Je dois admettre que l'élection actuelle me pose certains problèmes
d'écriture. Des problèmes de conscience aussi, j'y reviendrai, mais d'abord des
problèmes d'écriture. Pour avoir espéré cette élection pendant près de six mois
avec enthousiasme, je dois
avouer que la survenue de ces problèmes m'a d'abord laissé perplexe. L'occasion
n'était-elle pas tentante pour un blogueur fantaisiste de réinventer les
gaffes d'untel ou les déclarations étourdies d'untel autre? L'occasion
n'était-elle pas unique pour un bricoleur intellectuel de réfléchir la
politique et la démocratie, de risquer quelques idées troubles afin de
désexpliquer un peu ce processus trop et mal compris par lequel une population
s'invente elle-même? Les occasions n'ont pas manqué, en effet, et les idées non
plus, mais le souffle m'a manqué et je commence à peine à deviner pourquoi.
J'aurais pourtant pu croquer François Legault au lit avec une maîtresse anglophone se
faisant souffler ses mots d'amour par une équipe de communication exaspérée et
forcée néanmoins d'applaudir ses maladresses. J'aurais pu m'extasier devant la
saine diversité de la gauche et proposer toute une série de nouveaux partis
politiques aux nuances féministes, écologistes, identitaires ou socialistes les
plus subtilement variées, histoire que chacun et chacune puisse vraiment voter
pour un parti selon son cœur (et gagner dans son cœur je suppose). Peut-être
vous offrirai-je bientôt tout cela. Mais pour l'instant, tout ce dont je suis
venu à bout, c'est de me vider le cœur d'une assez belle quantité d'indigéré
sur le dos large de Jean Charest. C'est quand même trop peu. Comme s'il
y avait quelque chose en moi qui ne voulait pas prendre position, qui ne
voulait pas s'engager explicitement, qui ne voulait pas intervenir dans cette
élection autrement que par ce minimum facile et convenu d'indignation contre un
gouvernement usé à la corde.
Puis arriva le débat des chefs à Radio-Canada. J'en attendais beaucoup. Je
me disais qu'il y aurait là certainement de quoi rire un peu, de quoi
s'inquiéter, de quoi rêver aussi avec mes deux précieuses poignées de lecteurs.
Je me suis trompé. Rien n'a eu lieu dimanche soir de ridicule ou de révoltant.
Rien n'a eu lieu de magique ou d'exaltant. En fait, presque rien n'a eu lieu.
Rien sauf Françoise David qui, sans être magique ou exaltante, fut d'une
franchise et d'une candeur étonnantes. Je serai franc moi aussi:
je suis péquiste. Jusqu'à dimanche soir je le fus complètement, et depuis je le
suis encore, à peine moins. Je veux encore et plus que jamais qu'on expulse,
qu'on expectore, qu'on excrète à jamais l'abonorable Jean Charest de notre
actualité. Je veux encore et plus que jamais donner un
gouvernement majoritaire à un parti prêt à faire évoluer le Québec dans le bon
sens et avec les tout petits pas qui
s'imposent - n'oublions pas qui sont trop souvent ces Québécois de partout au
Québec avec lesquels nous aimerions construire une société, un pays ou un monde
meilleurs, et ne les renions pas non plus.
C'est pourquoi je suis péquiste. Seulement je le suis dans le pire comté pour un
péquiste qui ne serait pas dépourvu de conscience : Gouin. C'est dans
Gouin que Françoise David espère se faire élire et ses chances d'y parvenir
sont très bonnes. Dois-je l’en empêcher? C'est pour Gouin que Françoise David a
accompli quelque chose d’extraordinaire et qu’on devrait pourtant exiger de
tout politicien : ne pas se laisser prendre par le vieux jeu des questions
pièges qui appellent des réponses évasives qui appellent des insultes usées qui
appellent des regards outrés qui appellent des moues méprisantes. Françoise
David s’est contentée de débattre. Pas trop mal d’ailleurs. Elle a bien
présenté sa plate-forme politique, elle a questionné de façon pertinente les
limites des plates-formes adverses, elle a répondu honnêtement aux questions
qu'on lui adressait, elle a même reconnu qu'il y avait eu du bon dans de
nombreuses mesures de ses adversaires, y compris Jean Charest. En termes
sportifs, ce n'était pas une performance exceptionnelle, mais elle a agi en
dilettante intègre plutôt qu'en professionnelle rouée, ce qui est beaucoup plus
exceptionnel qu’une performance, et il m'est impossible de ne pas la respecter
infiniment pour cela. Ne devrais-je pas lui laisser une chance? Ne
devrais-je pas voter pour elle?
Réfléchir à cela m'a permis de comprendre mon malaise d’écriture, qui est
aussi un malaise de conscience. Mes convictions politiques semblent m’obliger à
voter en contradiction avec l’attitude que je défends ici depuis maintenant
quelques mois. Il m’est donc impossible de défendre clairement ces convictions politiques
sans me renier un peu. Difficile d’écrire dans ces conditions sans être miné
par des questions que n’importe qui préférerait éviter. Suis-je de mauvaise
foi? Suis-je cynique? Dois-je renoncer à une partie de moi-même? Le problème
est d’autant plus compliqué que ni Québec solidaire ni le Parti québécois
n’expriment adéquatement mes idées politiques. S’il était en mon pouvoir
d’élire à moi seul le gouvernement du Québec, Option nationale et Jean Martin
Aussant nous dirigeraient dès le 4 septembre sur le meilleur chemin vers le
genre de souveraineté que je souhaite pour le Québec. Mais je n’ai pas ce
pouvoir. Je n’ai même pas le pouvoir de simplement voter pour Option nationale,
qui ne présente pas de candidat dans mon compté, afin de ne pas nuire à
Françoise David, justement... Dois-je m’en vouloir de reconnaître que les
Québécois ne voteront majoritairement ni pour Option nationale ni pour Québec
solidaire le 4 septembre prochain? Dois-je m’en vouloir de voter pour un parti
qui, comme je l’ai dit précédemment, ne nous mènera sur le bon chemin qu’avec
«les tout petits pas qui s'imposent»? Dois-je m’en vouloir de croire que ces trop
petits pas sont nécessaires, moi qui ailleurs m’en suis pris très clairement,
sans mon ambiguïté habituelle, aux tristes nécessités?
Puis j’ai réfléchi un peu plus. Je ne voterai pas pour Françoise David même
si je la respecte peut-être davantage que le politicien professionnel pour
lequel je vais pourtant voter, même si c’est pour elle que m’inviterait
pourtant à voter celui qui a pris le risque de renoncer à une carrière
politique professionnelle afin de mieux défendre le Québec dont je rêve. Mais
je ne m’en voudrai pas pour autant. Je sais que je ne me renie pas en votant
pour le parti de Pauline Marois, qui est pourtant si dure avec ce qu’elle
appelle non sans condescendance l’amateurisme de ses adversaires. Je sais que
je ne me renie pas en refusant de voter pour le trop faible partis des faibles,
en refusant de voter pour les débutants, en refusant de voter pour celles et ceux
qui osent encore rêver d’un monde meilleur plutôt que nous promettre une saine
gestion de nos déceptions. Je ne me renie pas parce que l’institution même du
vote est irrémédiablement soumise à ces tristes nécessités que sont la loi du
plus fort et le calcul des intérêts. Voter en dilettante n’a malheureusement
aucun sens. On sait ce qu’on fait quand on vote, et quand on ne sait pas ce
qu’on fait, on ne vote pas «différemment», on ne vote pas «courageusement», on
ne vote pas de façon «créative», on vote tout simplement mal. Choisir, ce n’est
pas créer. Le vote n’ouvre aucune possibilité nouvelle, que des probabilités de
victoire ou de défaite. Il nous oblige beaucoup plus qu’il nous libère. Il nous
isole et nous divise. Il nous force à choisir les uns contre les autres. Je
n’affirme surtout pas qu’il vaudrait mieux ne pas voter. Il faut voter, justement. C’est notre devoir démocratique. Mais si nous
voulons connaître ce qu’est la liberté
démocratique, si nous voulons agir pour créer un monde différent, ce n’est pas
dans le silence des isoloirs qu’il faudra se contenter de le faire, mais dans le
joyeux tintamarre des amours et des amitiés, des réunions et des assemblées,
des images et des mots, des rues, des cuisines et de n’importe où ailleurs.
Que nous votions avec notre tête ou avec notre coeur, que nous votions pour un parti ou pour un candidat, que nous votions pour le présent ou l'avenir, tout ce que nous ferons le 4 septembre, c'est notre devoir. N'oublions pas qu'il y a une grande différence entre faire son devoir conjugal et faire l'amour.
Ah! J'aimerais bien pouvoir te convaincre de voter pour Françoise, mais je crains d'en être incapable...
RépondreSupprimerJ'espère que ta crainte d'être incapable de me convaincre ne provient pas d'une impression que j'aurais laissée de manquer d'ouverture. Si on pouvait me convaincre que le PQ ne risque aucunement d'avoir un gouvernement minoritaire, si on pouvait me convaincre que Québec solidaire n'userait que de façon très responsable d'une éventuelle balance du pouvoir et donc d'une capacité à renverser le gouvernement, si on pouvait me convaincre que la population du Québec n'a besoin que d'entendre une nouvelle voix pour évoluer rapidement, j'aurais le coeur plus léger. De toute façon, je crois sincèrement que Françoise et toi allez gagner sans moi, et je ne verserai tout de même pas de larme, bien au contraire...
SupprimerAvec amitié. (Et bon début de session si tu es bien l'Alexandre que je crois...)