins que la machine leur fasse faire parfois de bons films, pour qu'on croie en eux!?
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