samedi 15 juin 2013

Un père, un vrai

J’ai une confidence à vous faire.

Je souffre d’une forme non reconnue de maladie mentale.

Les premiers symptômes se sont manifestés en janvier 2006.

Jusqu’alors, j’étais parvenu à demeurer normal. J’avais préservé juste ce qu’il fallait de santé mentale pour aspirer à devenir quelqu’un dans ce concours injuste de circonstances qu’on appelle monde. Comme la plupart des gens normaux, j’avais réussi à me bricoler une estime de moi minée de façon tout à fait gérable. La plupart de mes vexations avaient été assez médiocres pour ne pas trop compromettre mon «besoin de reconnaissance». Ceci n’est pas un journal intime. Je m’en tiendrai à l’exemple le plus facile à faire comprendre. Il parait que ma taille n’est pas celle d’un homme, un vrai. Il me manquerait une douzaine de centimètres. Les manèges les plus convoités de la vie adulte me sont donc pour la plupart interdits. Et dans un groupe, le chemin le plus court entre deux visages passe rarement par le mien. Il est facile de ne pas me voir. Sans même s’en rendre compte. Ce n’est pas grave. Les choses choisissent rarement où elles tombent. Moi, oui. Je suis très chanceux. Quand je parle, on écoute. Je ne suis même pas obligés de faire des pets d’aisselles.
  
Cet homme a peu de chances de devenir Président des États-Unis.

Cet homme n'en a aucune...

Jusqu’à janvier 2006, j’étais aussi parvenu à mener une vie étonnamment, sinon durablement heureuse. J’ai toujours été un véritable artiste de l’instant présent. Les sens en alerte, je me découvre un doigté extraordinaire dès qu’il s’agit de remplir ma vie d’instants agréables. J’avais une épouse qui m’aimait – qui m’aime encore plus aujourd’hui, malgré ma maladie – avec qui j’aimais tant parler, manger, boire et dormir que j’avais pris depuis que je la connaissais une quinzaine de kilos de pur bonheur. Et ça ne faisait que commencer... J’avais aussi de nombreux amis, la plupart véritables, avec lesquels je pouvais fêter n’importe quoi, n’importe quand, sans trop penser au lendemain. Bien sûr, il m’arrivait parfois d’y penser quand même, au lendemain. Je venais d'ailleurs de faire une incursion presque réussie dans le domaine professionnel. Il y avait de quoi être fier. J’avais enseigné la littérature au Collège Jean-de-Brébeuf. Sauf que je n’avais pas complètement fait l’affaire. Ça avait été dur pour l’orgueil. Mais peu importe. L’assurance-emploi à laquelle j’avais «droit» m’avait permis et allait me permettre encore, pour un temps, de me consacrer plus entièrement aux études doctorales prometteuses que je venais d’entreprendre. J’avais mis au point un procédé sûr pour obtenir les meilleures notes: en faire un peu plus que les autres en prenant les choses beaucoup moins au sérieux. Essayez, si jamais vous aimez les succès faciles.

On peut dire qu’en janvier 2006, l’avenir, le vrai, celui qui n’est jamais facile, est arrivé brutalement dans ma vie. Et avec lui des épisodes récurrents d’insomnie, de pertes ou de gains de poids, d’angoisse, d’anxiété, de colère, de paranoïa, de bipolarité, de délire de persécution, d’amnésie, même. Ne me demandez surtout pas de vous parler du printemps 2006 ou de l’hiver 2010. Tout se confond en un magma schizophrénique douloureux. Comme mon ami Stéphane m’avait déjà présenté le DSM-IV, je savais qu’il s’agissait de symptômes authentiques et reconnus de maladie mentale. Mais mon syndrome particulier n’ayant été identifié par aucun psychiatre compétent, j’ai été forcé de me traiter moi-même, avec les résultats qu’on imagine. J’ai essayé, sans toujours maîtriser la posologie, la plupart des médicaments disponibles sans prescription: les méthylxanthines, la nicotiana tabacum, l’ibuprophène, l’éthanol et le tétrahydrocannabinol. J’ai aussi essayé de me soigner par la musique, l’écriture, la cuisine, le jogging… Ne vous moquez pas trop de moi. Quand on est désespéré, on peut essayer n’importe quoi. Et je suis quand même parvenu à faire certains progrès, modestes certes. J’ai réussi à me trouver et à conserver un emploi comme enseignant en littérature au Collège Ahuntsic, sans même bénéficier d’un programme de réinsertion sur le marché du travail. J’ai bien sûr dû renoncer à mes études universitaires. Je ne suis plus jamais parvenu à faire preuve du degré de facilité mentale nécessaire.

Aujourd’hui, la plupart des symptômes ont diminué, mais ils ne sont pas disparus. La maladie est toujours là. Elle ne partira probablement jamais. On peut même dire qu’elle fait partie de moi. Sauf que j’ai maintenant appris à vivre avec elle. Je suis ma maladie.

Je suis un père.

***

Des années avant d’être père, quand j’avais vingt, vingt-cinq ans, j’aimais dire aux filles que je souhaitais avoir de nombreux enfants plus tard. Moquez-vous de moi, je vous en prie. Le pire, c’est que d’une certaine façon, je me croyais presque quand je disais cela. Mais je n’ignorais surtout pas que ça augmentait mes «chances». Que ça sonnait mature. Que ça pouvait peut-être même compenser ma petite taille.

Mais maintenant que j’ai des enfants, je sais que je n’ai jamais vraiment voulu d’enfants de ma vie. On ne peut pas vraiment vouloir quelque chose qu’on est incapable de comprendre. On ne peut pas vouloir quelque chose qui transformera le sens même qu’on peut donner au mot vouloir. Comprenez-moi bien. Je ne regrette absolument rien. J’aime mes deux filles. Au plus haut point. Pour rien au monde accepterais-je de les perdre. Et je prends soin d’elles aussi bien que j’en suis capable. Mieux que bien d’autres pères prennent soin de leurs enfants. Mais mes filles, parce que je suis fou d’elles ou parce qu’elles me rendent fou (la distinction est purement théorique), ce sont les seules que je veux. Je ne veux, je ne voudrais jamais d’aucun autre enfant. Et ça, franchement, à vingt-cinq ans, je ne pouvais pas le savoir d’avance.

De façon générale, un homme de vingt-cinq ans n’est mu que par trois forces : la paresse, la recherche du plaisir et la vanité. C’est tout. Ne croyez surtout pas aux motivations plus profondes ou plus nobles. Un jeune homme peut vous en fournir aussi rapidement qu’un échantillon de sperme, mais il n’y croira lui-même que parce qu’il est vaniteux, paresseux et que ça lui fait bien plaisir d’y croire. Pour synthétiser, on pourrait même aller jusqu’à dire qu’un jeune homme n’aspire ultimement qu’à une seule chose : se faire tailler une pipe perpétuelle devant un public admiratif. La pipe n’a pas besoin d’être une pipe. Le public n’a pas besoin de se masturber devant un écran. 

Ceci est une pipe.
Fondamentalement, le jeune homme est incapable de même imaginer mieux qu’une série ininterrompue de plaisirs obtenus au moindre effort et aptes à satisfaire aussi sa vanité. C’est la seule forme rationnelle d’aspiration. Demandez à un économiste. Et un jeune homme est généralement très rationnel. Il sait que dans la vie, à moins d’être Jacques Villeneuve ou Justin Trudeau, rien n’est gratuit. Il sait, et ça lui coûte de l’admettre, qu’il devra éventuellement apprendre à vaincre sa paresse. C’est son seul et ultime combat, c’est là tout son récit. S’il cède à la paresse, les plaisirs (qui ont leur prix) comme la gloire (qui a ses sacrifices) lui demeureront inaccessibles. S’il parvient à la surmonter, il deviendra un homme.

Mais un père, même si comme moi il n’était pas encore tout-à-fait un homme au moment de le devenir, découvrira vite que sa vie est aussi mue, désormais, par une force radicalement inconnue au jeune homme, une force inimaginable même. Une force si totalement irrationnelle qu’elle ne joue absolument aucun rôle dans le comportement économique de l’être humain. Une force plus complètement folle que la maladie mentale, qui a tout de même ceci de raisonnable qu’habituellement, on n’y consent pas.

Et cette force, c’est la responsabilité.

***

Il faut être fou pour devenir responsable.

Parce que devenir responsable, ça dépasse de loin le simple fait de devenir un homme en triomphant sur sa paresse de jeune homme.

Devenir responsable, ça ne veut pas seulement dire cesser de se pogner le cul pour travailler fort, payer ses impôts, se marier, s’acheter une maison, tondre la pelouse, prendre soin des enfants, réparer le toit de la maison, économiser pour l’avenir, laisser un héritage, ne rien avoir coûté à personne. Ces comportements sont certainement utiles, raisonnables, importants, souhaitables, nécessaires, tout ce que vous voudrez, mais qu’on ne les qualifie pas de responsables. Moi, je n’arrive pas à faire tout cela, et qu’on ne me dise jamais que je ne suis pas responsable.

Être responsable, c’est être prêt à répondre de ce dont on a la responsabilité, c’est assumer la responsabilité de tout ce qui arrivera à ce dont on est responsable, qu’on soit réellement responsable ou non de ce qui arrivera. Vous pouvez relire la phrase. J’ai fait exprès. Je voulais vous choquer. Je voulais vous faire prendre conscience du caractère monstrueux de la responsabilité. Vous avez bien compris. La responsabilité est intellectuellement et moralement scandaleuse. Être responsable, c’est se porter d’avance volontaire pour un châtiment qu’on ne mérite probablement pas. Celui qui peut dire : « je sais que ce n’est pas de ma faute, mais punissez moi quand même, parce qu’il vaut mieux que ce soit de ma faute », celui-là est responsable. Et c’est un fou.

Je n’ai plus eu le choix de devenir un homme quand je suis devenu père. Essayez d’être paresseux quand vous êtes responsable de deux filles. De leur lit et de leur toit. De leur santé, de leur hygiène et de leur alimentation. De leurs larmes et de leurs rires. De leurs cris et de leurs sourires. De leur comportement inadéquat ou digne d’éloges. De leur échec ou de leur réussite scolaires. De leur avenir. De leurs chagrins et de leurs plaisirs d’amour. De leur capacité à se choisir des amies, des copains. De leur échec ou de leur réussite professionnels. De leurs névroses et de leur santé mentale. De leurs dépendances et de leurs projets futurs. De leur suicide et de leur épanouissement éventuels. Et je n’ai presque aucun contrôle sur tout cela. Tout dépend de tant de choses : de leur environnement, de l’école, de leurs amis, de leur société, d’elles-mêmes surtout, de leur génétique, de leurs désirs, de leurs choix. Mais je n’en suis pas moins responsable. Alors je fais tout ce que je peux faire, et parfois, ce que je ne peux pas faire non plus, malheureusement.

Et ce n’est pas par plaisir. Il y a des moments de plaisir incroyables, quand on est père, qui compensent amplement les cris, les crises et tout ce qui brise. Mais ces moments ne compenseront jamais les peines que nos enfants peuvent éprouver. Je souffrirais moins si je pouvais m’emparer de la souffrance de mes filles et la garder pour moi seul. Je sais que c’est impossible. Elles ont le droit de vivre leurs deuils, leurs souffrances et leurs vexations. Elles ont droit de grandir et de devenir des femmes.  

Ce  n’est pas par vanité non plus. J’ai appris à ne plus trop me vanter de mes filles. Les parents débutants le font souvent. Ils ne savent pas encore qu’on les juge. Ce que mes filles réussiront à gagner dans leur vie, une part minuscule de fierté m’en reviendra peut-être, mais beaucoup plus petite que la leur. C’est la part minimale. Je ne peux pas renoncer à cette part. Je sais qu’elles veulent que je sois fier d’elles et je le serai, je le suis déjà.

Ce que mes filles m’ont donné est plus précieux que tout plaisir ou toute vanité. Et elles me le donnent à chaque fois que je marche avec elles en public. Il suffit que je leur tienne la main. Il suffit que je prenne ensuite le temps d’observer un peu les gens autour de moi.

Je fais alors une constatation remarquable. Miraculeuse même.

Personne n’est plus grand que moi.

Meilleur papa au monde?

Si vous aimez, partagez.

lundi 3 juin 2013

Wanted : Natashquan, dead or undead 2, The Revelation


Mon arrivée au penthouse fut perturbée par un événement insolite. Le concierge de l'immeuble, un vieillard chauve qui sentait vaguement le marécage et dont l’œil droit avait tendance à pendouiller hors de son orbite, venait d’arracher, au grand mépris de ses ongles ensanglantés, la petite plaque dorée fixée à l’entrée et indiquant 59e étage : penthouse. Il était en train de la remplacer par une nouvelle plaque indiquant 60e étage : penthouse, et semblait tenter – l’incompétence de la méthode me laissa abasourdi – de la fixer au mur par des coups de tête répétés, en grommelant à chaque fois une syllabe incongrue : « dela … dité … dela… di…» C'était déplorable. Je fis immédiatement part de mon trouble à l’hologramme de Johann Perv-Hurt, qui m’avait accompagné jusque-là.  

Moi – Comment se fait-il qu’un étage puisse ainsi changer de numéro? Je ne suis pas arithméticien, je le reconnais, mais cela me semble tout de même suspect. N’est-il pas immoral de jouer ainsi avec les chiffres de votre entreprise? Vous savez que mes lecteurs veulent la vérité, rien que la vérité et toute la vérité. Qu’avez-vous à dire pour votre défense?

Johann – Ha ha ha ha ha! Welcome to the very first Super Ultra Completely Controlled Erectile Sky Scraper™, construit à partir d’un alliage breveté d’acier galvanisé, de corps caverneux, d’huile à moteur et de cellules nerveuses. La taille et le calibre de l’édifice progressent en temps réel, au gré de mes besoins ou de mon enthousiasme. Inutile de te dire que le nombre d'étages augmente constamment.

Moi – ...

Johann – I know, I know, c'est extraordinaire. En fait, c’est tellement extraordinaire qu’à chaque fois que j’y pense, l’édifice croît d’un étage.

Moi – Wow! ... Et y a-t-il des limites?

Johann – Sky is the limit! Et nous allons bientôt en faire la commercialisation. That should put my competitors on their knees!

Moi – Rewow! Je vous jure que lorsque ma femme en entendra parler, elle va insister pendant des mois pour qu’on en achète une. Le rangement! La fonctionnalité! Si je me ruine, ce sera de votre faute, mon cher Johann. Mais puis-je quand même me permettre un petit conseil d’ami? Vous devriez peut-être compter les étages à partir du penthouse plutôt qu’à partir du rez-de-chaussée. Vous n’auriez plus besoin de modifier constamment toute la numérotation à chaque fois que vous êtes fier de vous-même.

Johann – Quelle bonne idée! That’s revolutionary! Tous nos édifices pourraient être conçus ainsi. J’imagine déjà la campagne promotionnelle. You’ve always been first. You deserve the first floor. SUCCESS.

Un pistolet se matérialisa alors dans la main droite de Johann. Il visa le vieux concierge et l’abattit sur-le-champ. Je n’eus même pas le temps de me demander comment un hologramme était parvenu à faire apparaître et à manier une arme réelle qu’il reprit aussitôt la parole.

Johann – Nous n’aurons plus besoin de lui désormais. Enfin... Bienvenue au penthouse. Et surtout, try to relax.

Il se volatilisa aussitôt.

Au moment de passer le seuil, j’éprouvai une sorte de lourdeur soudaine, comme celle qu’on éprouve dans un ascenseur qui monte. Johann devait être très enthousiaste.

Au début, l'édifice de Johann était mini mini mini.

***
  
Le penthouse était en fait un immense dôme vitré donnant sur un tourbillon spectaculaire de nuages, de  grêlons et d’éclairs.

Au centre, il y avait une piste de danse cerclée de poteaux disposés beaucoup trop près les uns des autres. Comment faisait-on si on voulait aller danser et qu'on n'était pas d'une maigreur squelettique? N'ai-je plus le droit d'être bedonnant et de vivre?!? Plusieurs hommes et femmes aux corps grisâtres et mal entretenus - j'avais maintenant appris à reconnaître les employés de Johann - se produisaient quand même sur la piste, sans entrain et sans coordination, au rythme pourtant si stimulant de Harder, Better, Faster, Stronger. Tout cela me scandalisait profondément. Peut-on être payé pour danser – et qui plus est faire partie de la minorité assez mince pour se le permettre!!! – et faire preuve d’aussi peu d'enthousiasme professionnel?!?

La pièce était par ailleurs parsemée de fauteuils en cuir rose et moelleux comme de la peau de bébé – je suis un papa, je m’y connais. Une douzaine d’hommes très élégamment vêtus, mais au teint remarquablement pâle – ils devaient passer beaucoup trop d’heures par jour à travailler à l’intérieur, les pauvres! – s’y étaient assis. Ils jetaient sporadiquement des regards mélancoliques et blasés sur la piste de danse interdite, en buvant des cocktails opaques un rien plus foncés que du jus de tomate. J’appris plus tard que cette invention très populaire du mixologue local portait le nom un peu prétentieux de True Bloody Caesar. Il me semble qu'on aurait pu trouver quelque chose de plus simple et de plus accrocheur. Enfin...

Je reconnus rapidement plusieurs des convives. Il y avait mes bons amis les frères Koch, qui présentaient à Jon Lajoie les meilleurs moyens d’investir politiquement sa toute récente fortune.

Moi – N’écoute pas ces vieux cons, Jon. C’est eux qui à l’époque m’ont convaincu d’étudier en littérature.

Charles G. Koch – And we’re still waiting for your first novel. How old are you, now? 37?

Il y avait aussi Galen Weston jr., qui faisait déguster à Jacques Villeneuve de luxueuses gaufrettes à la crème sûre et à l’ail grillé, garnies d'un tartare suspicieusement rosé. Étaient-ils en train de manger crue de la chair de porc?

Moi - Salut Gale! Essaies-tu d’empoisonner mon Jack?

Galon Weston jr. – Très drôle, très drôle… Le Choix du Président est toujours un choix de qualité. Et les ingrédients sont toujours élevés localement.

Je ne corrigeai pas son anglicisme.

Galon Weston jr. – Et en passant, c’est pas parce qu’on est devenu un blogueur célèbre qu’on peut cesser d’appeler ses amis de temps en temps.

Moi – C'est tellement injuste! La fin de session a été vraiment exigeante, tu sais. Et après l'année de fou qu'on a vécue au Cégep... Mais je t'appelle bientôt, c’est promis. On se reparle. Je dois aller aux toilettes.

Non, mais quelle tache, ce type! J’étais bien content d'avoir trouvé un prétexte pour aller voir ailleurs. De toute façon, j’avais besoin de m’éclaircir un peu les idées…

 
Arrête de sourire, Galen, personne ne veut être ton ami.

***

C'est en sortant des toilettes que je vis mon vieux pote, Rob Ford, qui fumait, seul, des flocons bien lustrés de rice crispies –  c’est le nom qu’on donne dans la rue au précipité cristallisé d’une solution d’héroïne, de cocaïne et de marijuana (smack, crack and pot). La soirée allait finalement être intéressante.

Moi – Vous permettez?

Rob – HEY!!!! Si c’est pas mon ami Phil the vibration! Of course que tu peux te permettre! Tu vas voir, c’est du bon.

Moi – Ça tombe très bien, parce que je suis déjà à sec. En passant, Rob, peux-tu me dire ce que nous faisons ici? Johann m’a promis de me présenter quelque chose de révolutionnaire.

Rob – What? Personne ne t’a expliqué? Nous sommes réunis ici pour nous faire présenter ses plus récents Modèles d’Innovation Anthropique Multifonctionnelle. Ils sont exposés dans la cage, juste là. Ils ont été modifiés pour permettre une réduction du rôle de l’État dans leur vie. It's amazing!!! Certains modèles peuvent survivre à n’importe quelle blessure ou à n’importe quelle maladie sans qu’il soit nécessaire de les soigner. Il y en d’autres dont le système nerveux central peut être mis en état de veille pour aussi longtemps que nécessaire. Leurs fonctions vitales sont assurées, mais leurs besoins peuvent être réduits au minimum. Je te dis: a-ma-zing!!

Je n’eus pas le temps de réfléchir aux implications des propos de Rob qu’un projecteur fut soudainement braqué sur l’un des modèles, une jeune femme un peu grassouillette et dont le regard sensuel manquait manifestement d’étincelles. J’entendis alors la voix de Johann, une voix plus grave et plus imposante que jamais, une voix qui semblait provenir de tout l’édifice.

Johann – And now, model number 18, Vanessa Lapierre-Cormier. Il s’agit du premier être humain capable d’une autonomie énergétique et alimentaire complète. Vanessa peut se passer entièrement de nourriture pendant une période de six mois. On estime qu’un tel modèle permettrait au  Canada de réaliser des économies de six milliards par année! Allez Vanessa, montre aux messieurs ce que tu sais faire.

Vanessa regarda voluptueusement la foule en faisant pénétrer doucement son index droit, puis toute sa main, puis tout son avant-bras dans sa bouche grande ouverte, de façon continue et sans la moindre hésitation. On aurait dit qu’elle avait fait cela toute sa vie. La suite fut plutôt surprenante. En un seul coup d’une puissance extraordinaire, elle mordit et dévora littéralement tout son avant-bras, pour nous présenter ensuite un moignon rouge, déjà cicatrisé. Elle regarda ensuite la foule avec un drôle de sourire.  Elle avait vraiment l'air fier. Elle avait aussi l'air repu. On pouvait même l’entendre grogner.

Rob – Stephen Harper asked me to come here. Pour voir ce qui se faisait. Tu sais qu’il est très intéressé? Mais en tant que conservateur, il préfère ne pas s’engager trop vite. Il ne veut pas gaspiller l’argent des contribuables dans des projets qui pourraient au bout du compte se révéler nuisibles.

Moi – Nuisibles? Mais comment? Ces expériences ne ressemblent-elles pas énormément à ce qu’il fait déjà avec tous les chômeurs du pays?

Rob – I know, I know. Mais il refuse d’investir tant qu’on ne lui aura pas prouvé que ces humains améliorés ont conservé la capacité de se marier et de faire des enfants les uns avec les autres. Il faut quand même penser à l'avenir.

Moi – C'est tellement vrai! Et imagine seulement le genre d'enfant que ça pourrait produire!

En disant cela, j'éprouvai comme une étrange sensation de lourdeur. Je savais ce que ça signifiait. Il était grand temps de fumer un petit coup avec Rob.

The Crack Pack (de gauche à droite): Grégory Charles, Rob Ford,
Philippe Labarre et Robert Downey jr.

Fin.