mercredi 22 août 2012

Suis-je libre de voter autrement?

Je dois admettre que l'élection actuelle me pose certains problèmes d'écriture. Des problèmes de conscience aussi, j'y reviendrai, mais d'abord des problèmes d'écriture. Pour avoir espéré cette élection pendant près de six mois avec enthousiasme, je dois avouer que la survenue de ces problèmes m'a d'abord laissé perplexe. L'occasion n'était-elle pas tentante pour un blogueur fantaisiste de réinventer les gaffes d'untel ou les déclarations étourdies d'untel autre? L'occasion n'était-elle pas unique pour un bricoleur intellectuel de réfléchir la politique et la démocratie, de risquer quelques idées troubles afin de désexpliquer un peu ce processus trop et mal compris par lequel une population s'invente elle-même? Les occasions n'ont pas manqué, en effet, et les idées non plus, mais le souffle m'a manqué et je commence à peine à deviner pourquoi.

J'aurais pourtant pu croquer François Legault au lit avec une maîtresse anglophone se faisant souffler ses mots d'amour par une équipe de communication exaspérée et forcée néanmoins d'applaudir ses maladresses. J'aurais pu m'extasier devant la saine diversité de la gauche et proposer toute une série de nouveaux partis politiques aux nuances féministes, écologistes, identitaires ou socialistes les plus subtilement variées, histoire que chacun et chacune puisse vraiment voter pour un parti selon son cœur (et gagner dans son cœur je suppose). Peut-être vous offrirai-je bientôt tout cela. Mais pour l'instant, tout ce dont je suis venu à bout, c'est de me vider le cœur d'une assez belle quantité d'indigéré sur le dos large de Jean Charest. C'est quand même trop peu. Comme s'il y avait quelque chose en moi qui ne voulait pas prendre position, qui ne voulait pas s'engager explicitement, qui ne voulait pas intervenir dans cette élection autrement que par ce minimum facile et convenu d'indignation contre un gouvernement usé à la corde.

Puis arriva le débat des chefs à Radio-Canada. J'en attendais beaucoup. Je me disais qu'il y aurait là certainement de quoi rire un peu, de quoi s'inquiéter, de quoi rêver aussi avec mes deux précieuses poignées de lecteurs. Je me suis trompé. Rien n'a eu lieu dimanche soir de ridicule ou de révoltant. Rien n'a eu lieu de magique ou d'exaltant. En fait, presque rien n'a eu lieu. Rien sauf Françoise David qui, sans être magique ou exaltante, fut d'une franchise et d'une candeur étonnantes. Je serai franc moi aussi: je suis péquiste. Jusqu'à dimanche soir je le fus complètement, et depuis je le suis encore, à peine moins. Je veux encore et plus que jamais qu'on expulse, qu'on expectore, qu'on excrète à jamais l'abonorable Jean Charest de notre actualité. Je veux encore et plus que jamais donner un gouvernement majoritaire à un parti prêt à faire évoluer le Québec dans le bon sens et avec les tout petits pas qui s'imposent - n'oublions pas qui sont trop souvent ces Québécois de partout au Québec avec lesquels nous aimerions construire une société, un pays ou un monde meilleurs, et ne les renions pas non plus.

C'est pourquoi je suis péquiste. Seulement je le suis dans le pire comté pour un péquiste qui ne serait pas dépourvu de conscience : Gouin. C'est dans Gouin que Françoise David espère se faire élire et ses chances d'y parvenir sont très bonnes. Dois-je l’en empêcher? C'est pour Gouin que Françoise David a accompli quelque chose d’extraordinaire et qu’on devrait pourtant exiger de tout politicien : ne pas se laisser prendre par le vieux jeu des questions pièges qui appellent des réponses évasives qui appellent des insultes usées qui appellent des regards outrés qui appellent des moues méprisantes. Françoise David s’est contentée de débattre. Pas trop mal d’ailleurs. Elle a bien présenté sa plate-forme politique, elle a questionné de façon pertinente les limites des plates-formes adverses, elle a répondu honnêtement aux questions qu'on lui adressait, elle a même reconnu qu'il y avait eu du bon dans de nombreuses mesures de ses adversaires, y compris Jean Charest. En termes sportifs, ce n'était pas une performance exceptionnelle, mais elle a agi en dilettante intègre plutôt qu'en professionnelle rouée, ce qui est beaucoup plus exceptionnel qu’une performance, et il m'est impossible de ne pas la respecter infiniment pour cela. Ne devrais-je pas lui laisser une chance? Ne devrais-je pas voter pour elle?

Réfléchir à cela m'a permis de comprendre mon malaise d’écriture, qui est aussi un malaise de conscience. Mes convictions politiques semblent m’obliger à voter en contradiction avec l’attitude que je défends ici depuis maintenant quelques mois. Il m’est donc impossible de défendre clairement ces convictions politiques sans me renier un peu. Difficile d’écrire dans ces conditions sans être miné par des questions que n’importe qui préférerait éviter. Suis-je de mauvaise foi? Suis-je cynique? Dois-je renoncer à une partie de moi-même? Le problème est d’autant plus compliqué que ni Québec solidaire ni le Parti québécois n’expriment adéquatement mes idées politiques. S’il était en mon pouvoir d’élire à moi seul le gouvernement du Québec, Option nationale et Jean Martin Aussant nous dirigeraient dès le 4 septembre sur le meilleur chemin vers le genre de souveraineté que je souhaite pour le Québec. Mais je n’ai pas ce pouvoir. Je n’ai même pas le pouvoir de simplement voter pour Option nationale, qui ne présente pas de candidat dans mon compté, afin de ne pas nuire à Françoise David, justement... Dois-je m’en vouloir de reconnaître que les Québécois ne voteront majoritairement ni pour Option nationale ni pour Québec solidaire le 4 septembre prochain? Dois-je m’en vouloir de voter pour un parti qui, comme je l’ai dit précédemment, ne nous mènera sur le bon chemin qu’avec «les tout petits pas qui s'imposent»? Dois-je m’en vouloir de croire que ces trop petits pas sont nécessaires, moi qui ailleurs m’en suis pris très clairement, sans mon ambiguïté habituelle, aux tristes nécessités?

Puis j’ai réfléchi un peu plus. Je ne voterai pas pour Françoise David même si je la respecte peut-être davantage que le politicien professionnel pour lequel je vais pourtant voter, même si c’est pour elle que m’inviterait pourtant à voter celui qui a pris le risque de renoncer à une carrière politique professionnelle afin de mieux défendre le Québec dont je rêve. Mais je ne m’en voudrai pas pour autant. Je sais que je ne me renie pas en votant pour le parti de Pauline Marois, qui est pourtant si dure avec ce qu’elle appelle non sans condescendance l’amateurisme de ses adversaires. Je sais que je ne me renie pas en refusant de voter pour le trop faible partis des faibles, en refusant de voter pour les débutants, en refusant de voter pour celles et ceux qui osent encore rêver d’un monde meilleur plutôt que nous promettre une saine gestion de nos déceptions. Je ne me renie pas parce que l’institution même du vote est irrémédiablement soumise à ces tristes nécessités que sont la loi du plus fort et le calcul des intérêts. Voter en dilettante n’a malheureusement aucun sens. On sait ce qu’on fait quand on vote, et quand on ne sait pas ce qu’on fait, on ne vote pas «différemment», on ne vote pas «courageusement», on ne vote pas de façon «créative», on vote tout simplement mal. Choisir, ce n’est pas créer. Le vote n’ouvre aucune possibilité nouvelle, que des probabilités de victoire ou de défaite. Il nous oblige beaucoup plus qu’il nous libère. Il nous isole et nous divise. Il nous force à choisir les uns contre les autres. Je n’affirme surtout pas qu’il vaudrait mieux ne pas voter. Il faut voter, justement. C’est notre devoir démocratique. Mais si nous voulons connaître ce qu’est la liberté démocratique, si nous voulons agir pour créer un monde différent, ce n’est pas dans le silence des isoloirs qu’il faudra se contenter de le faire, mais dans le joyeux tintamarre des amours et des amitiés, des réunions et des assemblées, des images et des mots, des rues, des cuisines et de n’importe où ailleurs.

Que nous votions avec notre tête ou avec notre coeur, que nous votions pour un parti ou pour un candidat, que nous votions pour le présent ou l'avenir, tout ce que nous ferons le 4 septembre, c'est notre devoir. N'oublions pas qu'il y a une grande différence entre faire son devoir conjugal et faire l'amour.

2 commentaires:

  1. Ah! J'aimerais bien pouvoir te convaincre de voter pour Françoise, mais je crains d'en être incapable...

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    1. J'espère que ta crainte d'être incapable de me convaincre ne provient pas d'une impression que j'aurais laissée de manquer d'ouverture. Si on pouvait me convaincre que le PQ ne risque aucunement d'avoir un gouvernement minoritaire, si on pouvait me convaincre que Québec solidaire n'userait que de façon très responsable d'une éventuelle balance du pouvoir et donc d'une capacité à renverser le gouvernement, si on pouvait me convaincre que la population du Québec n'a besoin que d'entendre une nouvelle voix pour évoluer rapidement, j'aurais le coeur plus léger. De toute façon, je crois sincèrement que Françoise et toi allez gagner sans moi, et je ne verserai tout de même pas de larme, bien au contraire...

      Avec amitié. (Et bon début de session si tu es bien l'Alexandre que je crois...)

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